Présidentielle – Les Observations de la Mission de l’Union européenne sur le scrutin du 24 février

La Mission d’observation électorale de l’Union Européenne salue « un scrutin calme et transparent avec une forte mobilisation des électeurs » malgré « un blocage du dialogue politique et un manque de confiance entre opposition et majorité »…

Voici in extenso la déclaration préliminaire de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE UE). Elle est présentée avant l’achèvement du processus électoral. Des étapes essentielles restent à accomplir, notamment l’annonce des résultats et le traitement du contentieux éventuel. La MOE UE n’est en mesure de se prononcer que sur les observations effectuées jusqu’à ce stade du processus, et publiera ultérieurement un rapport final comprenant une analyse complète du processus et des recommandations pour les élections futures. La MOE UE pourra également faire des déclarations ultérieures sur l’avancement du processus en cours.Observations de la Mission de l’Union européenne sur le scrutin du 24 février


Le 24 février 2019, les électeurs sénégalais étaient appelés à voter pour l’élection du Président de la République. Le scrutin était calme et transparent, et a été caractérisé par une forte mobilisation des électeurs. L’élection s’est déroulée dans un climat caractérisé depuis plusieurs années par un manque de confiance et un blocage du dialogue entre l’opposition et la majorité.

Le vote a été évalué positivement par les observateurs.

Les procédures ont généralement été respectées dans les bureaux de votes observés, à l’exception de la vérification de présence d’encre indélébile, qui n’était pas systématique. Les observateurs ont également rencontré des cas isolés d’électeurs détenant leur carte qui n’ont pu voter parce qu’ils ne trouvaient pas leurs noms sur les listes d’émargement. Dans l’ensemble, les procédures de dépouillement ont été conduites de manière transparente et ordonnée.

La centralisation des résultats a été évaluée positivement dans la quasi-totalité des Commissions de recensement des votes observées. Les candidats y étaient généralement représentés et les procédures appliquées de façon transparente et consensuelle. Le soir de l’élection, deux candidats, Idrissa Seck et Ousmane Sonko, puis le Premier ministre ont fait des déclarations contradictoires concernant les résultats et l’hypothèse d’un second tour, de nature à générer des tensions, alors même que les travaux des Commissions en charge d’établir les résultats sont encore en cours.

Dans l’histoire de stabilité politique et d’alternances démocratiques du Sénégal, cette élection est inédite à plus d’un titre. Elle s’est déroulée en l’absence de candidats représentant formellement les deux partis ayant historiquement structuré la vie politique sénégalaise, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) et le Parti Socialiste (PS). Cette élection montre un paysage politique en recomposition. Tous les principaux instruments internationaux en matière de droits civils et politiques ont été ratifiés par le Sénégal hormis la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance de 2007.

Le cadre juridique des élections se conforme en grande partie à ces normes. Une lacune notable est, comme relevé par la MOE 2012, l’absence d’encadrement du financement de la campagne électorale. L’organisation des élections bénéficie d’une structure administrative solide au sein du Ministère de l’intérieur et des préfectures et sous-préfectures.

En règle générale, l’organisation matérielle du scrutin s’est faite dans le respect des règles et délais prescrits dans la loi. Cependant, l’impartialité du Ministre de l’intérieur a été mise en cause suite à sa déclaration en février 2018 en faveur de la réélection du Président sortant dès le premier tour. Cantonnée dans un rôle de supervision, la Commission électorale nationale autonome a des pouvoirs et capacités d’initiative limités.

Enfin, bénéficiant de la confiance de la plupart des acteurs politiques, la Cour d’appel de Dakar a su, jusqu’à présent, faire preuve d’efficacité dans son rôle de gardienne de l’intégrité du processus électoral. L’introduction des cartes CEDEAO/Electeurs et leur distribution ont représenté un défi considérable depuis 2016. Des améliorations importantes ont été accomplies depuis les élections de 2017 et un taux de distribution élevé a été atteint.

Toutefois, la distribution des cartes d’électeurs a encore suscité des préoccupations dans le contexte des préparatifs de l’élection. Certaines mesures prises pour accélérer la distribution ont affecté la traçabilité des opérations, et les moyens pour orienter les électeurs à la recherche de leur carte n’étaient pas toujours suffisants.

Enfin, la création de nouveaux bureaux de vote auxquels étaient affectés 53.362 électeurs a représenté un défi supplémentaire. La communication des données concernant la distribution des cartes par la Direction générale des élections n’était pas assez détaillée et complète pour renforcer la confiance.

