REPORTAGE – Moulage de briques : Un métier en quête de formalisation

Issu du boom immobilier à Dakar, le métier de production de briques artisanales emploie aujourd’hui des centaines de personnes dans les nouvelles agglomérations de l’extrême banlieue dakaroise. Entre paiements dérisoires, conditions précaires et informelles, volume de travail lourd, ces travailleurs trinquent en silence et au grand mépris des Sénégalais…

À l’ère de la forte urbanisation de la région de Dakar, de nouvelles agglomérations ne cessent de se former, et de manière exponentielle, dans l’extrême banlieue. Jadis constituées de villages traditionnels, les périphéries de la capitale sénégalaise se sont transformées en véritables centres urbains grâce à l’étalement urbain des cités qui y ont été construites, à partir de 2005, par l’ancien régime du président Abdoulaye Wade.

Comme corollaire à cette nouvelle configuration, les activités de construction immobilière y sont florissantes. Par conséquent, cette zone est aujourd’hui le point de chute de nombreux jeunes issus de l’intérieur du pays. La plupart, sans formation, ni compétences professionnelles, s’adonnent au métier de «moulage de briques». Cependant, cette activité, quoique très pénible, constitue une planche à salut pour de nombreuses personnes : anciens chauffeurs, commerçants reconvertis, jeunes militaires libérés, élèves, étudiants, etc.Moulage de briques, Un métier en quête d'une formalisation (2)

Dans les nouvelles cités de Darou Thioub, Plan Jaxaay, Tivaouane Peulh en passant par Keur Ndiaye Lo, Ndiakhirate, ou Bambilor, etc. des hommes de tous les âges et de tous bords s’activent dans la production de briques artisanales. La raison est quasi unanime : l’espoir de trouver un moyen de subsistance.

Les laissés pour compte du secteur des BTP

Toutefois, ce métier s’accompagne de nombreuses difficultés. Entre paiements dérisoires, conditions de travail difficiles, manque de considération, charges de travail trop lourdes, ces travailleurs se disent être les parents pauvres de la chaîne de valeur de l’immobilier sénégalais. Parmi tous les maillons de la chaîne des activités de construction, seuls les mouleurs ne sont pas à la limite reconnus. «On se tape toujours la portion congrue. Le maçon, le ferrailleur, le peintre, le plombier ou le menuiser sont tous engagés sur la base d’un contrat. Mais, pour le mouleur, on le considère toujours comme un informel. Alors que nous faisons la partie la plus pénible. Nous occupons une position déterminante dans les activités de construction», a fait savoir Aliou Samb, qui pratique ce métier depuis 2005.

Pour lui, avant qu’un édifice prenne forme, il est nécessaire de faire recours à un mouleur. Mais, force est de constater que «le mouleur n’est pas encore considéré comme un professionnel qui est partie intégrante du secteur des bâtiments et travaux publics (BTP)», ajoute celui qui s’apprête à raccrocher, après près de 18 ans de pratique.

Si Aliou Samb songe à raccrocher, Souleymane Ba, pour sa part, a fait son retour après avoir échoué dans son commerce qu’il tentait de fructifier entre le Mali et le Sénégal. «J’avais abandonné ce métier pendant presque deux ans. C’est en 2020 que je suis revenu. Je peux dire sans peur de me tromper que tous ceux qui exercent ce métier le font aujourd’hui sous contrainte. Là où je travaille, s’il y a contrainte budgétaire, on décide toujours de surseoir au paiement des mouleurs. Alors que nous dépendons quotidiennement de notre paie», déplore ce chargé de la production des briques artisanales dans une entreprise immobilière située à Tivaouane Peulh. Moulage de briques, Un métier en quête d'une formalisation (3)

En outre, compte tenu de la conjoncture économique, ils sont obligés de doubler le volume de travail journalier pour s’en sortir. Selon ce père de famille, en raison des paiements insuffisants, ils sont contraints de transformer 20 à 30 sacs par jour. «Chaque sac transformé nous revient à 300 en moyenne. Une somme dérisoire. Une situation qui nous amène à se taper une quantité de travail préjudiciable à notre état de santé. Au lieu de 10 sacs chaque jour, on peut aller jusqu’à 30 sacs. Ce qui est très lourd et épuisant», se désole cet originaire de Dahra Djolof.

