L’Allemagne reconnaît le génocide commis en Namibie (Par Dr Pierrette Herzberger-Fofana)

À la suite des 3 restitutions de crânes humains en 2011, 2014 et 2018 à la Namibie, l’Allemagne vient de reconnaitre sa responsabilité. Berlin admet que le massacre des Hereros et des Namas de la Namibie constitue un génocide. C’est le premier génocide siècle perpétré par les troupes coloniales allemandes au 20e siècle.

«Nous qualifierons maintenant officiellement ces événements pour ce qu’ils sont du point de vue d’aujourd’hui: un génocide», a déclaré le ministre Allemand des affaires étrangères, Heiko Maas, le 28 mai 2021 à Berlin.
Il a ajouté : « À la lumière de la responsabilité historique et morale de l’Allemagne, nous demanderons pardon à la Namibie et aux descendants des victimes».
Malgré la forte compensation qui sera versée à la Namibie cette responsabilité a surtout une valeur symbolique puisque la question des réparations est mise en veilleuse.

La spoliation des cadavres de la Namibie
En effet de nombreuses exactions ont été commises, outre les meurtres, les premières expériences médicales ont été faites sur des prisonniers Hereros et Namas, pour des travaux pseudo-scientifiques qui serviront plus tard les thèses racistes du 3ème Reich. Des tombes ont été spoliées et les crânes des défunts ont été envoyés à l’institut pathologique du département d’anthropologie de « Race et Hygiène sociale » de Berlin à des fins expérimentales. Le but était de prouver scientifiquement la prétendue supériorité de la race aryenne sur les autres peuples et, dans ce cas précis, celle des Européens blancs sur les Africains noirs, grâce à l’analyse des caractéristiques faciales des têtes des Africains. Ces crânes et autres ossements reposent depuis plus d’un siècle au musée de l’ Histoire de la médecine de l’hôpital de la Charité de Berlin. Les têtes avaient été coupées des corps et conservées intactes dans du formaldéhyde avec leur visage, leur peau et leurs dents. Des dizaines d’autres crânes et ossements sont conservés à l’Université de Freiburg, dans le Sud-Ouest de l’Allemagne et parfois chez des particuliers. Ils étaient soigneusement numérotés donc facilement identifiables. Plus de 7000 crânes venus de toutes parts se trouvent en possession du musée et environ 300 proviennent de la Namibie. Jusqu’à ce jour 68 crânes et ossements ont été restitués à la Namibie.
Pour les Namibiens, les crânes et ossements conservés en Allemagne ne sont pas des pièces de musée ou des vestiges à caractère historique. Ce sont les restes de leurs grands-parents massacrés en 1904, lors de l’extermination de leur peuple. Selon les chercheurs, les crânes ne montrent aucun signe de violence.
Ils supposent donc que ces personnes sont mortes victimes des forces armées allemandes présentes dans la colonie du Sud-Ouest Africain, ou bien sont décédées dans les camps de concentration coloniaux gérés par les Allemands.
La question de la restitution des derniers crânes humains et ossements qui végètent dans les musées devra être également résolue.

Il aura fallu cinq ans d’âpres discussions pour en arriver à cette reconnaissance des atrocités commises dans l’ancien ouest allemand, à l’époque du protectorat. En effet, l’Allemagne a occupé officiellement la Namibie de 1884 à 1919, surnommée à cette époque Sud-Ouest Allemand. Dès leur implantation en terre africaine, les colons allemands accaparent des terres et repoussent les Hereros après une rude bataille dans les zones arides.

L’ordre d’extermination des Hereros et Namas
Suite à l’ordre d’extermination du gouverneur de la région, Lothar von Trotta aux troupes coloniales ou « Schutztruppen, une violente répression s’ensuit.
Les Nations-Unies définissent le génocide comme un certain nombre d’actes, dont le meurtre, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, racial ou religieux.
Les termes du fameux ordre d’extermination «Vernichtungsbefehl» correspondent à la définition d’un génocide. En effet von Trotta avait prévu une «extermination systématique» des Hereros et donné l’ordre suivant :
« Les Hereros ne sont plus des sujets allemands. (Ils) doivent quitter le pays (…) Dans les frontières allemandes, chaque Herero armé ou non, en possession de bétail ou pas, sera abattu. Je ne recevrai plus de femmes ou d’enfants. Je les renverrai aux leurs, ou je leur ferai tirer dessus(…) Ma politique a toujours été d’exercer celle-ci par le terrorisme brutal, voire par la cruauté. J’anéantis les tribus insurgées dans des flots de sang…. C’est la seule semence pour faire pousser quelque chose de nouveau qui soit stable. » 
65 000 Namibiens sur les 80 000 dont se composait la population sont sauvagement massacrés pour avoir refusé de céder leurs terres aux colons. Ils sont poussés vers le désert d’Omaheke à l’est du pays où ils y meurent de faim et de soif au cours de la bataille sanglante et décisive de Waterberg, le 11 août 1904.

