Le Mali en proie à une insécurité croissante

Alors que le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a annoncé sa démission et la dissolution de l’Assemblée nationale dans la nuit de mardi à mercredi après son arrestation par des soldats mutins, ce coup d’État militaire marque une nouvelle étape dans la profonde crise politique qui secoue le pays. Retour sur des mois d’instabilité au Mali, en proie à une insécurité croissante.

Le Mali face à un coup d’État militaire. Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a présenté sa démission mardi 18 août, après son arrestation par des soldats mutins. Alors que les militaires ayant pris le pouvoir promettent des élections générales, ce renversement est l’aboutissement de mois d’instabilité politique depuis les élections législatives de mars 2020. Une crise venue s’ajouter à l’insécurité régnant dans le pays depuis 2012.

Contesté par la rue depuis des mois, le désormais ex-président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a présenté sa démission, ainsi que celle de son gouvernement et la dissolution de l’Assemblée nationale lors d’une allocution transmise dans la nuit du mardi 18 au mercredi 19 août.

Le correspondant de RFI à Bamako, Serge Daniel, a fait état d’une situation plutôt calme dans les rues de la capitale malienne, mais « avec un dispositif de sécurité renforcé ». Les organisateurs du coup d’État militaire, « des officiers supérieurs », ont rapidement annoncé qu’ils voulaient mettre en place un gouvernement civil de transition chargé d’organiser de nouvelles élections.

« Si la mutinerie ne pouvait pas être prévue, on voyait qu’il y avait une fatigue de la population par rapport au président », explique la chroniqueuse internationale de France 24 Armelle Charrier. « On avait une gouvernance qui était en train de se déliter : IBK ne prenait pas en main le Mali comme il aurait dû, alors qu’il s’agit d’un des plus grands États d’Afrique mais aussi l’un des plus pauvres », résume-t-elle.

Depuis fin mars 2020, une coalition hétéroclite de chefs religieux, politiques et de la société civile, le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques du Mali (M5-RFP), réclamait le départ du président Keïta, élu en 2013 puis réélu en 2018 pour cinq ans. Malgré de nombreuses propositions de médiation, notamment de la Coopération économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), l’opposition a refusé toute concertation à plusieurs reprises.

Fin mars : législatives contestées après l’enlèvement du chef de l’opposition
Le 26 mars 2020, le chef de l’opposition Soumaïla Cissé est enlevé en pleine campagne législative. Des jihadistes présumés sont mis en cause pour ce rapt sans précédent pour une personnalité de cette envergure. Toujours en captivité en août, Soumaïla Cissé « va bien », a répété à plusieurs reprises IBK.

Trois jours plus tard, le 29, le premier tour de ce scrutin a lieu, maintenu malgré l’apparition du coronavirus. Le second tour se tient le 19 avril, mais le vote est marqué par des violences : enlèvements d’agents électoraux, pillages de bureaux de vote et explosion d’une mine, entre autres, font neuf victimes.

Le lendemain du second tour, la Cour constitutionnelle inverse une trentaine de résultats, dont une dizaine au profit du parti du président IBK. « C’est l’élément déclencheur de la colère, selon le spécialiste de l’Afrique de France 24 Nicolas Germain. Mais vous avez une colère plus profonde, avec l’opposition qui dénonce un régime corrompu, ainsi que les violences jihadistes dans le nord et le centre du pays et les violences intercommunautaires. »

Dès début mai, de nombreux Maliens mécontents battent le pavé.

Fin mai : alliance contre IBK
Face à la gronde, l’influent imam conservateur Mahmoud Dicko, des partis d’opposition et un mouvement de la société civile nouent le 30 mai une alliance inédite qui appelle à manifester pour réclamer la démission du président. Ils dénoncent l’impuissance du pouvoir face à l’insécurité, le marasme économique et la décision de la Cour constitutionnelle d’inverser les résultats.

Le 5 juin, les Maliens descendent par milliers dans la rue contre le président.

Malgré l’instabilité, le chef de l’État reconduit à la mi-juin le Premier ministre Boubou Cissé et le charge de former le nouveau gouvernement. IBK ouvre ensuite la porte à un gouvernement d’union nationale. Malgré ces promesses, des milliers de Bamakois réclament à nouveau la démission du président le 19 juin.