Le travail dure toute une journée sous le chaud soleil et sans pause. «Ce qu’on fait n’est pas digne d’un être humain. Du matin au soir, on se tue à la tâche sans repos ni fêtes, ni week-end. Il n’y a aucune organisation pour formaliser le travail avec une rémunération qui permet aux gens qui s’y activent d’avoir un traitement humain. Nous vivons dans un cercle infernal sans issus», ajoute Souleymane Ba. Mbacké Ndiaye, un autre mouleur, souligne le manque de protection de ses pairs. Selon lui, aucune organisation ou syndicat ne s’intéresse à leur sort. «Nous sommes les laissés pour compte de la société sénégalaise. On est livré au diktat des employeurs. Personne ne s’intéresse à nous. Nous sommes laissés à la merci des patrons. Taillables et corvéables à merci», peste-t-il.

En plus, d’après toujours cet homme à la quarantaine révolue, leur supplice s’accentue pendant la saison des pluies. «En hivernage, il arrive que la pluie fasse fondre toute une journée de travail. Et souvent, on nous demande de rembourser la totalité. À défaut, on reprend le travail le lendemain. Ce qui est un grand manque à gagner. Sommes-nous obligés de payer pour les aléas climatiques sur lesquels nous n’avons aucun contrôle», s’interroge-t-il avant de pointer la nécessité de formaliser ce métier qui emploie des milliers de jeunes issus de divers horizons.

Originaire des Îles du Saloum, Lamine Diakham a exercé ce travail après deux ans de service militaire. Libéré et renvoyé par l’Armée dans son foyer à l’expiration de son temps de service actif, lamine s’est rabattu à l’époque sur ce métier qui lui a servi de bouée de sauvetage pendant deux ans. De son avis, les services compétents de l’État doivent intégrer cette profession dans le programme «xëyu ndawñi». Ce, pour permettre aux jeunes désœuvrés d’avoir un emploi rémunérateur à court terme. «J’ai exercé ce métier pendant plus de deux ans. Et de nombreux jeunes y gagnent leur vie en ce moment. Surtout ceux qui proviennent de la campagne. C’est la conséquence de la baisse des rendements agricoles. Soucieux de prendre les charges inhérentes à la famille, des agriculteurs et éleveurs viennent en ville pour s’adonner à ce métier», déclare ce jeune père de deux enfants, qui a été réengagé lors du recrutement de 3000 policiers auxiliaires en 2021.

Les avancées du combat mené dans une association

Face à cette litanie de griefs et de contraintes auxquels ils sont quotidiennement confrontés, ces travailleurs ont essayé de se retrouver autour des associations.

Objectif : parler d’une seule voix pour peser sur la balance des décisions. C’est ainsi que l’association des mouleurs dénommée «Bokk Diome» a été instaurée.

Bathie Sathie, son coordonnateur, se félicite des avancées du mouvement même s’il est miné par des dissensions internes et des défections. «Depuis sa création, le groupement a réussi quelques avancées. Les paiements ont connu une hausse. La tonne de ciment est passée de 5000 FCFA à 7000 FCFA pour les briques creux. En ce qui concerne, les briques ourdies, les prix sont à 8000 FCFA la tonne, au lieu de 6000 FCFA. Et des négociations sont toujours en cours», renseigne Bathie Sathie, qui ajoute que l’objectif ultime est clair : formaliser le métier de mouleur avec des prestations consignées sur des contrats professionnels.

Pour lui, ce métier requiert des compétences professionnelles. «Nous formons des jeunes jusqu’à ce qu’ils maîtrisent tous les contours de moulage de briques traditionnelles. Il y a de nombreux paramètres à prendre en compte : le dosage, la solidité, le respect du nombre de briques convenues, la qualité intrinsèque, l’esthétique, etc. Tout manquement à ces critères susmentionnés peut valoir des déboires ou des sanctions pécuniaires aux mouleurs», précise le coordonnateur de «Bokk Diome» et par ailleurs doyen de ces travailleurs de la terre.Moulage de briques, Un métier en quête d'une formalisation (1)

 

Papa FAYE – laviesenegalaise.com

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