Hommage : 30 août 2010-30 août 2021, 11e anniversaire de la disparition du PR Souleymane Niang, ancien recteur de l’Ucad 1986-1999. En guise d’hommage renouvelé, nous publions ce texte de M. Kalidou Diallo, Historien et ancien Ministre de l’Education Nationale. Onze (11) ans après sa disparition, coïncidant avec l’annonce par le Chef de l’État, Macky Sall, de la création de l’Université de Matam qui va porter le nom du Recteur Souleymane Niang.
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«Je voudrais faire ce témoignage non point, en tant que ministre de l’Enseignement Préscolaire, de l’Elémentaire, du Moyen Secondaire et des Langues Nationales du Sénégal, mais en tant que membre de la grande famille de Thierno Amar Baila Niang de Doumga Ouro Alpha, ayant vécu une expérience personnelle dans cet environnement familial.
Je me revois jeune élève, au collège de Matam de 1968 à 1972, quand j’étais le petit fils chéri, le garçon de confiance de la généreuse mère de Souleymane Niang, Mama Couro Baïdy, pour qui je lisais et écrivais les courriers de celui qui allait devenir l’une des plus grandes figures de l’intelligentsia de ce pays ; elle disait souvent : « Sidi Mariam, comme on me nommait au village d’origine de ma mère, viens lire pour moi car tu ne rapportes pas, toi ! »
Et ce fut ma première rencontre avec lui ; il communiquait régulièrement avec sa mère et sa famille.
En cela, il a été mon premier modèle et ma carrière a été profondément marquée par cette sublime rencontre.
Lorsque je suis devenu enseignant au Département d’Histoire à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’université de Dakar en octobre 1996, syndicaliste, membre de l’Assemblée de l’Université au nom du Syndicat Unique et Démocratique des Enseignants du Sénégal (SUDES), j’ai découvert une autre dimension de l’homme, celle d’un être éminemment intelligent, parfaitement à l’aise dans le dialogue et la négociation, alliant avec dextérité, souplesse et rigueur, fermeté et ouverture. J’ai beaucoup appris de lui en tant que syndicaliste et je tire aujourd’hui la leçon comme ministre, pour dialoguer sans complexe avec la communauté éducative.
A la fin de ces années soixante-dix, j’entendais les gens dire de lui que c’était un brillant mathématicien, voir un génie, au talent naturel, qui a terminé ses études en France, qui s’est marié avec une femme blanche, et qui pourtant, chaque mois envoyait une partie de ses ressources à ses parents restés au Fouta.
Il me revient à l’esprit ma propre expérience car, mon père avait tout fait pour me faire sortir « de l’école des blancs » qui, disait-on au début des années 1960, fabriquait des athées, des déracinés et des fils perdus.
Je me suis dit, alors que cet homme de génie, allait être pour moi, une référence, un exemple pour aller le plus loin possible, car je venais, à l’époque, de perdre mon papa, alors que je n’avais que quinze ans, tandis que mes cinq autres jeunes frères et sœurs avaient entre un an et onze ans. Notre père nous avait laissé certes quelques têtes de bœuf, un grenier de mil et une pension de réversion jamais perçue !
Je me suis dit alors qu’il fallait faire comme lui, travailler, aller vite afin d’aider moi aussi ma mère et devenir plus tard comme lui professeur d’université.
J’ai toujours été un élève moyen avec comme ambition de devenir un éleveur, agriculteur ou tout au plus un émigré. Et c’est avec lui que le déclic s’est produit ; et à partir de la classe de 5,ème j’ai pu TOUJOURS FAIT partie des trois premiers de ma classe, grâce à cette ambition, acquise par admiration et par un effet de contamination hautement positif.
Cette première rencontre m’a donc permis de comprendre et de prouver que l’école française n’était pas, comme on le disait, un lieu de déperdition et j’ai mesuré son attachement à sa maman, à sa famille, à ses frères, sœurs, demi-frères et à sa tante Couro Cheikh kANE aussi généreuse que discrète.
Comme on le voit donc, Souleymane Niang a été mon premier modèle et ma carrière sera profondément marquée par ma rencontre avec lui. Après le Brevet en 1972, j’entre à l’école normale régionale de Saint-Louis, à l’internat, avec une bourse de 1000f par mois, la 1ère année, 2000f la deuxième année, 5000f la 4ème année ; et tout comme lui, je virais la quasi-totalité de la somme à ma mère.