La distribution des cartes n’a pas réuni toutes les conditions de transparence et de traçabilité souhaitables. L’enregistrement des candidatures a été controversé. L’introduction en 2018 d’un système de parrainage citoyen pour tous les candidats et sa mise en œuvre par le Conseil constitutionnel ont suscité une vive polémique.

La formule utilisée accordait un avantage aux premiers candidats à déposer leur dossier de candidature, et malgré des efforts louables d’ouverture du Conseil constitutionnel, la procédure et sa mise en œuvre comportaient, par ailleurs, des zones grises qui ont nui à la confiance. Du reste, deux candidats, Karim Wade et Khalifa Sall, ont été éliminés en raison de leur condamnation à des peines d’emprisonnement.

Leur mise à l’écart a créé de fortes tensions. Le 21 février, la Cour de Justice de la CEDEAO a rejeté le recours de Khalifa Sall contestant l’invalidation de sa candidature, et a mis en délibéré celui déposé par Karim Wade. La campagne électorale était active et libre. Les activités menées par les différents candidats n’ont pas été de même intensité. Notamment, la campagne de la coalition du Président sortant Benno Bokk Yakaar (BBY) s’est distinguée de celle des autres candidats et par l’envergure de sa machine de campagne et par l’importance de ses moyens. Dans l’ensemble, la campagne a été assez paisible, à l’exception de quelques incidents dont une confrontation le 11 février dans la région de Tambacounda entre militants du Parti de l’Unité et du Rassemblement (PUR) et de la Coalition BBY, qui ont fait deux victimes. Les autorités ont pris des mesures pour renforcer la sécurité des candidats. Les médias sénégalais ont rempli leur mission d’informer les électeurs en couvrant largement la campagne électorale.

Les médias audiovisuels publics ont offert un espace égal aux candidats dans le ‘Journal de la campagne’ mais ont couvert davantage le gouvernement dans les autres programmes. Ceux du secteur privé, à de notables exceptions près, ont offert une couverture équitable dans les émissions d’information. Cependant, dans le reste de leurs émissions politiques, ils ont accordé plus de temps d’antenne à la coalition BBY suivie par la coalition IDY 2019.

De nombreux médias privés n’ont pas respecté l’interdiction de toute publicité politique. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel, autorité qui veille au respect des dispositions du Code électoral par tous les médias, a privilégié le dialogue avec les médias auteurs de violations, sans prendre aucune sanction formelle. Néanmoins, il a fait preuve d’une interprétation très restrictive des textes de lois pour l’interdiction des débats entre candidats. Malgré la ratification des principaux instruments internationaux en matière de droits des femmes et des avancées dans la représentation politique, notamment à l’Assemblée Nationale, les femmes peinent à obtenir leur place dans la vie publique, comme l’illustre l’absence de candidate à l’élection présidentielle actuelle. Leur présence est très faible que ce soit au sein de l’administration électorale, des commissions électorales, et des organes dirigeants des partis, où elles sont en outre principalement nommées à des postes subalternes.

Contexte

Le 24 février 2019, les électeurs sénégalais étaient appelés à voter pour l’élection du Président de la République. Si aucun des cinq candidats en lice n’obtient la majorité absolue des suffrages exprimés, il sera procédé à un second tour de scrutin le deuxième dimanche qui suit la proclamation des résultats du premier tour par le Conseil constitutionnel. Cette élection a eu lieu en l’absence de candidats représentant les deux partis ayant historiquement structuré la vie politique sénégalaise, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) et le Parti Socialiste (PS), et dans un paysage politique en profonde recomposition. La compétition entre candidats a été libre et généralement pacifique. L’élection s’est néanmoins déroulée dans un contexte de désaccords entre forces politiques portant, en particulier, sur la question des conditions pour être candidat, et sur la distribution des cartes d’électeurs. On note qu’en dépit de tensions annoncées, le scrutin s’est déroulé dans des conditions de calme et d’ordre public remarquables.

Cadre juridique

Un cadre juridique globalement conforme aux normes internationales, mais présentant des lacunes en matière de financement de campagne Tous les principaux instruments internationaux en matière de droits humains, civils et politiques ont été ratifiés par le Sénégal, à l’exception notable de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance de 2007. Certains de ces textes internationaux ont acquis une valeur constitutionnelle. Cela permet au Conseil constitutionnel d’effectuer un contrôle de constitutionnalité des lois en vertu de ces standards en matière de droits humains. En outre, il faut souligner que le Sénégal reconnait la compétence de la Cour de justice de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et de la Cour pénale internationale.

