Covid-19 – Stratégie du télé-enseignement à l’UVS : Test grandeur-nature

C’était comme un test pour l’Université virtuelle du Sénégal. La stratégie du télé-enseignement est mise en place depuis 2013 par l’Etat. Durant la pandémie de Covid-19, elle s’est révélée plus que jamais efficace et a renforcé son importance dans l’enseignement supérieur.

L’Université virtuelle du Sénégal (UVS) est une université publique à caractère numérique qui repose sur un modèle pédagogique innovant basé sur les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Elle a pour mission de délivrer au moyen des TIC, des formations adaptées aux besoins des communautés d’apprenants.
Pour dérouler ses apprentissages, l’UVS dispose d’un réseau d’espaces numériques ouverts (Eno). Ce sont des bâtiments construits dans plusieurs localités du Sénégal. Le but est de faciliter la socialisation des étudiants et consolider des relations. Cela permet également à l’UVS de participer à l’élargissement de la carte universitaire et de promouvoir la culture du numérique et de l’innovation. Le projet prévoit à terme la construction d’au moins un Eno au niveau de chaque département du Sénégal.
Les étudiants trouvent également dans leur Eno les appuis nécessaires en cas de difficultés. L’Eno est un bâtiment équipé, connecté et «open». Il dispose d’équipements et de ressources qui permettent aux étudiants et à la communauté de disposer d’infrastructures modernes à proximité, contribuant ainsi à améliorer leur qualité d’étude et de vie. L’Eno comporte un amphithéâtre de 200 places, deux grandes salles Open Space d’une capacité totale de 200 postes de travail, avec une connectivité haut-débit. Mais aussi, une salle de visioconférence pour les cours, fait découvrir Mamadou Ndour, administrateur de l’Eno de Mermoz lors d’une visite guidée.
Depuis la création de l’UVS, en 2013, les nouveaux bacheliers qui y sont admis démarrent leurs enseignements avec des cours transversaux que sont l’initiation à l’informatique et à l’environnement numérique de travail, le leadership et le développement personnel. Ces cours transversaux ont par ailleurs une double particularité : ils se déroulent au moins partiellement en présentiel. Cependant, la crise sanitaire liée à la Covid-19 et les impératifs résultant d’une part d’un respect strict des mesures barrières et d’autre part de la limitation des rassemblements ou des déplacements a amené l’UVS à revoir le format d’organisation des cours transversaux. Des dispositions « exceptionnelles » ont été prises pour permettre à tous les nouveaux bacheliers admis à l’UVS de suivre les cours en ligne. En effet, les enseignements étant délivrés à travers des plateformes de formation, les étudiants ont besoin d’un ordinateur et d’une clef de connexion à Internet pour accéder à ces plateformes. L’ordinateur et la clef de connexion sont fournis gratuitement à l’étudiant par l’Etat du Sénégal sous condition de leur assiduité pour les cours en présentiel et les activités pédagogiques, selon un responsable de l’administration.

L’UVS a mis gratuitement à la disposition de chaque étudiant un forfait Internet mensuel de 7 Go. Ces forfaits sont directement positionnés dans le numéro de téléphone que l’étudiant fourni à cet effet. Ainsi, le temps de la disponibilité des ordinateurs, ils utilisent leur téléphone pour suivre en ligne les activités pédagogiques. L’université virtuelle a également entamé des négociations avec les opérateurs de téléphonie afin que les accès aux plateformes de formation soient gratuits pour les nouveaux bacheliers. Cette gratuité était même effective avec Expresso, et les discussions avec les deux autres opérateurs (Orange et Free) se poursuivent.

Aussi, parmi les mesures prises, les activités en ligne avec notamment les cours magistraux en ligne, le master class en ligne, les webinaires sont organisés ou déroulés de telle sorte que le nouveau bachelier peut les suivre avec le plus simple des téléphones. En effet, la voix et/ou l’image ont été privilégiées, et éventuellement des textes courts, donc facilement lisibles, même avec un téléphone. Ces activités en ligne ont donc été organisées dans le respect des règles pédagogiques et techniques qui fondent le mobile learning (apprentissage via le mobile).

Répondant aux initiales SFS, jeune fille de 23 ans, étudiante en Licence 2 à l’UVS, sous couvert de l’anonymat, vante ce modèle : «Il faut se réjouir de l’absence de grève dans cette université. Ce qui est tout à fait le contraire dans les autres universités publiques. La connexion octroyée à chaque étudiant est de 10 Gigas pour expresso. S’agissant de l’opérateur orange ce sont 7 Gigas qui sont offerts. Contrairement à Expresso, l’offre d’Orange ne suffit pas.»