On nous interdisait de passer le Baccalauréat pour faire respecter notre engagement décennal. Sorti en 1976, affecté comme Directeur d’école à Diandioly commune de (Og à Matam), je passe le baccalauréat en candidature libre à Saint-Louis en 1979. Après la grève du SUDES, le 13 mai 1980, j’ai été affecté en Casamance à quatre postes différents l,année suivante pour non-respect de la réquisition de tous les directeurs d’école :IRE de Ziguinchor ,Ecole Manguiline1 à la sortie de Bignona sur la route menant à Dioulou, village de Bougoutoub près de Diango, retour à Bignona commune en mai-juin 1981. Je me présente au concours des normaliens Instituteurs ouvert aux enseignants bacheliers titulaires du CAP. J’ai eu la chance de sortir major de ma promotion sans jamais redoubler, de la 1ère année à l’année de maîtrise d’histoire, tout cela par une sorte de fascination de l’homme, pour aller dans son sillage. C’est ainsi que j’ai pu obtenir le DEA en 1986, le CAES en 1987, devenir professeur de lycée à partir de cette date et m’inscrire la même année en thèse (sur le syndicalisme enseignant) ! En 1989, je pars en mission de recherche à Moscou sur la Perestroïka et la Glasnost avec une bourse du PIT dont j’étais membre du comité central. En 1992, ce fut une mission de documentation sur les Syndicats français et africains, en France à Aix – en – Provence et à Paris avec un billet offert par un cousin émigré en France. Enfin en mai 1996, je soutiens ma thèse de 3ème cycle et je le rejoins aux portes de l’université ; la même année en octobre trois postes sont ouverts au département d’histoire avec 13 candidatures : je fus des trois. Et mon recrutement porta la signature du Recteur Souleymane Niang !
Voilà que le jeune élève de Danthiady, petit fils par alliance de Couro Baïdy, ayant comme modèle le fils de Couro Baïdy, va s’ouvrir alors à une seconde rencontre et une nouvelle découverte d’une autre dimension de l’homme Souleymane Niang !
Je le connaissais, moi, syndicaliste, membre du Bureau National du SUDES, chargé des revendications du moyen secondaire, lorsque trois ministres se succédaient à l’Education en trois ans (Ibrahima Niang, son demi-frère, Djibo Ka et André Sonko) ; la crise universitaire s’était accentuée avec la naissance et le développement du SAES qui luttait, pour la revalorisation de la situation des universitaires.
Je le savais de loin grand négociateur, ouvrant toujours des pistes de consensus avec des trouvailles dont lui seul avait le secret !
J’en veux pour exemples : l’Indemnité Spéciale de Formation-Recherche qui a contribué à décrocher les enseignants du Supérieur des autres ordres d’enseignement, permettant ainsi de les revaloriser sans d’autres contraintes statutaires ; ou encore la Prime Académique Spéciale ! Entre- temps je suis devenu coordonnateur des revendications du Sudes, couvrant tous les ordres d’enseignement du Préscolaire au Supérieur ainsi que les enseignements spécialisés. Nommé assistant à l’université, les revendications du Supérieur intègrent de fait mon champ de compétence et d’action. Me voilà donc membre de l’illustre Assemblée de l’Université, en face du Recteur Souleymane Niang. Je savais déjà que depuis 1986, date de sa nomination comme recteur, il a pu résister à la montée en puissance du mouvement étudiant à travers le Comité de Lutte et la CED, mais également à la radicalisation du SAES avec la longue grève de 1989 dirigée par Bouba Diop.
Et pourtant, avec des syndicalistes aussi bouillants que radicaux parce que portés par une base d’universitaires frustrés, prêts à en découdre avec le pouvoir, Souleymane Niang joua un rôle de véritable protecteur des enseignants ; il lui a fallu beaucoup de fermeté, avec la Réforme universitaire de 1994 pour mettre fin :
• Au système de cartouchard (redoublement à vie, imposé par Jean Collin en 1983, sans la caution des instances pédagogiques et académiques de l’Université) ; dans le même sillage, la note éliminatoire avait été supprimée, sauf en Faculté de Médecine et la note à conserver pour la session d’octobre passa de 12 à 10.