Depuis 2016, le cadre juridique a subi une rénovation profonde, avec le passage du mandat présidentiel de sept à cinq ans, couplé à un allègement de la mesure de limitation des mandats : dorénavant la limite de deux mandats s’applique seulement aux mandats « consécutifs ». En 2018, une révision constitutionnelle et une réforme du code électoral instituent un système de parrainage-citoyen appliqué à tous les candidats, y compris ceux investis par un parti politique.

Les principaux partis d’opposition, dont le PDS et Initiative 2017 de Khalifa Sall avaient refusé de participer au cadre de concertation préparatoire.1 Une des principales pierres d’achoppement a été l’introduction dans le Code électoral de l’obligation d’être électeur pour être candidat.2

Il faut noter ici que les modifications fréquentes du droit électoral au Sénégal, et ce depuis plusieurs décennies, sont mentionnées par différents acteurs du processus comme un facteur d’instabilité et d’incohérence du cadre électoral. Enfin, la recommandation faite par la MOE UE en 2012 concernant le financement de la campagne n’a pas été suivie d’effet, aucune loi n’encadrant ce volet important d’un processus électoral, tant du point de vue du contrôle et du plafonnement des dépenses que de l’encadrement des sources de financements.

Administration électorale

Une structure solide et un personnel expérimenté, mais un émiettement des responsabilités et l’absence d’un contrôle indépendant L’organisation des élections est assurée par le Ministère de l’intérieur en charge des tâches administratives et logistiques, relayé au niveau local par les préfets et les sous-préfets. A l’action de l’exécutif s’articule celle de la justice, tenue constitutionnellement de veiller à l’intégrité du scrutin3 , et de la Commission électorale nationale autonome (CENA), organe administratif dont les membres sont nommés par le chef de l’Etat.

L’impartialité du Ministre de l’intérieur a été mise en cause par l’opposition comme par la société civile, suite à sa déclaration en février 2018 en faveur de la réélection du Président sortant dès le premier tour. Ceci a contribué à un climat de défiance envers les autorités en charge d’organiser les élections. Le pays dispose d’une structure administrative solide et de fonctionnaires bien formés. En règle générale, les tâches administratives et logistiques ont été gérées avec compétence.

Cependant, sur certains aspects du processus électoral, on constate un émiettement des responsabilités qui rend la coordination difficile et peut nuire à l’efficacité et à la transparence des actions, comme en atteste la distribution des cartes CEDEAO/Electeurs. L’action de la justice dans le cadre de l’élection, confiée exclusivement à la Cour d’appel de Dakar, a la confiance du plus grand nombre des acteurs politiques, même si la réalisation de son mandat suppose des moyens humains dont elle ne dispose pas toujours en temps utile. La Cour d’appel de Dakar a effectué de nombreux contrôles le jour du scrutin. Ses délégués dans les bureaux de vote sont des magistrats avec, pour la grande majorité d’entre eux, une expérience électorale.

La CENA dont tous les membres sont nommés par le Président de la République, apporte essentiellement une double validation aux tâches effectuées par l’administration. Le jour du vote, elle a déployé plus de 20.000 contrôleurs avec une présence permanente dans tous les bureaux de vote. L’étendue de ses prérogatives lui confère un rôle important qui suscite des attentes qu’elle ne peut pas satisfaire, du fait même de son mode de nomination. De fait, son impartialité est mise en doute par certains dans l’opposition.

Enregistrement des électeurs et distribution des cartes

La distribution des cartes a atteint un taux élevé, comme constaté lors du scrutin ; cependant le processus a manqué de transparence et de traçabilité Selon les chiffres du Ministère de l’intérieur, un total de 6.683.043 électeurs sont inscrits dont 6.373.451 au Sénégal, et 309.592 à l’étranger. L’inscription des électeurs se fait périodiquement, généralement dans l’année qui précède un scrutin. Elle se traduit par l’édition d’une carte d’identité biométrique CEDEAO 4 qui sert aussi de carte d’électeur.

Le nombre de demandes d’inscription, essentiellement des primo-votants, est cohérent avec les projections démographiques de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie 5 . Il faut cependant tenir compte du fait que 16,6% de la population déclarait en 2013 ne posséder aucun acte d’état civil, ce qui renvoie à la problématique plus large du caractère inclusif de l’état civil sénégalais.

Plus que l’inscription des électeurs, c’est la distribution des cartes qui a suscité des préoccupations dans le contexte de la campagne électorale et des préparatifs de l’élection. La refonte du fichier électoral en 2016 ainsi que les nouvelles inscriptions enregistrées en 2018 ont nécessité la mobilisation de moyens considérables notamment pour la saisie des données. La production et la distribution des près de 6.500.000 cartes a, de fait, représenté un défi logistique d’une ampleur qui a été sous-estimée.

