RUE WAGANE DIOUF DE DAKAR : Les mendiants-lépreux se serrent les coudes

 La vie n’est pas facile et devient de plus en plus dure dans le monde actuel. A chacun son étoile. Les mendiants installés en centre-ville de Dakar, sur la rue Wagane Diouf, atteints de la lèpre pour la plupart, tentent de réinventer la leur. Ils ont mis en place une forme de solidarité pour faire face aux nombreuses charges quotidiennes. 

  Dans une longue file de voitures qui rampent à cause des embouteillages monstres, aux pieds des immeubles qui respirent l’opulence ou aux portes des banques, restaurants de la capitale sénégalaise, ils sont nombreux à faire la manche. A la rue Wagane Diouf, un groupe de mendiants, touchés par la lèpre pour l’essentiel, comptent sur la générosité des passants pour subvenir à leurs besoins. Ils comptent également sur eux-mêmes avec un système de solidarité relativement précaire pour s’assurer le minimum vital.  Quand ils ne travaillent pas et que mendier ne suffit pas à joindre les deux bouts ou à se prendre en charge en cas de maladie, ils s’organisent, se mutualisent et se serrent les coudes.

  Devant la pâtisserie “La Marquise”, un passant s’arrête pour offrir des fruits au groupe qui s’empresse de se les partager le plus équitablement possible. Ces lépreux confient procéder ainsi tous les week-ends. “ Chaque samedi, après la fermeture de la pâtisserie, nous évaluons la recette collective et la partageons entre nous. Les autres jours, chacun se débrouille avec ce que le destin lui donne”, détaille El Hadj Malick Diop derrière ses lunettes noires. Notre interlocuteur bénéficie également des bourses familiales mais selon ses dires “ depuis 2020 les choses sont à l’arrêt.” Il informe que sa dernière paie remonte au 28 décembre 2020. Il se demande ainsi si cette politique de l’État est à l’arrêt.  Arpenter les rues de Dakar, faire le pied de grue devant les lieux à forte fréquentation sont pour lui et ses compères, un “travail” à temps plein pour s’assurer le minimum vital. El Hadji Malick Diop dit avoir quatre enfants inscrits dans une école arabe et doit dépenser 8.000 francs, le mois pour leur scolarité. Et s’il ne tenait qu’à lui, il ne serait pas là. « Si aujourd’hui j’avais une quelconque offre de service ou un financement pour faire du commerce, je suis preneur. Je suis prêt à accepter la première offre venue pour quitter ce milieu de galériens », termine-t-il.

La solidarité pour braver la précarité

  Amadou Ngame, né en 1953, originaire de Bagodine en Mauritanie, est aussi lépreux. Sans domicile fixe, il est installé sur l’avenue Georges Pompidou de Dakar, devant la poste. Le vieux Ngame fonde son espoir sur la solidarité, notamment des étrangers, les Libanais de Dakar surtout. « Ils font partie de nos généreux donateurs. Pendant le Ramadan ils nous offraient tout, à manger, à boire et même de l’argent pour subvenir à d’autres besoins vitaux », raconte-t-il. 

 Dans son ample caftan bleu ciel et coiffé d’un turban noir, ce mendiant prête un œil attentif aux rares passants dans l’espoir d’avoir quelque chose pour égayer cette matinée de samedi.  De l’aide, il en a bénéficié de la part de DAHW aussi. Mais, il pense que cette association est en rupture de financement et les choses sont devenues difficiles pour lui et ses compères. Même pour la prise en charge avec la fondation Malt logée à l’hôpital de Fann, rien n’est plus comme avant. Selon lui, tout a changé ! Du temps des blancs, toutes les faveurs leur ont été accordées, mais depuis quelques années, les choses ont négativement changé. 

  Face à la précarité, il affirme avoir intégré une sorte de mutuelle où chaque membre cotisait 100 francs par semaine avec la possibilité de solliciter un prêt en cas de besoin. “Par exemple, on peut obtenir un prêt de 5000 frs et rembourser 6000 frs. Il était possible de prendre jusqu’à 20000 francs et de rembourser 24000. C’était un système bien fonctionnel qui arrangeait bien des gens. Mais, tout est tombé à l’eau quand le trésorier a fait un usage personnel de l’argent collecté”, se désole-t-il.  