• Au système d’assistant à vie, en imposant un délai de six ans maximums pour devenir maître assistant sous peine de radiation
• Aux prestations gratuites illimitées du COUD pour des étudiants à vie et même des non étudiants.
Il fallait être comme lui, un homme refusant l’enfermement institutionnel et prônant le dialogue et l’ouverture, un être charismatique, plein de finesse d’esprit pour sortir l’Université de l’ornière.
D’ailleurs, le mouvement étudiant n’a pu y résister et a traversé une phase de léthargie pendant trois ans avant de connaître un sursaut en 1997 avec le comité de gestion de crise (CGC), et la nouvelle génération des Meïssa Touré et Abdoul Aziz Diop !
Il a su mettre les organisations syndicales du Supérieur (SAES, SUDES et plus tard le SYPROS) dans de bonnes conditions de travail, en leur offrant chacun, dans l’enceinte du camp Jérémie, un siège équipé, une secrétaire et une ligne téléphonique et internet, à la charge du Rectorat ; il a également aidé au développement des coopératives d’habitat, de la mutuelle des enseignants et du personnel du Supérieur, une coopérative de consommation, grosso modo, d’ un véritable syndicalisme de développement. Toutes ces mesures ont certainement contribué, en augmentant la capacité de recherche et de publication des enseignants, à maintenir l’Université Cheikh Anta Diop, dans le cercle restreint de l’excellence.
Si l’UCAD a pu maintenir ce cap, depuis 1994, année invalide, pour être classée selon le baromètre de Shanghai parmi les 13 meilleures universités d’Afrique et parmi les 100 premières du monde, il y a lieu d’y reconnaître la marque de cette figure, désormais emblématique, de l’histoire de l’Université de Dakar.
C’est là que j’ai compris que le syndicalisme n’est pas que grèves, mouvements de masses mais que c’était aussi et surtout de l’expertise, du doigté, de la finesse et de la souplesse ; j’ai été complètement reconverti dans mon action syndicale avec cette expérience et sa manière de diriger l’Assemblée de l’Université à laquelle il avait imprimé son auguste personnalité ! Le Recteur Souleymane Niang avait toujours la capacité, de par sa personnalité à trouver, auprès des autorités, les ressources nécessaires pour respecter les engagements qu’il prenait, ce qui du reste fut un héritage lourd pour ses successeurs.
Qui d’autre aurait tenu tête, au mouvement étudiant dopé par le Sopi triomphant des années 90 avec les Diagne FADA, à la déferlante du SAES ?
Il était maître du jeu académique, par son envergure scientifique nationale et internationale, maître du jeu stratégique, à travers sa capacité à déjouer les plans des acteurs syndicaux, maître du jeu tactique, en ce qu’il pouvait être opérationnel avec des réseaux organisés et maîtrisés !
Devenu ministre de l’Education, instruit par Monsieur le Premier Ministre, afin d’appliquer la vision de Son Excellence Monsieur le Président de la République, en matière d’éducation, la grande leçon du maître Souleymane Niang a toujours inspiré mes réflexes, lorsque je mets en avant le principe d’ouverture tous azimuts, développant l’esprit de compromis et traçant des pistes de concertation.
Sur ce plan, je puis reconnaitre le Recteur Souleymane Niang comme l’un de mes maîtres en syndicalisme, aussi paradoxal que cela puisse paraître !
Je pense en mon âme et conscience qu’une université sénégalaise devrait porter son nom, comme lui s’était battu pour Cheikh Anta Diop (UCAD et IFAN ! ; et pourquoi pas, un autre lieu représentatif dans l’UCAD !
Comme on le voit donc, j’ai perdu ce 30 aout 2010, une référence, un modèle, un maître à la fois syndical et académique ! Et le Sénégal perd le symbole même de l’universitaire universel, un homme multidimensionnel, une figure scientifique hors pair, un intellectuel (celui –là dont l’humilité se le dispute avec l’immense envergure scientifique !), un citoyen modèle, un mathématicien formé aux valeurs socio – culturelles de son terroir et de son pays, bref un symbole pour la jeunesse, une richesse patrimoniale !
Je présente mes condoléances à tante GIGI, ses enfants et à toute la grande famille de Thierno Amar Baila.
Que la terre de Yoff lui soit légère» !
Kalidou Diallo, Ministre de l’Enseignement Préscolaire, de l’Elémentaire, du Moyen Secondaire et des Langues Nationales. (Septembre 2010)