Le taux de distribution des cartes issues de la refonte de 2016 et de la révision des listes de 2018 a atteint, selon la DGE, un taux inégalé, soit 97,13% près de 185.000 cartes restant à retirer par les électeurs au 15 février. Des améliorations importantes ont ainsi été accomplies depuis les élections de 2017, où seulement un peu plus de la moitié des électeurs inscrits avaient reçu leur carte 6 .

La hausse du nombre d’inscrits et la volonté affichée de rapprocher les électeurs de leurs bureaux de vote ont conduit à la création de nouveaux bureaux de vote pour ces élections. 53.362 électeurs ont été réaffectés à ces bureaux de vote, ce qu’ils ignoraient et qui a rendu nécessaires une campagne d’information les ciblant en particulier. Cette sensibilisation n’a semble-t-il pas été suffisante pour permettre à tous les électeurs concernés d’identifier leur bureau de vote le jour du scrutin.

Par ailleurs, la DGE n’avait communiqué aucune donnée chiffrée sur le taux de retrait des cartes par les électeurs de ces nouveaux bureaux de vote. Le taux élevé de distribution masque des dysfonctionnements persistants, hérités en grande partie, des conditions dans lesquelles la production et la distribution des cartes issues de la refonte de 2016 ont été conduites. Erreurs de saisie nécessitant de multiples corrections, recours à des commissions d’inscription à compétence nationale (le retrait des cartes ayant lieu ailleurs), défaillances au niveau du tri, de la ventilation et de l’acheminement des cartes, ont entraîné des retards et affecté l’orientation des électeurs.

La loi prévoit des garanties de transparence pour la distribution des cartes CEDEAO/Electeur mais celles-ci ne s’appliquent pas hors période électorale, la distribution des cartes étant alors assurée par les seules autorités préfectorales, sans contrôle de la CENA. Ce n’est, en principe, que pendant les 45 jours qui précèdent un scrutin (à compter du 9 janvier pour ces élections) que la distribution se fait, au niveau des communes, sous le contrôle de la CENA et en présence de représentants des partis politiques.

De fait, si la fusion de la carte d’électeur avec la carte d’identité explique cette distribution permanente, la carte d’identité étant indispensable aux actes du quotidien, la distribution hors du contrôle de la CENA entretient un climat de défiance. On note cependant une très faible représentation des partis politiques dans les commissions de distribution des cartes. Il n’en est pas moins vrai que la production accélérée de cartes et notamment de duplicatas s’est faite au détriment de la transparence, de la traçabilité des opérations effectuées. Enregistrement des candidatures

Une procédure de parrainage-citoyen controversée

La procédure de parrainage-citoyen introduite par la réforme électorale de 2018 a suscité de vifs mécontentements. La réforme présentait la double particularité de l’étendre aux candidatures issues des partis politiques ou coalitions de partis politiques et d’en accroître les exigences notamment en nombre et répartition des parrainages. Pour cette élection, les candidats potentiels devaient réunir un minimum de 0,8% du total d’électeurs inscrits (soit 53.457 électeurs) dans au moins 7 régions, à raison d’un minimum de 2.000 par région. Ils devaient présenter un maximum de 1% de l’électorat, à savoir 66.820 électeurs inscrits.

Le double parrainage étant interdit, il en résultait un avantage au candidat ayant le premier déposé sa candidature puisque tous les parrainages présentés sur la première liste étaient invalidés sur les listes suivantes s’ils y apparaissaient aussi. Ce dispositif exposait les listes à un risque croissant – mais nul pour la première – d’invalidation de ses parrainages selon sa position dans l’ordre de dépôt des listes. Critiquée comme une atteinte au pluralisme politique par l’opposition, cette réforme constitutionnelle a suscité une vive polémique au moment de son adoption en mai 2018. Il en fut de même pour sa mise en application qui incombait au Conseil constitutionnel. Sur les 27 dossiers de candidatures déposés, 20 candidatures ont été invalidées.

Deux candidats (Idrissa Seck, Madické Niang) sont parvenus à régulariser leurs listes à l’issue des 48 heures dont ils disposaient pour ce faire. Le 13 janvier, le Conseil constitutionnel a rendu publique la liste provisoire des cinq candidats validés qu’il a confirmés le 20 janvier, après avoir rejeté les réclamations faites par des candidats recalés.