Dans les rues de la capitale, des mendiants, de par leur ancienneté, ont fini par faire partie du décor. C’est le cas de Birame Fall qui totalise 30 ans sur les lieux. Accoudé sur des baluchons, il a à ses pieds rongés par la maladie, un sac de céréales. Le produit de sa collecte de lendemain de Korité qu’il projette d’expédier au village.  L’homme qui a été témoin des deux dernières années de règne de Senghor, est bien placé pour expliquer le mécanisme de solidarité mis en place par certains mendiants.  “Nous avions une caisse gérée par l’un d’entre nous. Chaque vendredi, chacun apportait 2000 F. L’objectif était d’accompagner avec nos moyens tout lépreux qui auraient besoin de se soigner, ou qui exprimerait le besoin de rentrer au village. Il y a aussi des lépreux très avancés en âge qui ne pouvaient plus sillonner les rues de Dakar.  Il fallait donc les accompagner avec le minimum vital. Malheureusement, l’argent a été mal géré et la caisse a été dissoute”, confie M. Fall.  Il n’exclut pas, avec ses camarades, de reconduire à l’avenir un tel système mais cette fois avec plus d’organisation. “Si nous réunissons encore de l’argent et le gardons nous-mêmes, il pourra encore fondre comme du beurre au soleil. Je ne sais pas si une mutuelle ou une banque peut gérer ça pour nous”. Il a aussi été témoin d’organisations similaires qui ont connu plus de réussite. “D’autres mendiants, pas forcément des lépreux, ont connu des expériences plus heureuses. Il y en a qui organisent des tontines. C’est le cas par exemple des femmes en situation de handicap moteur établies de l’autre côté.  Leurs cotisations durent 4 ans avec un apport de 25000 F par mois et par personne. L’une d’entre elle m’a confié avoir pu s’acheter deux terrains à 6 millions avec cette tontine. Elle a d’ailleurs construit sur le premier. Cela lui permet de sortir un peu de la précarité ”, déduit-il. 

“Les dons c’est bien, mais la considération est encore mieux”

Saliou Diouf - mendiant Saliou Diouf, âgé environ de 70 ans, originaire de Ngoye Aliou Sylla entre Fatick et Bambey ne cache pas son amertume face à certaines de ses incompréhensions. Il fustige l’attitude de certaines autorités et personnalités qui les dépassent régulièrement ici le pas alerte et sans la moindre attention. C’est le cas par exemple de la Première Dame. « Il arrive qu’elle traverse, nous voit, mais elle n’a jamais pensé à faire un geste de solidarité envers nous ou à échanger avec nous».  Saliou Diouf dit détenir sa carte d’électeur et estime que lui et ses compagnons font partie des citoyens qui doivent bénéficier des politiques publiques et des largesses de l’État. « Nous ne devons pas être marginalisés ou ignorés, car nous sommes des citoyens à part entière. C’est bien d’accompagner les femmes et les jeunes qui ne souffrent souvent de rien mais nous méritons aussi, à défaut des dons, de la considération », insiste le vieux mendiant. Il lance ainsi un appel de détresse à la Première Dame pour leur venir en aide, sans passer par aucun intermédiaire.

Son autre cri de cœur, il l’adresse à l’association qui leur est dédiée. Il raconte son vécu tumultueux dans le temps.  « Lors du décès d’un de nos camarades, l’année dernière, nous avions sollicité la DAHW (Ndlr: Aide allemande pour la lèpre et la tuberculose). Il s’agit d’une association qui fournit une aide à long terme pour des personnes malades et marginalisées dans les pays en voie de développement et émergents mise sur pied à travers un financement allemand.” Mais, selon M. Diouf, l’association n’avait pas répondu favorablement à leur appel. Ils sont partis mendier dans la capitale pour ensuite transférer le corps à Kaolack d’où était originaire le défunt.

  La mendicité est d’une évidence palpable à Dakar. Derrière la canne qui frappe le trottoir, le membre estropié ou la main tendue se cachent parfois des individus qui cherchent avant tout, des moyens et s’entraident pour sortir de la précarité. Il s’y trouve aussi, qui ont cédé à la facilité ou s’adonnent à une mercantilisation du handicap ou à l’exploitation d’autrui.

 

      ♦ Djiby DEM & Abdoul Rahim KA

 

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