Alors que le pays subit une grave crise économique, des images du fils du président et député Karim Keïta font scandale sur les réseaux sociaux début juillet. « On l’y voit sur un yacht de luxe avec des femmes légèrement vêtues, ce qui a accentué la colère des manifestants », résume Nicolas Germain.

Les 7 et 8 juillet, le président indique qu’il pourrait nommer au Sénat des candidats aux législatives qui avaient été d’abord déclarés vainqueurs, puis donnés battus par la Cour constitutionnelle. Le chef de l’État ouvre alors la voie à un réexamen de la décision de la Cour constitutionnelle sur les législatives.

Les dirigeants de la contestation rejettent en bloc les gestes du président et poursuivent la contestation.

Mi-juillet : week-end de manifestations meurtrier
Le 10 juillet, une manifestation à l’appel du Mouvement du 5 juin, placée sous le signe de la « désobéissance civile », dégénère en attaques contre le Parlement et contre la télévision nationale. S’ensuivent trois jours de troubles civils, les plus graves qu’ait connus Bamako depuis 2012.

L’opposition évoque un bilan de 23 morts et plus de 150 blessés. Le Premier ministre, Boubou Cissé, parle lui de 11 morts, alors que l’ONU avance le chiffre de 14 manifestants tués.

Pour tenter d’apaiser le climat, IBK annonce le 11 juillet la « dissolution de fait » de la Cour constitutionnelle.

Fin juillet-début août : échec des médiations et aggravation de la crise
Le 18 juillet, la contestation rejette un compromis proposé par la médiation de la Cédéao, conduite par l’ex-président nigérian Goodluck Jonathan. Cette proposition prévoyait le maintien au pouvoir du chef de l’État.

Le mouvement annonce le 21 juillet une trêve dans son mot d’ordre de désobéissance civile afin que la fête musulmane de l’Aïd al-Adha se déroule dans le calme.

Le 27, les dirigeants de la Cédéao appellent les Maliens à « l’union sacrée ». L’organisation menace de sanctions ceux qui s’opposeront à son plan de sortie de crise, qui prévoit toujours le maintien au pouvoir du président Keïta, mais qui prône un gouvernement d’union et des législatives partielles.

Mais deux jours plus tard, le plan essuie un triple revers : l’opposition réclame à nouveau le départ du président et rejette la main tendue par le Premier ministre. Puis une trentaine de députés, dont l’élection est contestée, refusent de leur côté de démissionner comme le leur a demandé la médiation ouest-africaine.

Le 12 août, des milliers de personnes se rassemblent à nouveau à Bamako, réclamant la démission du président.

Le 17 août, l’opposition annonce de nouvelles manifestations dans la semaine pour réclamer le départ du président, avec en point d’orgue l’occupation d’une place symbolique au cœur de Bamako.

Dans la nuit du 18 au 19, une mutinerie de soldats se transforme en coup d’État. Les militaires qui ont pris le pouvoir poussent le président Ibrahim Boubacar Keïta à la démission. Dans une allocution retransmise par la télévision publique ORTM, le porte-parole des militaires, le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air, a assuré ne pas vouloir garder le pouvoir. Les militaires promettent d’organiser des élections générales « dans des délais raisonnables » afin de « permettre au Mali de se doter d’institutions fortes ».

« Contrairement à 2012 », lors du précédent coup d’État malien, « où c’était des sous-officiers qui avaient fait un coup d’État », cette fois-ci, « quand on voit la première photo des mutins, ce sont des officiers supérieurs », explique Serge Daniel. « Ils font les yeux doux à la communauté internationale au niveau sécuritaire, ce sont des gens qui savent quand même qu’ils sont en train de marcher sur des œufs », décrypte le correspondant de RFI.
La Cédéao a, elle, envoyé un message fort : l’organisation a annoncé la fermeture des frontières régionales avec le Mali après l’arrestation d’Ibrahim Boubacar Keïta. Dans un communiqué, elle a indiqué avoir aussi suspendu l’ensemble des échanges financiers entre ses 15 membres et le Mali, et exclu ce dernier des organes décisionnaires de la communauté.

         Auteur : Henrique VALADARES

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