L’accord de justice réparatrice par l’Allemagne
Le chef de la diplomatie allemande, Mr Heiko Maas a présenté les modalités de l’accord de justice réparatrice entre la Namibie et l’Allemagne.
Une compensation financière de plus de 1,1 milliard d’euros (1,34 milliard de dollars) sera allouée à la Namibie afin de soutenir le développement du pays par le biais d’un programme sur une période de 30 ans sous forme de dépenses d’infrastructures, de soins de santé et de programmes de formation des communautés touchées. Ceci «dans un geste de reconnaissance de l’immense souffrance infligée aux victimes» selon le ministre Allemand des affaires étrangères.
L’Allemagne ne veut pas entendre parler de réparation et fait la sourde oreille en ce qui concerne cette question essentielle pour les Namibiens. D’ailleurs dans son discours, le chef de la diplomatie allemande précise qu’il s’agisse de «panser les blessures» et non pas de dédommagements sur une base juridique, et que cette reconnaissance n’ouvre la voie à aucune « demande légale d’indemnisation. »

Au parlement de Windhuk , dans les rangs de l’opposition namibienne, l’accord a suscité des vives critiques, le Mouvement démocratique populaire (PDM) a parlé d’une «insulte» et d’un « manque de respect » à la Namibie. Pour ces députés, les représentants de l’Allemagne n’ont « pas négocié de bonne foi » a déclaré le quotidien «The Namibian», citant la députée Inna Hengari. En outre la députée argue que les négociations ont été déviées de leur objectifs de départ car : «Les négociations n’ont jamais porté sur des projets mais sur des réparations. », a souligné la députée M. Henagri.
Elle déplore en outre que les 3 piliers de leurs revendications, n’ont pas été pris en compte à savoir :
«des excuses officielles, la reconnaissance du génocide et les réparations. Où en sont-ils dans cette offre ?» A-t-elle demandé.

Au sein de la Diaspora en Europe, l’accord est considéré comme «un scandale».

Cet accord s’est fait au détriment des descendants des peuples Hereros et Namas. Même son de cloche du côté des chefs traditionnels qui ont jusqu’á présent refusé d’approuver l’accord selon le journal « Namibian.» Ils regrettent que les chefs traditionnels ainsi que les organisations de la société civile n’aient pas été impliqués dans les négociations.
Certains parlementaires ont appelé l’opposition à rejeter unanimement l’accord entre les deux pays. Ils continuent de plaider pour des réparations directes aux descendants des victimes du génocide.

L’accord de justice n’efface pas tout le calvaire subi par les Namibiens, il va au moins donner une impulsion nouvelle aux relations entre ces deux pays, intimement liés par une histoire commune, et comme l’a déclaré le ministre, Heiko Maas : «On ne peut pas tirer un trait sur le passé. La reconnaissance de la faute et la demande de pardon sont toutefois un pas important pour surmonter le passé et construire ensemble l’avenir.

Le processus de réconciliation pourrait commencer pour les deux pays et surtout le devoir de mémoire va entrer dans une nouvelle phase, car si ce travail de mémoire sur la période nazie est remarquable, celui de la période coloniale en Afrique et les crimes commis sont passés sous silence. Ils n’ont toujours pas trouvé place ni dans les manuels d’histoire ni dans la conscience collective allemande.




Dr. Pierrette Herzberge-Fofana
Députée au Parlement Européen
Vice-Présidente de la Commission «Développement»
Vice-Présidente de le Délégation pour les Relations avec le Parlement Panafricain
Co-Président de L‘Intergroupe EU-ARDI «Anti Racism and Diversity Intergroup»

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