Khalifa Sall et Karim Wade qui avaient réuni le nombre requis de parrainages ont été considérés comme inéligibles en raison de leurs condamnations à des peines d’emprisonnement. Ont donc été déclarées recevables, dans l’ordre de leur dépôt, les candidatures de Macky Sall, Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Madické Niang et El Hadji Issa Sall.

Les listes de parrainage étaient présentées sur support papier et fichier électronique et c’est essentiellement par un traitement informatique de ces fichiers que les vérifications ont été effectuées. Même si le Conseil constitutionnel a fait preuve d’ouverture en autorisant des représentants de la société civile et des candidats à assister aux séances de vérification, les modalités et les critères de ce processus comportaient trop de « zones grises » 7 pour permettre toute la transparence nécessaire et donc pour bénéficier de la confiance de toutes les parties. Si l’on considère les filtres successifs que cumulait cette procédure, la perception d’une rupture d’égalité entre candidats n’est pas injustifiée.

Par ailleurs, selon plusieurs interlocuteurs de la mission, la collecte des parrainages pouvait représenter un investissement financier difficile à assumer pour de nouvelles formations politiques, candidats émergents, ou candidates, indépendamment de leur représentativité. Le cas de Karim Wade et Khalifa Sall L’élimination de Karim Wade et de Khalifa Sall en raison de leurs condamnations à des peines d’emprisonnement8 qui les privaient automatiquement de leurs droits civiques, en tant qu’électeurs et donc en tant que candidats, a créé des tensions.

Tous deux ont, de nouveau, saisi la Cour de justice de la CEDEAO, Karim Wade en novembre 2018 pour contester le refus de son inscription sur les listes d’électeurs, et Khalifa Sall en janvier 2019 pour contester le rejet de sa candidature par le Conseil constitutionnel.

Le 21 février, la Cour de Justice de la CEDEAO a rejeté le recours de Khalifa Sall contre son exclusion de l’élection présidentielle, et a mis en délibéré celui déposé par Karim Wade pour une décision attendue le 4 mars. Campagne électorale Une campagne active et libre, marquée par une disparité des moyens entre candidats La campagne électorale s’est déroulée du 3 au 22 février inclus et a été particulièrement active. Les candidats ont eu recours à différentes méthodes de campagne : rassemblements, caravanes, porte-à-porte, panneaux, affiches, distribution du matériel de propagande, entre autres, à travers toutes les régions du pays.

Les activités menées par différents candidats n’ont pas été de même intensité. En particulier, la campagne de la coalition BBY s’est distinguée de celle des autres candidats par l’envergure de sa machine de campagne et l’importance de ses moyens. Le Président sortant s’est appuyé sur le réseau de sa coalition, qui inclut le soutien de la plupart des maires, ainsi que de membres du gouvernement dans leurs fiefs régionaux.

La deuxième campagne la plus visible a été celle d’Idrissa Seck, qui lui aussi avait pu mobiliser des ressources de sa coalition renforcée par de nouveaux ralliements. Les activités des autres candidats ont été plus modestes, plaçant l’accent sur une campagne de proximité : caravanes, porte-à-porte, réunions dans les quartiers, soirées musicales, etc. Les réseaux sociaux ont été également utilisés surtout par les candidats Ousmane Sonko et Macky Sall.

En ce qui concerne les messages préélectoraux des candidats, le Président sortant a mis en exergue les réalisations de sa présidence depuis 2012 et a promis de multiplier ses efforts pour améliorer les conditions socio-économiques de la population. Les autres candidats ont également présenté leurs programmes, mais une partie importante de leurs discours a été consacrée à une forte critique du « régime de Macky Sall ».

Dans les discours des candidats l’incitation à la haine, violence, intolérance a été pratiquement absente, et la critique des concurrents n’a en général pas dépassé les limites du permissible. Cependant, en marge de la campagne électorale l’ancien président Abdoulaye Wade de retour à Dakar le 7 février a appelé les Sénégalais à brûler leurs cartes d’électeurs, puis le 13 février à saboter l’élection en brûlant le matériel électoral. L’impact de ces appels a été marginal et leur auteur n’a pas été inquiété. Le 21 février, Abdoulaye Wade a annoncé qu’il s’abstiendrait de voter et a exclu tout recours à la violence.

Dans l’ensemble, la campagne s’est déroulée dans une atmosphère paisible, et les candidats avaient la possibilité de se déplacer librement à travers le pays. Ce calme a été ébranlé le 11 février dans la région de Tambacounda lors de confrontations entre les militants du PUR et de la Coalition BBY, qui a fait deux victimes, militants de BBY. Des appels au calme ont été lancés par plusieurs organisations de la société civile, les candidats, ainsi que par la MOE UE.

