Fuites au BAC 2017 au Sénégal : Incompétence ou crime organisé ?

Si l’Office du bac avait opté pour la solution de l’anticipation, sans doute que la fuite massive notée à l’examen du bac 2017 n’aurait pas eu lieu. Mais au-delà de ce cas précis, c’est tout le gouvernement qui a manqué de réaction, car les signaux d’une faillibilité du système se multipliaient d’année en année.

Depuis quelques années, à chaque fois que l’école sénégalaise a occupé les premières places de l’actualité, c’était généralement pour des grèves ou de mauvais résultats. Mais cette fois-ci, les fuites semblent bien décider à prendre le podium. Désormais, ce n’est plus une question de supputation ou de présomption, c’est avéré. À partir de là, l’un des premiers éléments à souligner dans cette affaire, c’est l’absence d’anticipation. Avec les épreuves anticipées de philosophie, les enseignants avait déjà alerté sur des cas de fuite. Mais le ministère de l’Enseignement supérieur avait vite fait de tout dégager d’un revers de main. “Notre objectif était d’alerter pour que le système soit mieux sécurisé. Mais le ministre nous a snobés. Il nous a méprisés à la limite”, regrette Abdoulaye Ndoye.

Ainsi, à la place du renforcement du dispositif, Mary Teuw Niane a opté pour une plainte contre X pour diffusion de fausses nouvelles. Ce qui amène certains responsables à dire que la responsabilité du ministre est impliquée au premier chef. Il lui appartient donc d’en tirer les conséquences qui s’imposent, soutiennent des interlocuteurs. “Il faut sans doute ouvrir une enquête. Mais avant ce travail de la Justice, ceux qui ont la responsabilité morale d’organiser les examens doivent prendre leurs responsabilités”, déclare Souleymane Diallo du Sels.

 Le coordonnateur de la Cosydep abonde dans le même sens et se fait plus clair. “Ceux-là qui sont impliqués devaientallerdanslesensdedémissionner.Ilfautqu’onarrêtedeminimiserdes faits graves. On ne peut pas tirer les leçons avec les mêmes responsables”, dixit Cheikh Mbow. Pourtant, en conférence de presse hier, Babou Diaham le directeur de l’Office du bac a écarté toute idée de démission.

Souleymane Diallo demande alors au chef de l’Etat de prendre les mesures qui s’imposent, en sanctionnant ceux qui sont au premier niveau de responsabilité. Le président de l’Unapees Abdoulaye Fané, lui, veut des investigations sérieuses et des “sanctions exemplaires pouvant aller jusqu’à la radiation des fautifs de la Fonction publique”. Selon plusieurs interlocuteurs, lorsqu’il est question de fraude, ce sont les candidats qui sont les coupables. S’il s’agit de fuite par contre, c’est dans l’organisation, notamment le niveau central. Ce qui fait de Babou Diaham l’homme à abattre. Nombreux veulent le voir partir. Certains disent même qu’il est à la retraite. Mais en tant que prof d’université, faudrait-il d’abord qu’il ait 65 ans. Dans tous les cas, même les étudiants s’en sont pris à lui, réclamant au passage sa démission. Il y a pourtant des voix qui s’élèvent pour prendre sa défense. Un enseignant du supérieur, actuellement président de jury, plaide pour plus de clémence à son endroit. Il pense que le monsieur ne mérite pas d’être jeté à la vindicte populaire. “Ce n’est pas parce qu’il y a problème cette fois-ci qu’on doit tout mettre sur lui. C’est oublier ce qui a été fait durant les années passées. Moi qui vous parle, c’est lui qui a signé mon attestation en 1993.

Une étude a montré que le bac sénégalais est l’un des plus sûrs”, plaide-t-il. Plusieurs signaux en amont En attendant qu’une décision soit prise, c’est le bac sénégalais qui en prend un sacré coup. Ce qui justifie des appels de partout à une reprise intégrale du bac 2017. Mais au-delà de ce sésame qui ouvre les portes de l’université, ce sont surtout tous les diplômes du pays qui risquent le discrédit dans un contexte où l’information circule d’un bout à l’autre de la planète. D’ailleurs, ce qui se passe n’est que l’aboutissement d’une suite de dysfonctionnements, sans qu’il y ait une réponse appropriée. En effet, avant que les sujets d’Histo-géo et de français ne se retrouvent entre les mains des candidats avant l’heure des examens, c’était d’abord la philosophie. Il y a de cela quelques semaines, il était question de manquement dans le Concours général de cette année. Auparavant, en 2013, il y a eu fraude dans l’examen des élèves-maîtres. La main de l’autorité n’a pas tremblé face aux 690 enseignants qui étaient en formation. Ils ont été tout bonnement radiés, en violation même de la décision de Justice. Pour les agents du ministère par contre, Serigne Mbaye Thiam avait pris des mesures conservatoires dans un premier temps. Par la suite, non seulement ils ont été réhabilités, mais ils ont bénéficié d’une promotion. Bien avant cela, il y a eu un centre cambriolé à Bargny au Bfem 2014. En 2002, les épreuves avaient fuité. Sans compter les autres allégations de fraudes ou de fuites qui reviennent presque chaque année. Malgré tous ces faits dont certains sont avérés et d’autres supposés, il n’a jamais été question de revoir l’organisation des examens et concours dans sa globalité et des hommes qui la composent.“Il faut éviter de solutionner au cas par cas. Au-delà du bac, il faut penser au Bfem à venir et à tous les examens et concours de façon générale. Nous avons besoin de solutions durables. Il faut une évaluation systématique du dispositif et des pratiques”, préconise Cheikh Mbow. Même point de vue de la part de Souleymane Diallo qui pensait que le Sénégal, avec toute son histoire et son vécu en la matière, avait déjà dépassé ce stade. Certes, la situation est douloureuse, notamment pour les candidats, mais comme le dit l’adage, à toute chose malheur est bon. Ce sera sans doute le point de départ pour une solution crédible et durable.

  •       BAabacar WILLANE – EnQuete
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