Fraude sur le Ciment au Sénégal: L’Etat perd plus de 3 milliards de francs CFA par an

L’Etat du Sénégal perd des milliards et des milliards de F Cfa par an dans la distribution du ciment destiné à l’exportation. Selon certaines estimations, le manque à gagner, en termes de TVA, atteindrait 3,6 milliards de F Cfa par an. Parce que, tout simplement, des distributeurs véreux, en collaboration avec certaines cimenteries et des éléments de la Douane, ont mis en place un système qui permet de verser dans le marché des tonnes de sacs de ciment pourtant destinées à l’exportation. Une fraude savamment orchestrée et qui dure depuis des années, au nez et à la barbe du Trésor public. Sans occulter la concurrence déloyale qu’un tel trafic engendre.fraude-sur-le-ciment-au-senegal-exportations

Plusieurs milliards de FCfa dans le vent! Ou du moins dans les comptes de personnes qui n’en avaient pas le droit. C’est ce qui se passe depuis des années maintenant dans la distribution du ciment fabriqué au Sénégal et destiné à l’exportation. Pour cause, des distributeurs véreux, en complicité avec certaines cimenteries mais aussi des agents de la Douane, déversent dans le marché domestique sénégalais des tonnes et des tonnes de ciment qui étaient pourtant destinées à l’exportation. Ce qui crée une perte énorme en Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au niveau du Trésor public, mais aussi une concurrence déloyale.

Le modus operandi est tout simple. Certains distributeurs qui ont été identifiés et qui sont au nombre de cinq, prennent de grosses quantités de ciment exonéré (destiné à des projets de l’Etat) pour les détourner et les vendre sur le marché domestique. Cette fraude consiste, pour une entreprise ou un individu bien imprégné dans le domaine (réseaux), à surestimer les quantités de ciment destinées à un projet exonéré de taxe pour ensuite revendre le surplus à des clients distributeurs, à des prix nettement en-dessous des prix du marché.

Mieux, du ciment destiné à l’exportation en Gambie, en Mauritanie ou au Mali, estampillé «EXPORT», inonde aussi le marché domestique. Un phénomène qui, au départ, était uniquement localisé dans la région de Diourbel, principalement à Touba, a fini par se propager au niveau national, touchant désormais les régions de Dakar, Thiès, Kaolack, Kolda et Tambacounda. Cette fraude est facilitée par le fait que certains producteurs n’utiliseraient pas des sacs appropriés pour les ventes à l’export.

En effet, le marquage «EXPORT» exigé pourtant sur toutes les ventes à l’export fait défaut et ne facilite pas le travail des services de contrôle du département du Commerce. En conséquent, cette situation se traduit par un manque à gagner énorme pour le Trésor public. Certains l’estiment à 300 millions par mois de TVA. Soit plus de 3,5 milliards par an non versés dans les caisses de l’Etat. Le montant pourrait être plus important. Et dire que des distributeurs ont été formellement identifiés. Leurs adresses connues, le pays qu’ils disent servir également. Tout comme leurs zones d’action. Ils sont au nombre de cinq: M. T, M. G, S. Mb. K, H. D et Th. S. B pour ne pas les citer nommément.

La Douane dit tout ignorer, le département du Commerce injoignable
Depuis plusieurs semaines, nous avons saisi la Direction de la Douane. Mais, la réponse qui nous a été servie est «qu’aucun cas de fraude n’a été signalé» dans les zones susmentionnées. Du côté du ministère du Commerce, toutes nos tentatives de rentrer en contact avec le département de la Communication sont restées vaines. Les coups de fil et les messages envoyés sont restés sans suite.

Un compte rendu du ministère de l’Economie reconnaît les faits

Pourtant, cette affaire-là semble connue des décideurs depuis… 2008. Pour cause, nous avons pu obtenir une copie d’un compte-rendu d’une réunion tenue dans le bureau du Directeur des Opérations douanières, en présence des représentants des Sociétés du ciment et du ministère chargé du commerce, le 29 avril 2008 de 16h30 à 17h30, qui reconnaît tous les faits incriminés. Ce jour-là, la détermination des personnes habilitées à exporter le ciment et les modalités de dédouanement du ciment à l’exportation étaient à l’ordre du jour.

En couvrant la séance, le Directeur des Opérations douanières d’alors et l’inspecteur régional des Douanes de Dakar et Dakar-Port par intérim avaient effectivement souligné «l’existence de pratiques frauduleuses dans les opérations d’exportation de ciment dans la sous-région». Ils soutenaient que «certains intermédiaires prennent du ciment à partir du marché intérieur, établissant des déclarations en détail dans les bureaux de douane de leur choix et procèdent à des exportations incontrôlées dans la sous-région». «Ces exportations irrégulières, créent un remboursement de la TVA par le biais des Certificats de détaxe. De telles pratiques perturbent également la consommation nationale en causant des pénuries de ciment sur le marché intérieur qui entrainent des augmentations injustifiées des prix», dénonçaient-ils.

Pour éviter qu’une telle situation «aux conséquences fâcheuses» ne perdure, il avait été retenu, de concert avec les représentants des cimenteries, d’identifier pour chaque cimenterie, deux ou trois commissionnaires en douane agréés, seuls habilités à établir des déclarations d’exportation de ciment dans la sous-région. Une telle application était prévue au plus tard le 1er juin 2008. Hélas ! Rien n’a pu freiner l’hémorragie. Même en période du blocus de la transgambienne, des distributeurs, sous prétexte qu’ils vont vendre en Gambie, ont continué à se procurer du ciment destiné à l’exportation pour inonder le marché domestique.

Mieux, au niveau des modalités de dédouanement à l’exportation, des mesures ont été aussi arrêtées. Notamment le marquage des emballages à l’exportation. Et, d’un commun accord, un consensus s’était dégagé sur le marquage des emballages: il s’agit de porter impérativement sur chaque sac de ciment destiné à l’exportation la mention «EXPORT» en rouge, par exemple, de façon apparente et infalsifiable. Là également, une date d’application a été retenue. C’était au plus tard le 1er septembre 2008.

Sud Quotidien

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