Présidentielle : les Sénégalais en quête de justice et de réconciliation

Après plusieurs semaines de crise institutionnelle, les Sénégalais se rendront finalement aux urnes le 24 mars. Nombre d’électeurs, vent debout contre une loi d’amnistie visant à « éponger » les crimes et délits commis ces trois dernières années, espèrent toujours une justice plus équitable.
Alors qu’une chaleur brusque surprend les Dakarois habitués à un climat plus clément ces derniers jours, Ndèye Lo profite de l’ombre au balcon de sa demeure aux Parcelles Assainies, en banlieue de Dakar. Cette sexagénaire tente cahin-caha de tourner la page, après la mort tragique de son fils, Baye Fallou Sène, 17 ans, tué par balle le 1er juin 2023, pendant les émeutes déclenchées par la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse.
Huit mois plus tard, Ndèye Lo évoque avec fatalisme la loi d’amnistie votée le 6 mars par l’Assemblée nationale à la demande de Macky Sall. Le texte amnistie les crimes et délits liés aux différents troubles politiques commis ces trois dernières années dans le pays. « Le Président Macky Sall a dit qu’on pardonne tout le monde. Il a pardonné à notre place, nous qui avons perdu des êtres chers, raconte Ndèye dont le fils est mort, tué par balles le 1er juin 2023. Il aurait dû au moins nous demander notre avis. Il a pardonné banalement, sans consulter les principaux concernés. »

Apaisement politique
La loi d’amnistie vise à permettre au pays de connaître « l’apaisement du climat politique et social » et « le renforcement de la cohésion nationale » mais aussi de « permettre à certaines personnes qui ont eu maille à partir avec la justice de participer pleinement à la vie démocratique ». La loi promulguée par le président Macky Sall le 14 mars a permis la libération immédiate du principal opposant Ousmane Sonko, écarté de la course électorale et de son bras droit Bassirou Diomaye Faye, candidat à la présidentielle, mais aussi de plusieurs autres détenus politiques et même de présumés auteurs d’actes criminels voire terroristes.

Le bras de fer politico-judiciaire qui a duré trois ans entre Ousmane Sonko et le pouvoir, a coûté la vie à 62 Sénégalais selon Amnesty International, principalement à Dakar et dans la région de Ziguinchor au sud du pays.

« Rien ne pourra remplacer l’être cher que j’ai perdu », renchérit Ndèye Lo. La mère de famille, estime que des sanctions pénales contre le bourreau de son fils ne pourraient qu’atténuer son amertume. Elle espère tout de même que le président qui sera élu le 24 mars fera de la justice son principal chantier.

« Je conseille au futur président d’avoir de la compassion pour les Sénégalais. Un président doit être un serviteur au bénéfice du peuple. Il y a beaucoup de choses à remettre en ordre dans ce pays. Je prie pour qu’il ait un grand cœur, qu’il œuvre pour la justice et pour la paix », espère-t-elle.

Abroger l’amnistie
Ndèye Lo peut tout de même garder espoir pour que justice soit rendue à son fils. Amnesty International, qui documente les victimes des troubles politiques au Sénégal depuis le début de l’escalade en mars 2021, ne compte pas s’arrêter avec l’amnistie. L’organisation de défense des droits de l’Homme accompagne les familles des personnes décédées, en les mettant en rapport avec des avocats et en documentant les circonstances dans lesquelles leurs proches ont été tués.

« Nous considérons que la loi d’amnistie est une prime à l’impunité, une garantie de répétition de ces évènements, un gage donné aux forces de défense et de sécurité de tuer impunément », déplore Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty Sénégal.

« Ce qui est grave, c’est que les faits qui ont été amnistiés n’ont pas été jugés, les victimes n’ont pas été indemnisées et cela est inacceptable » ajoute-t-il.
Seydi Gassama attend beaucoup de l’élection du 24 mars. « Nous voudrions que le futur président abroge cette loi. Nous sommes en train de travailler avec les familles pour porter cette affaire devant la cour de justice de la Cédéao et le comité des droits de l’Homme des Nations unies ».

Selon Maodo Malick Mbaye, ancien collaborateur du parti au pouvoir, le Parti démocratique sénégalais (PDS), aujourd’hui en retrait de la vie politique, cette loi d’amnistie était pourtant nécessaire pour apaiser le climat politique et social. L’expert en médiation internationale et président du Groupe d’Initiative pour une Médiation à l’Africaine (GIMA) salue une volonté de pacification de l’espace public.

« La loi d’amnistie a été diversement appréciée. Elle a suscité des clivages dans l’opinion. Toutefois, elle a été votée par l’Assemblée nationale, ce qui lui confère une réelle force de loi. Ses effets sont déjà visibles avec une décrispation suivie d’une série de libérations dont la plus spectaculaire est celle du leader politique Ousmane Sonko et son candidat Bassirou Diomaye Faye, explique-t-il. C’est justement cette amnistie qui nous permet aujourd’hui de vivre un processus électoral pacifique et prometteur pour notre démocratie. Nous saluons le courage et la perspicacité de l’initiateur de cette loi d’amnistie, en l’occurrence le chef de l’État Macky Sall ».

Même si elle a provoqué un grand émoi au sein de la population, la loi d’amnistie a été peu abordée durant la campagne électorale. La justice est en tout cas l’un des thèmes les moins discutés par les candidats à la présidentielle, même si dans les différents programmes des 18 prétendants au fauteuil présidentiel, des promesses d’une magistrature plus indépendante et plus efficace ont été mises en évidence.

Par : Elimane NDAO

Source France24
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