La chanson « Birima » de Youssou Ndour à l’épreuve de l’actualité sénégalaise

Le 20 septembre au soir, se tenait la Première du conte musical Birima de Youssou Ndour. Une belle création, gâtée par l’action de manifestants en faveur de l’opposant politique Ousmane Sonko, placé en détention fin juillet dernier.

Tout avait pourtant si bien commencé. 20 septembre, peu après 20h00, les dorures du théâtre du Châtelet, au cœur de Paris, résonnaient sous les coups des tambours mandingues. Propulsion immédiate pour la cour du vénéré souverain Birima, « porteur d’allégresse », qui régna de 1855 à 1859, sur le Cayor, royaume précolonial à l’ouest de l’actuel Sénégal.

Sur scène, un sobre décor immaculé et son trône immense, baigné de couleurs successives, propice à l’universalité, accueille le Géew, veillée de la cour royale, « conseil des ministres », auquel le peuple est convié. Griots, chanteurs, ceddo (guerriers), tissent un tourbillon de teintes chatoyantes, un paysage de danses exaltées, le tout porté par la puissance de l’indétrônable Super Étoile de Dakar.

Et puis, il y a sa voix unique au monde, qui surgit et se pose, intacte, jeune et sage, ferme et douce, implacable de justesse… Et son magnétisme. Youssou Ndour, en maître de cérémonie, ici chanteur du roi Birima, dont il a longtemps évoqué les louanges, donne à ces tableaux leur majesté. Et confère un souffle à cette épopée, la Première de son conte, Birima, qui réunit au total une quarantaine d’artistes.

L’histoire s’avance donc sans encombre, en wolof principalement. Ceux qui ne le parlent pas passeront un peu à côté du sens, mais savoureront les tubes du chanteur, qui ponctuent l’aventure : Bess, Baykat, Mole et bien sûr Birima, créée en 1996.

Une conteuse évoque en français « l’art de la parole », « témoin et socle de l’histoire… ». Quand soudain, des cris retentissent depuis les loges du deuxième balcon. À la cour du roi Birima, le peuple s’exprime, pense-t-on. Mais les mots prononcés nous ramènent à l’actualité et aux problématiques sénégalaises de septembre 2023. « Libérez Sonko ! », « Youssou Ndour complice ! », martèlent les meneurs de ce qui ressemble à une échauffourée.

Pour rappel, Ousmane Sonko, principal opposant pour les élections présidentielles sénégalaises de février 2024, de l’actuel chef d’État Macky Sall (qui a annoncé finalement ne pas se représenter début juillet) a été arrêté et placé en détention pour divers chefs d’inculpation le 31 juillet. Quant à Youssou Ndour, il vient juste de démissionner de son poste de ministre conseiller de l’actuel président de la République le 8 septembre.

Intervention de Youssou Ndour
Autant dire que l’actualité brûlante s’est emparée du théâtre ce soir-là, troublant de façon répétée et affirmée, le récit. Seules les chansons ont suscité des applaudissements enthousiastes, une chaleur et une frénésie palpable. Pour le reste, toutes les paroles, les jeux d’acteurs, furent recouverts par les scansions « Libérez Sonko ! » et hantés par une inquiétude tangible du public.

Sur les planches, se devinent des conflits entre un berger et un cultivateur, des batailles interethniques, qui menacent le règne du bon roi Birima… Et puis à l’horizon, la bataille de Mboul, due à une promesse tenue du souverain, se profile. Mais la vraie tension reste décidément dans la salle, où les manifestants tenaces délivrent sans relâche leur parole, malgré l’intervention – pacifique – de la police.

Youssou Ndour ne peut plus les ignorer. L’espace d’un instant, il interrompt sa création. « Votre attention, s’il vous plaît. Il y a des gens ici qui veulent parler. Vous voulez qu’on amplifie votre message ? Vous avez deux minutes ! Ensuite, la Cour pourra continuer. Merci beaucoup pour le respect du spectacle et des spectateurs. »

Un moment, l’autorité naturelle du chanteur paraît agir. Mais après quelques minutes, les cris reprennent de plus belle, à rebours de l’apaisement des problématiques sur scène. En un étrange contrepoint, « l’allégresse » est revenue sur les planches, comme dans une certaine partie du public, et Youssou Ndour entame un gospel, un appel à l’unité « We shall live together ». Mais la colère demeure au balcon. Le conte s’achève avec l’hymne Seven Seconds repris en chœur, avec douceur et ferveur. Lors du salut final, le chanteur reprend la parole : « C’est bien de faire du bruit pacifiquement, mais moi, je voudrais d’abord féliciter ceux qui sont sur scène… »

Au sortir du Châtelet, quatre fourgonnettes de policiers attendaient les spectateurs, la plupart émerveillés par la beauté de la pièce, tous un peu sonnés par l’échauffourée, en colère pour certains devant ce « gâchis d’un spectacle », compréhensifs pour d’autres face à cette « opportunité d’une tribune politique »… Il reste encore trois représentations, jusqu’au 23, pour apprécier pleinement la musique de Youssou Ndour, et l’histoire, riche d’enseignements, de Birima.

Par : Anne-Laure Lemancel

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