L’Union des magistrats sénégalais juge son indépendance : Le cri du cœur de l’Ums

Le malaise est profond. Les critiques pleuvent sur le fonctionnement de la justice. Des critiques qui font mal aux magistrats. A l’effet d’y apporter des correctifs, l’Union des magistrats sénégalais tient, depuis hier, un colloque sur l’indépendance de la justice.

Une rencontre de haut niveau. Des communications relevées. Venus de toutes les professions qui gravitent autour de la justice, ils ont cogité sur le devenir de ce troisième pilier de la République. Magistrats, avocats, universitaires, auxiliaires, notaires, société civile, tous sont en conclave, depuis hier et pour deux jours, au Méridien Président, pour discuter de cette problématique essentielle dans la vie d’une nation.

Comme le rappelle si bien le président de l’Ums, citant respectivement Portalis (père du Code civil français) et Garcassone (spécialiste du Droit constitutionnel), “la justice est la première dette de la souveraineté’’, “l’indépendance est la première dette de la justice’’.

Depuis son accession à la souveraineté internationale, le Sénégal s’est attelé à mettre en place une institution judiciaire performante. Pour son indépendance, Souleymane Téliko a fait un vibrant plaidoyer. Son discours est plein d’engagement. Il plonge la salle dans un silence glacial.

Ainsi, à ceux qui réduisent le problème d’indépendance de la justice à un simple problème individuel, il rétorque sur un ton empreint d’émotion : “On ne saurait se contenter de réduire l’indépendance de la justice à l’esprit d’indépendance du magistrat. Il ne faudrait pas, en effet, oublier que le magistrat n’est, après tout, qu’un agent de l’Etat. Un Etat qui peut être fort, oppresseur et hostile à toute velléité d’expression de l’indépendance. Combien sont-ils (les magistrats) à avoir payé de leur carrière et même de leur honneur, pour avoir pris l’option résolue d’exercer leur office en toute indépendance ?

A tous ceux qui, au sujet de l’indépendance, renvoient le magistrat à sa liberté, je voudrais rappeler, en m’inspirant de Lacordaire, homme de Dieu, journaliste engagé et homme politique connu, qu’”entre le fort et le faible…’’, je dois ajouter qu’entre l’Etat et le juge, “c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit’’. Pour Souleymane Téliko, “les magistrats qui ont décidé, au nom de la justice, de se conformer, en toutes circonstances, à leur serment et à leur conscience, doivent être protégés. Non point pour leurs intérêts individuels, mais dans l’intérêt supérieur de la justice et des justiciables’’, poursuit-il sous le regard des officiels et hauts magistrats de la République.

Poursuivant, il interpelle directement les autorités assises au présidium, pour une justice exemplaire “au-dessus de tout soupçon’’. Ainsi seulement, estime le magistrat, la justice pourrait “préserver son honneur devant les autres pouvoirs et sa crédibilité devant les citoyens’’. “Le mal-être des magistrats…’’ Souleymane Téliko de citer aussi bien les pouvoirs occultes, d’ordre financier, religieux ou confessionnel. Mais surtout, précise-t-il, “vis-à vis du pouvoir qui est le plus porté à la tentation de le contrôler : l’Exécutif’’.

Cela dit, le président de l’Ums reconnait que tout ne dépend pas des textes. L’indépendance est, en effet, une affaire de “valeur personnelle’’. “Quand, dans le secret de son bureau, le magistrat se trouve partagé entre ce que lui dicte la loi et les désidératas du pouvoir, de sa famille, de ses proches, la décision qu’il va prendre dépendra de son attachement aux valeurs d’éthique et de déontologie qui, en tous lieux, devraient constituer la boussole du juge impartial et désintéressé’’. Il faut, selon lui, promouvoir “le mérite, l’intégrité et la compétence.

C’est la seule voie de salut pour une justice qui aspire à jouer son rôle dans la grande aventure à laquelle nous convient légitimement les autorités de ce pays, celle de l’émergence’’. Puis, le président de l’Ums est revenu sur le mal-être de ses collègues.

Des collègues qui ne sont pas contents des multiples critiques qui leur sont adressées. “Les critiques sont de plus en plus nombreuses. C’est une lapalissade que d’affirmer que ces attaques ne font guère plaisir aux acteurs judiciaires que nous sommes. Mais c’est encore plus préoccupant lorsqu’on pense qu’il pourrait s’agir des prémices d’une rupture de confiance entre nos concitoyens et leur justice. Rappelons-nous, à cet égard, la célèbre mise en garde de Balzac : “Se méfier de la magistrature et mépriser les juges, c’est le commencement de la dissolution sociale’’, déclare-t-il, avant d’ajouter : “L’honneur de la justice, notre devoir à nous, acteurs judiciaires, est de veiller à préserver cette belle image qu’elle n’aurait jamais dû perdre aux yeux de nos concitoyens. Considérons donc ces critiques comme autant d’appels de détresse et non point comme de la défiance et réfléchissons ensemble, sereinement, à la manière de restaurer notre commun vouloir de vivre ensemble.’’

Pour Souleymane Téliko, une partie de la solution à ce “malaise profond’’ passe “indubitablement par une meilleure gestion de la carrière et un renforcement des garanties de l’indépendance de la justice’’. Il y va, selon lui, de l’intérêt de tous, “du citoyen dont la liberté et l’honneur sont souvent suspendus à la décision du magistrat, de l’homme politique qui est conscient que la justice peut consacrer son ascension ou précipiter sa chute et de l’investisseur dont les soucis premiers, à savoir la sécurité judiciaire et la performance, sont intimement liés à la qualité du service public de la justice ».

 

EnQuete

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