Les autorités ont pris des mesures pour renforcer la sécurité des candidats, par la mise à disposition d’éléments de la police et de la gendarmerie. Hormis le grave incident de Tambacounda le calme a été maintenu, et la situation sécuritaire générale est resté paisible. La MOE note qu’en dépit d’une interdiction de tout affichage électoral en dehors des emplacements spéciaux et de surface égale désignés par les maires,9 les équipes de campagnes ont eu recours à des panneaux publicitaires de manière parfois intensive, en particulier celle du président sortant, mais également d’autres candidats, en fonction de leurs moyens.

Cet aspect confirme la nécessité de développer un cadre juridique clair en matière de financement des campagnes électorales. Jusqu’à présent la recommandation de la MOE de l’UE lors de l’élection présidentielle de 2012 à prendre des mesures pour mettre fin à l’opacité qui entoure le financement des partis politiques et celui des campagnes électorales n’a pas été mise en œuvre, et l’élection présidentielle de 2019 s’est déroulée en l’absence de législation et réglementation appropriées.

Médias

Les médias sénégalais ont rempli leur mission en couvrant largement la campagne électorale, mais l’interdiction de la publicité politique n’a pas été respectée La campagne a été très présente dans les médias sénégalais, qui ont rempli leur mission d’informer les électeurs en couvrant largement les discours des candidats et la campagne électorale dès son lancement à travers des formats d’information classiques et via des émissions et reportages ad hoc. La chaîne de télévision et la station radio publiques, RTS1 et RSI, ont suivi la campagne électorale de tous les candidats en leur attribuant chacun une équipe vidéo et en leur offrant un espace égal dans l’émission quotidienne « Journal de la campagne », réalisée sous la direction du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA).10

Cela s’ajoute à des émissions d’information aux électeurs sur des aspects techniques de l’organisation de l’élection. Néanmoins, la RTS1 dans son journal télévisé a accordé un temps d’antenne important aux activités du gouvernement et a relayé des vidéos de publicité institutionnelle promouvant les projets et réalisations du gouvernement.

En outre, le soir des élections la RTS1 a diffusé en direct le discours du Premier Ministre et directeur de campagne de la coalition BBY, et pas la conférence de presse organisée par deux candidats de l’opposition Idrissa Seck et Ousmane Sonko.

Le quotidien public Le Soleil a dédié presque la moitié de l’espace de ses Unes au Président sortant. Les médias audiovisuels privés ont abondamment couvert la campagne et généralement respecté un principe d’équilibre entre les cinq candidats dans leurs émissions d’informations classiques.11 Cependant, les chaines de télévision TFM et 2STV ont couvert davantage la coalition BBY, au détriment des autres candidats en lice. Les médias audiovisuels privés ont également organisé des émissions durant lesquelles les programmes des candidats étaient discutés entre commentateurs politiques, où des représentants et des candidats ont été invités. Dans ces dernières émissions, ils ont concentré leur couverture sur la coalition BBY, suivie par la coalition Idy 2019. De nombreux médias audiovisuels privés nationaux et locaux, ainsi que des sites web d’information n’ont pas respectés des dispositions du Code électoral, notamment celles relatives à l’interdiction de la publicité politique.

Ces espaces payants ont pris la forme de publireportages, bandes-annonces d’évènements de campagne, ou bannières publicitaires pour la presse en ligne. La coalition BBY a utilisé des espaces de publicité dans les organes du Groupe Futurs Médias et dans la presse en ligne, alors que la coalition Idy 2019 a bénéficié de publireportages sur la chaîne de télévision du Groupe D-Média.13

En outre, des radios communautaires locales ne se sont pas abstenues de couvrir le débat politique, y compris la campagne électorale, contrairement à leur cahier des charges. La plupart des médias n’a pas respecté le silence électoral la veille du scrutin. Néanmoins, le jour du scrutin, les médias audiovisuels se sont abstenus de diffuser des déclarations politiques ou appels au vote.

Le CNRA, autorité qui veille au respect, par tous les médias, des dispositions du Code électoral sur la couverture de la période électorale, n’a pris aucune forme de sanction formelle à l’égard des violations du code électoral. Il a décidé de privilégier un dialogue avec les médias concernés, au détriment de son pouvoir de sanction.

