Portrait de Sally Alassane Thiam, le Sénégalais qui a contracté le « virus » du patrimoine

À 30 ans, cet homme de conviction dirige la plateforme digitale WOV Immobilier. Mais il est surtout le PDG d’Afrique Patrimoine, une ONG qui a fait de la restitution des œuvres africaines une priorité.Portrait de Sally Alassane Thiam, le Sénégalais qui a contracté le virus du patrimoine

La scène se déroule le 8 octobre 2021 à Montpellier, lors du sommet Afrique-France. Un jeune homme à l’allure « senghorienne », complet-cravate, petites lunettes rondes, prend à partie le président français Emmanuel Macron : « Monsieur le Président, je suis un peu frustré par le fait que parmi ces jeunes aujourd’hui qui ont représenté le continent africain, la question de la restitution, qui était un de sujets phares de votre discours de Ouagadougou, n’est pas été évoquée ». La question est trop longue, l’animateur Claude Siarr s’impatiente. Le président un peu étonné, prend rapidement des notes, sourit, le cherche du regard et lui répond longuement, avec quelques promesses.

En face, Sally Alassane Thiam tient le micro sans ciller. « J’avais mûri mon plan, explique-t-il. Je ne faisais pas partie des dix jeunes sur l’estrade triés sur le volet. J’étais un invité lambda. Mais je voulais absolument faire passer mon message. Alors, je me suis habillé en diplomate. J’ai passé la sécurité, l’air sûr de moi, et je me suis rapproché le plus possible de l’estrade pour poser ma question que j’avais longuement préparée dans ma tête ».

Dîner au palais
L’échange va finalement durer six minutes, et quelque peu agacer l’écrivain camerounais Achille Mbembé à l’origine de cette rencontre avec la jeunesse africaine très encadrée. Ce jour-là, Sally Alassane Thiam crève l’écran. Il vient en plus de lancer une idée en direct : « L’organisation d’un grand forum international itinérant du patrimoine africain pour faire de la culture un véritable levier de développement économique sur le continent. » « Chiche! » lui répond le président français qui s’engage pour soutenir son projet auprès de l’Unesco.

Dans la foulée, le président sénégalais Macky Sall félicite le jeune impétrant et le convie aussitôt à un dîner au palais de la République lors de la journée du patrimoine mondial africain. « Il m’a chaleureusement tapé sur l’épaule en me disant : “Félicitations pour ce que tu fais pour le patrimoine ! Tu es un combattant !” » Depuis, l’idée a fait son chemin et le forum inédit, calqué sur le modèle du festival mondial des arts nègres inauguré par Senghor en 1966 à Dakar, avec colloques et expositions d’art africain, devrait ouvrir ses portes en décembre dans la capitale sénégalaise. En privé, Macky Sall se réjouit d’un tel événement qui viendra conclure son mandat à la tête de l’Union africaine et remettre le Sénégal au cœur de la planète culturelle.

« L’Afrique doit retrouver son rayonnement culturel dans le monde. Non seulement, elle a été pillée, mais on nous a trop longtemps dénigrés. Sur la totalité des 1 154 sites matériels classés par l’Unesco dans le monde en 2022, seuls 106 sont situés en Afrique. Or nous avons un potentiel énorme de monuments, temples, ruines de tous types, qui mériteraient non seulement d’être connus mais aussi protégés, afin de générer une économie touristique autour, source d’emplois pour les jeunes », explique Sally avec la fougue d’un Nkrumah.

Petits boulots
Fils d’Alassane Thiam, brillant architecte de Dakar et élève du célèbre brésilien Oscar Niemeyer à l’origine de la création de Brasilia en 1959, Sally a eu la chance de grandir dans un environnement culturel porteur. « À la maison, il y avait une bibliothèque où l’on trouvait aussi bien les livres de Cheikh Anta Diop ou d’Aimé Césaire que de beaux ouvrages sur l’art africain ou de grands architectes internationaux ». Titulaire notamment d’un master spécialisé en stratégie numérique et management de projet, Sally aime préciser qu’il s’est construit tout seul : « J’ai grandi au Sénégal, enfant je tapais dans la balle avec les copains du quartier Sicap, puis on m’a envoyé faire une partie de ma scolarité au village, à Ourossogui, tout au nord en pays pulaar. C’était très dur, car j’étais loin de mes parents, mais c’est ainsi que j’ai baigné dans la culture traditionnelle et que j’ai pris le virus du patrimoine. »

À 18 ans, bac en poche, Sally quitte le Sénégal. Direction la France pour suivre des études supérieures en marketing numérique. Il demande à ses parents de ne plus le prendre en charge. Il enchaîne les petits boulots pour financer ses études. L’un de ses plus proches amis, Elzo Jamdong, aujourd’hui célèbre rappeur dakarois, n’a pas oublié : « On était colocataires à Poitiers. Il relisait les textes de mes chansons, m’écoutait, me faisait des retours constructifs. Mais il fallait bosser pour remplir le frigo. Et Sally s’est toujours battu, pas que pour lui, pour les autres d’abord. Je me souviens lorsqu’il a commencé un stage à la mairie de Poitiers et qu’il a rencontré le maire. Il lui a aussitôt mis la pression pour aider davantage les étudiants, les gens du quartier où l’on vivait. Il était déjà, un peu comme moi, le porte-parole des sans voix. Sally a des convictions profondes, il est entièrement dévoué à l’Afrique ». Alassane Thiam son père, nommé par Senghor lui-même inspecteur général des monuments en Afrique, acquiesce avec fierté : « Mon fils est un jeune de sa génération, décomplexé, sérieux et plein de vitalité. Il a la fibre culturelle, il œuvre pour le continent. »

Aujourd’hui, « Monsieur Patrimoine » comme certains le surnomment avec humour, a déjà été récompensé du prix du Best African Young Leader 2021. Et comme si ce n’était pas suffisant, Sally signe ce mois-ci son premier livre : La renaissance du patrimoine africain. Un essai en partie autobiographique tourné vers la jeunesse africaine où il explique que « l’African-attitude» va remplacer la désuète « négritude » de ses pairs. « L’universalisme, je l’ai dans le sang », précise-t-il, « mais l’Afrique doit faire partie de cet univers !»

Source Texte : Par François-Xavier Freland - Jeune Afrique
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