Médina Yoro Foulah : Cette partie du Sénégal si proche et si loin…
Partir à la découverte de Médina Yoro Foulah, appelé MYF, n’est pas une mince affaire. Il faut se doter d’une âme voyageuse et avoir des nerfs d’acier. Situé à seulement 85 kilomètres de Kolda, ce vaste département qui manque de pratiquement tout, semble si éloigné du Sénégal, mais si proche de la Gambie où les populations locales préfèrent se rendre pour des soins médicaux ou faire leurs achats. Dans ce patelin qui regorge d’immenses potentialités, mais qui demeure si démuni, jeunes, vieux et femmes partagent tous le même rêve : celui du désenclavement intégral, une priorité vitale.
Médina Yoro Foulah, ce n’est pas la porte d’à côté. La seule évocation de ce nom laisse penser à son éloignement, son isolement. Mais il faut y aller pour se rendre compte de la galère des populations. Pour accéder à cette localité, distante d’environ 85 kilomètres de Kolda, c’est la croix et la bannière. Il faut emprunter des pistes cahoteuses dans un état de délabrement très avancé. En cette matinée du mois de septembre pluvieux, nous rallions Dabo distant de Kolda d’une cinquantaine de kilomètres. La route construite par le Peuple américain n’a rien à voir avec le tronçon qui sépare Dabo de Fafacourou. C’est une piste latéritique, cahoteuse et dangereuse.L’air pur émane des forêts. La verdure atténue le calvaire. De temps en temps on peut voir des babouins traverser la route par groupes. Une forêt d’une grande superficie, située avant les hameaux annonçant Fafacourou, impose le silence. Au bout de deux heures, on aperçoit l’antenne de Fafacourou. De là, nous engageons une autre piste aussi cahoteuse que la précédente. La route est une succession de flaques d’eau, les unes plus profondes que les autres. La probabilité d’un embourbement est réelle. Chaque traversée d’une grosse flaque est une victoire contre l’éloignement et le découragement.
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Au bout d’un trajet éprouvant de plus de deux heures, Médina Yoro Foulah étale sa grimace effrayante. Ce coin léthargique, triste, affiche un tableau démoralisant avec des maisons en ciment et des chaumières qui se disputent les espaces des deux côtés de la rue. Le chemin nous conduit tout droit au garage. C’est le point de départ du peuplement de Médina Yoro Foulah. « Voici le « tabana ». C’est ici que le chasseur qui venait de la Gambie s’était installé. La nuit, il entendait plusieurs bruits. Il s’appelait Yoro Foulah », narre Demba Dème.
Les signes prémonitoires d’une agglomération
Cette diversité de bruits était un signe pour ces personnes âgées trouvées sur le mirador prémonitoire de la diversité des ethnies qui vivent aujourd’hui en harmonie dans ce chef-lieu de département. Ces bruits avaient alors conforté le chasseur mystique à fonder le village. « Il savait que cette localité allait devenir une grande agglomération. Aujourd’hui, vous avez des Peuls, des Mandingues, des Sérères, des Bassaris, des Diolas, des Wolofs, des Mancagnes », fait savoir Mamadou Sylla. Le site et les environs, rapporte-t-il, étaient une forêt dense où l’on pouvait trouver toutes sortes d’animaux, y compris des lions. La localité garde encore les reliques de ces forêts tropicales. Sur le mirador, tous ont conscience qu’elles sont menacées et laissent planer des incertitudes sur les activités économiques comme l’agriculture et l’élevage. « La forêt a beaucoup reculé. Auparavant, nous faisions paître les vaches là-bas où est implantée l’antenne. De nos jours, il faut parcourir au moins sept (7) kilomètres pour trouver un endroit où il y a suffisamment de pâturages », regrette Moussa Diallo.
Des difficultés à la pelle
À Médina Yoro Foulah, les populations ont l’impression de vivre à une autre époque, un autre siècle. Le chômage proverbial des jeunes, la pauvreté indicible qui torture les populations, l’enclavement et l’isolement ont fini de les plonger dans un sous-développement oppressant.
Pour Tidiane Ndiaye, secrétaire général du Conseil départemental, Médina Yoro Foulah constitue un énorme paradoxe. « C’est un département immensément riche, mais très pauvre. L’ambition des acteurs de développement, c’est de lever ce paradoxe-là, et transformer ces immenses potentialités en richesses réelles et que les populations puissent en bénéficier », indique-t-il.
L’éducation, souligne-t-il, est aussi un secteur à problème. « Médina Yoro Foulah a deux lycées, mais celui qui se trouve dans la commune est entièrement en abris provisoires ». Le hic, selon M. Ndiaye, est que ces abris provisoires ne répondent même pas aux normes. « Les élèves pensent qu’ils sont laissés pour compte. Chaque jour, ils font des kilomètres sous le chaud soleil pour venir étudier. Ils ferment les premiers à cause des pluies qui tombent en juin et ouvrent les derniers », déplore-t-il. L’autre difficulté, c’est la question de l’énergie. Pour Harona Baldé de Pata, l’électricité constitue un luxe dans ce département. « Il y a onze communes, mais il n’y a que Médina Yoro Foulah et Pata qui ont le courant et ce n’est pas continu. Badion, Kéréwane, Koulinto, Ndorna, Bignarabé, Bouroucou, Dinguiraye Fafacourou, Niaming sont dans le noir depuis la nuit des temps », explique-t-il. Selon M. Baldé, tout est urgence à MYF. Surtout le problème de l’insécurité, avec la porosité de la frontière. « Si la coupe du bois s’est accentuée à MYF, c’est à cause de l’absence de sécurité. Cette question demeure une urgence », souligne-t-il.
Pour Oumou Baldé de Pata, les femmes vivent à l’époque de la pierre taillée. « Elles ne connaissent que les champs et sont complètement déconnectées de la réalité. Le constat aujourd’hui est que beaucoup de mariages ont volé en éclats à cause de la pauvreté. Les parents n’arrivent plus à assurer l’éducation de leurs enfants, faute de moyens. Ici, quand on a de l’argent, on pense d’abord à la nourriture et à la santé. On n’a pas de quoi acheter des fournitures car les priorités sont ailleurs ». Du côté des jeunes, c’est le désespoir. Comme Modou Kabirou Kane de Dinguiraye, nombreux sont les jeunes de cette bourgade à voir leur avenir s’assombrir. Certains ont même préféré rejoindre les centres urbains à la recherche d’un autre moyen de survie, fuyant ainsi la léthargie régnant à MYF.
« La situation est critique. Heureusement qu’il y a la frontière avec la Gambie, sinon nous serions morts », indique-t-il. « Les jeunes ne bénéficient pas de formation, n’ont pas les moyens de poursuivre leurs études, ne bénéficient pas de projets, n’ont pas de stade ni d’espace jeune. « Le chômage des jeunes est chronique et pour certains la coupe abusive de bois est la seule alternative », dénonce-t-il.
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