Cependant, à quelques jours de la fin de la campagne électorale, le CNRA a interdit l’organisation de débats entre candidats, sur la base d’une interprétation très restrictive de textes de lois.14

On remarque également que le CNRA n’a pas publié pendant la période électorale de rapports sur ses activités de monitoring des médias et sur les infractions détectées.15 La Constitution garantit les principes fondamentaux en matière de liberté de presse. Les professionnels des médias ont pu couvrir les activités des candidats et de l’administration électorale sans entraves. Cependant, le 11 février à Tambacounda un groupe de journalistes qui voyageait dans un bus à l’effigie du candidat du PUR a fait l’objet d’une attaque par des militants de BBY.16

Le soir de l’élection, des candidats ont accusé des médias nationaux et internationaux de faire un traitement tendancieux de la publication d’estimations des résultats.

Participation des femmes

L’absence de candidate à l’élection présidentielle contraste avec la représentation féminine à l’Assemblée nationale Au Sénégal, les femmes peinent à obtenir leur place dans la vie publique, comme l’illustre l’absence de candidate à l’élection présidentielle actuelle ; ceci en dépit de la ratification des principaux instruments internationaux en la matière17, la reconnaissance des grands principes dans la Constitution18, des avancées évidentes dans la législation et la représentation politique, La loi a institué la parité dans toutes les institutions totalement ou partiellement électives propulsant le Sénégal au rang de leader de la sous-région en termes de représentation féminine à l’Assemblée nationale, et au douzième rang mondial lors des dernières législatives19. Cependant pour l’élection présidentielle, sur les trois femmes candidates à la candidature, seules deux ont présenté un nombre suffisant de parrains, largement invalidés par le Conseil constitutionnel.

Le filtrage serré du système de parrainage a empêché les petits partis d’être représentés, dont ceux dirigés par une femme. Les observations de la MOE confirment les limites du régime de parité femme/homme qui ne touche que les sièges électifs. En effet, la présence des femmes dans l’administration électorale et les démembrements de la CENA est très faible, et les rares femmes nommées sont pour la plupart à des postes subalternes20.

Pour les membres de bureaux de vote (BV), la proportion de femmes est plus élevée, non par volontarisme politique mais parce que le recrutement se fait principalement dans le corps des enseignants, où elles sont bien représentées. Bien que très mobilisées pour les activités de campagne, les militantes ne sont que très peu représentées dans les organes dirigeants des partis, en dehors des sections exclusivement féminines. Les représentants de candidats rencontrés par les observateurs de la MOE UE sont d’ailleurs presque toujours des hommes. Vote et dépouillement Un scrutin calme et transparent, marqué par une forte participation électorale

Les opérations de vote se sont déroulées dans le calme

La plupart des bureaux de vote observés ont ouvert à l’heure ou avec un retard inférieur ou égal à dix minutes. Au moment de l’ouverture et dans les heures qui ont suivi, l’affluence était forte, notamment dans les bureaux de vote observés des régions de Dakar, Thiès, SaintLouis, Kédougou et Fatick. Le matériel électoral était au complet dans tous les bureaux de vote observés au moment de leur ouverture.

Au moins deux représentants des candidats étaient présents dans plus de 94% des bureaux de vote visités. Le vote a été évalué positivement dans plus de 98% des bureaux de vote observés, et les électeurs pouvaient y exprimer leur choix librement. Les procédures ont généralement été respectées dans les bureaux de votes observés, à l’exception de la vérification de présence d’encre indélébile sur les doigts des électeurs, qui n’était pas systématiquement effectuée.

Un cas d’achat de bulletins non utilisés a été observé à Louga ainsi que des cas isolés de transport d’électeurs à Tambacounda, en milieu rural, organisé par des autorités locales. Dans les bureaux de vote visités, des électeurs détenant leur carte d’électeur n’ont pu voter parce que ne trouvant pas leurs noms sur les listes d’émargement.

Des cas isolés avaient été recensés dès l’ouverture dans la région de Louga où des mesures avaient été prises pour orienter ces électeurs vers leurs bureaux de vote. A mi-journée, par une décision dont la formulation était ambiguë, le ministère de l’intérieur a donné la consigne aux présidents des bureaux de vote de permettre aux électeurs ne trouvant pas leur nom sur la liste d’émargement du bureau de vote indiqué sur leurs cartes CEDEAO/Electeur de voter dans le bureau de vote où la liste incluait leur nom pour autant que celui-ci soit situé dans le même lieu de vote. Les candidats Ousmane Sonko et Idrissa Seck ont publiquement contestée la légalité de cette consigne.

La Mission ne dispose pas d’information sur sa mise en application. Il semble cependant qu’étant survenue tardivement, elle n’ait pas été appliquée. En tout état de cause, dans les bureaux de vote visités en milieu et fin d’après-midi, les observateurs ont pu constater que les présidents de bureau de vote en ignoraient l’existence.

