Ceux qui dénonçaient la haine mortelle contre Charlie Hebdo, engagé dans une guerre idéologique contre l’Islam, brandissaient haut et fort « Je suis Charlie ». Que ceux qui souffrent du mépris mortel, qui a induit la mort de la jeune Naomi en France, déclarent volontiers : « Je suis Naomi ». Si Naomi n’avait pas un accent africain, si elle était juive, aurait-elle subi le traitement monstrueux qui a participé à sa mort douloureuse ?
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Où sont ces présidents africains qui se bousculaient à Paris pour déplorer la mort des journalistes de Charlie Hebdo ? Leurs partisans diraient qu’ils étaient là-bas pour dénoncer le terrorisme. Nous dénonçons aussi le terrorisme, et regrettons comme eux les attentats qui ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo. Mais la fougue qui les a incités à prendre l’avion et aller défiler à Paris contre la haine mortelle, ne devrait-elle pas les amener à faire de même pour dénoncer le mépris mortel dont est victime la jeune Naomi ? Si le mépris abject qui a précédé la mort de Naomi avait un caractère racial, ces présidents devraient aller participer à la marche blanche qui sera organisée à Strasbourg en la mémoire de Naomi. La vie de Naomi ne vaut pas moins que celle des journalistes de Charlie Hebdo. Et qui peut le plus, peut le moins. Charlie Hebdo s’est lancé ouvertement dans une guerre caricaturale contre l’Islam et les mes musulmans, et a subi des attentats regrettés. Naomi, elle, ne s’est moquée de la religion de personne et ne s’est engagée dans aucune guerre idéologique. Au contraire, le SAMU s’est moqué de sa douleur atroce et de sa vie. C’était une jeune femme Noire, mère d’un enfant, d’une beauté nubienne pure, qui ne demandait qu’à soulager sa douleur et à vivre. Elle est partie, victime de la bêtise humaine et, peut-être, d’un mépris racial banalisé en France par des politiciens de droite et d’être-droite. Entre Charlie et Naomi, je préfère souffrir pour Naomi. Comme beaucoup en France, je souffre de sa mort. Comme beaucoup de Noirs, je suspecte que son accent et son extranéité aient été déterminants dans le mépris qui a participé à a sa mort. Le cas échéant, je pourrais être à sa place, comme toute autre Noir.
Naomi serait-elle victime d’une discrimination raciale dans la prise en charge médicale ?
Naomi : « Allô. Aidez-moi, madame… Aidez-moi. J’ai… j’ai…madame, j’ai très mal. »
SAMU 67 : Bon, si vous ne me dites pas ce qu’il se passe, je raccroche, hein.
Naomi : Je vais mourir.
SAMU 67 : Oui, vous allez mourir, certainement, un jour, comme tout le monde. Ok?
Elle mourra le jour même. Si Noami n’avait pas un accent laissant entendre qu’elle est Noire, serait-négligée et raillée, avant de succomber à la douleur et à la maladie ? Dans cette ignominie, la justice française ne doit pas se limiter à enquêter sur l’existence d’un délit de non assistance à personne en péril. Les journalistes et les politiques français qui s’expriment sur ce décès épouvantable ne font état que de négligence, de disfonctionnement médical ou administratif du SAMU. Le font-ils exprès pour étouffer les suspicions de discrimination et de mépris raciaux contre les Noirs ? En effet, si Naomi était victime d’une discrimination raciale ayant entrainé sa mort, cela devrait être judiciairement appréhendé comme un homicide involontaire. Ce qui ne serait pas vendeur pour une France qui se dit volontairement « pays des droits de l’homme ». La famille de Naomi a attendu presque deux mois pour avoir les résultats de l’autopsie. Le père de Naomi se demande à juste titre pourquoi on a laissé le corps de sa fille en putréfaction comme un cadavre abandonné. Le SAMU fonctionne-t-il ainsi pour l’autopsie des autres français ? La justice française ne devrait pas s’enfermer dans des orientations idéologiques et politiques. Elle devrait aussi investiguer pour savoir si l’attitude du SAMU n’est pas dictée par des discriminations ou des préjugés contre Noirs, ou les étrangers de manière générale.
Naomi serait-elle victime d’une discrimination institutionnelle dans l’incrimination de la haine raciale ?
Si Naomi était juive, la réaction des médias et des politiques français serait-elle la même ? En France, quand un juif est victime de racisme, ce n’est pas du racisme. C’est pire. C’est de l’antisémitisme. Le droit pénal français distingue le racisme contre les Juifs du racisme contre les autres races. Or la vie et l’honneur d’un Juif ne valent pas plus que celles d’un Blanc, d’un Arabe, d’un Chinois ou d’un Noir. Si Naomi avait l’accent d’une personne Blanche, et s’était présentée comme une Certaine Madame LEVY ou Madame AZOULAY, elle n’aurait probablement pas le même traitement. L’opératrice du SAMU, dont l’attitude a empêché la prise en charge à temps opportun de Naomi, aurait peur d’être accusée d’antisémitisme. Or, il est inconcevable dans un système démocratique, quel que soit le vécu des peuples, que l’on protège une race plus que d’autres. Le seul fait, dans la terminologie juridico-politique française, de parler de « racisme » et d’ « antisémitisme », constitue en soi une discrimination au profit des Juifs. Comme si l’antisémitisme n’était pas du racisme. Pis, certaines associations, censées lutter contre les discriminations raciales, font cette hiérarchisation de la lutte contre la haine, au profit des Juifs. Il est ainsi de la Ligue Internationale Contre l’Antisémitisme et le Racisme (LICRA). La dénomination de cette association, qui n’œuvrait au départ que pour défendre les Juifs, porte en elle-même une discrimination raciale.
Pour que certaines races ne soient pas plus exposées au racisme que d’autres, la France doit avoir le courage de prohiber toute forme de préférence dans la lutte contre la haine raciale. A défaut, les Noirs, victimes d’une haine décomplexée promue contre eux depuis des siècles, seront au bas de l’échelle, et compteront parmi eux d’autres Naomi.
JE SUIS NAOMI !
Aliou TALL
Président du Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen (RADUCC)
Email : raducc@hotmail.fr