Les procédures de dépouillement ont été globalement conduites de manière transparente, ordonnée et généralement consensuelle. On note à Dakar le cas d’une équipe d’observateurs qui s’est vu interdire l’accès d’un bureau de vote pendant 45 minutes avant d’être finalement autorisée à suivre le dépouillement. Dans trois bureaux de vote sur quatre, l’heure de fermeture légale a été respectée.

Dans un bureau de vote sur cinq, le retard dans la fermeture a excédé la demi-heure, permettant à des électeurs faisant la queue à l’extérieur comme à l’intérieur du bureau de vote de voter. Recensement des votes et procédures de contentieux.

Une procédure donnant des garanties de transparence, associant les représentants des candidats, et ouverte aux observateurs

Le processus de recensement des votes est actuellement en cours et l’éventuel contentieux reste à venir si des recours sont déposés par les candidats. Les commissions départementales de recensement des votes (CDRV), ont reçu et compilé les procès-verbaux de résultats des bureaux de vote dès le soir de l’élection. Elles doivent avoir achevé la compilation des résultats départementaux le 26 février à midi. Les Commissions de recensement pour les votes de l’étranger ont jusqu’au 27 février pour remettre leurs résultats. La compilation nationale des résultats se déroule à la Cour d’appel de Dakar, où siège la Commission nationale de recensement des votes (CNRV). 

A ce stade, la centralisation des résultats a été évaluée positivement dans la quasi-totalité des CDRV observées21. Les candidats y étaient généralement représentés et les procédures appliquées de façon transparente et consensuelle, y compris les corrections d’éventuelles erreurs mathématiques. La CNRV a jusqu’au vendredi 1 er mars pour publier les résultats provisoires. Les candidats ont ensuite 72 heures pour déposer des recours au Conseil constitutionnel, qui a cinq jours francs au maximum pour les traiter et prononcer les résultats définitifs. Bien que constitutionnellement son pouvoir se limite à la validation ou l’annulation du scrutin22, sa jurisprudence juge recevable les recours déposés par les candidats contre les annulations ou redressements de résultats effectués par le CNRV, ce qui offre aux candidats une voie de recours effectif contre les décisions de la CNRV en matière d’annulation et de redressement des procès-verbaux de résultats.

Participation des personnes handicapées

Le Sénégal a ratifié en 2010 la Convention relative au droit des personnes handicapées. La loi d’orientation sociale constitue le cadre de référence en la matière23. Elle instaure principalement une obligation de mise aux normes des lieux ouverts au public quant à l’accessibilité24. Le Code électoral aborde le sujet de l’assistance au vote qui peut être fournie soit par l’électeur du choix de la personne handicapée, soit par un membre du bureau de vote.

En outre, concernant le handicap mental, le code prévoit une exclusion automatique de tous les incapables majeurs25, ce qui contrevient aux normes internationales en la matière. Selon la Fédération sénégalaise des associations de personnes l’accessibilité des lieux publics et en particulier des bureaux de vote restent une préoccupation majeure, et peu de mesures sont prises en faveur de ces populations fragiles. Groupes d’observateurs Selon les chiffres du Ministère de l’intérieur, plus de 5.000 observateurs ont été accrédités pour ces élections dont 31 missions étrangères et 10 missions nationales. Parmi les groupes d’observateurs nationaux : plusieurs ONG sont réunies au sein du collectif COSCE (Collectif des Organisations de la Société Civile pour les Elections) et financées par USAID. Le COSCE a déployé 45 observateurs de longue durée début décembre dans les régions, et prévoit le déploiement de près de 2000 observateurs le jour du scrutin.

De même, Caritas a déployé quelque 1.000 observateurs, avec l’aide de l’Association des scouts et guides du Sénégal. L’Institut Gorée a déployé 100 observateurs avec le soutien d’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA). La Plateforme de veille des femmes pour la paix et la sécurité a déployé 60 observatrices et 20 journalistes-moniteurs pour le scrutin, avec le soutien d’ONU Femmes. La CEDEAO a déployé une Mission d’observation électorale de long terme comptant 112 observateurs dont 15 de longue durée.

La Mission est dirigée par l’ancien Président du Bénin Thomas Boni Yayi. Une Mission d’observation de l’Union Africaine était également présente avec quelque vingt équipes de courte durée, dirigée par l’ancien Premier ministre du Tchad Albert Pahimi Padacké. La MOE a tenu des rencontres régulières avec les MOEs de la CEDEAO et de l’UA.

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