Les activités basculent vers le numérique
Les enseignements sont délivrés à l’UVS à travers des plateformes de formation. A travers elles, l’étudiant a accès à ses cours en format multimédia (texte, audio, vidéo), à des ressources pédagogiques complémentaires, à des bibliothèques numériques, à son emploi du temps, au planning des examens. Il peut participer à des classes virtuelles, interagir avec des tuteurs et d’autres étudiants, prendre connaissance des travaux à faire.
Durant la pandémie, les étudiants de l’UVS ont plus utilisé Zoom, une plateforme de messagerie instantanée et de vidéo-conférence multiplateforme pendant au moins un mois. Ensuite ils ont utilisé Blackboard Collaborate (B Collaborate) qui est une solution de conférences Web haute définition et accessible depuis un navigateur qui simplifie l’enseignement et l’apprentissage à distance, pour en faire une expérience évidente et fluide. Selon l’étudiante en Licence 2, cette plateforme a été l’une des meilleures expériences pour l’université virtuelle.

À la suite des décisions présidentielles relatives à la stratégie de prévention de la propagation de la Covid-19, les Eno de l’Université virtuelle du Sénégal ont été fermés, les cours en présentiel suspendus et la continuité pédagogique assurée en ligne. «Les étudiants ont été invités à ne pas venir dans les Eno», enchaîne SFS, de teint noir, longiligne. Plusieurs d’entre eux effectuaient le déplacement pour fréquenter les Eno. C’est un cadre idéal pour des travaux de groupe ou pour économiser le volume de connexion. D’après elle, au début de l’année, la connexion fournie ne suffisait pas par rapport au quantum horaire. «Les étudiants sont obligés d’acheter des pass internet. Durant la pandémie, de fortes mesures ont été prises et le volume de la connexion a été revu à la hausse», s’en félicite la demoiselle.

L’institution a dématérialisé les services offerts aux étudiants, tels que les procédures sur les bourses, les positionnements des forfaits internet, les problèmes techniques. Après trois mois d’expérimentation, une enquête a été effectuée auprès des étudiants.

Cette enquête a été réalisée pendant 19 jours auprès de 3118 étudiants durant la période de pandémie de Covid19, du 12 juin 2020 au 1er juillet 2020.

Résultats globaux : l’enquête a montré que les canaux de communication les plus utilisés par les étudiants sont les plateformes de formation en ligne et le mail institutionnel. Ils ont été interpelés sur le traitement des services en ligne concernant, les forfaits, les bourses et les problèmes techniques (accès aux plateformes de formation, classe virtuelle). Alors que certains étudiants ne sont pas satisfaits du délai de traitement des services en ligne (49%), ce taux atteint 58% si on tient compte des étudiants indifférents. La moitié des répondants est satisfaite du délai de traitement des services concernant le positionnement des forfaits Internet. Cependant, 37% des étudiants ne sont pas satisfaits, souligne un rapport.

Des innovations « majeures »
Aliou SANE, chef de Division des études, de la scolarité et des services aux étudiants (DESSE) à la Direction des études, de la recherche et de l’innovation (DERI) explique les innovations « majeures » apportées par l’UVS durant la pandémie. «Une plateforme pour gérer et traiter les cas des étudiants a été créée. À l’aide de cette plateforme, on a pu distribuer des ordinateurs au mois de septembre», dit-il. Quid des examens ? «L’UVS a apporté un début d’innovation en procédant à l’organisation des examens en ligne, car avant la pandémie les examens se faisaient dans les Eno ou dans les Lycées. Ce qui ne semble pas chose aisée. Mais la surveillance se fait par des outils électroniques avec la webcam», précise M. SANE.

Aussi, il informe qu’au début, l’UVS utilisait BigBlueButton, un logiciel open source visioconférence et classes virtuelles pour le digital learning. Son but est avant tout de fournir aux apprenants et formateurs une expérience de formation en ligne, mais ce logiciel avait des limites liées aux effectifs. Avec cette plateforme les accès étaient difficiles pour les étudiants.

La plateforme Zoom également qui se limite à moins de 200 personnes connectées pour une classe virtuelle n’était pas appropriée. Car, dès que le nombre maximum est atteint, d’autres utilisateurs sont bloqués. Ils ne pourront pas accéder à la plateforme. L’Université virtuelle s’oriente alors vers la plateforme payante Colaborate. L’UVS utilisait celle-ci depuis 2016. Vers 2020, une rupture de l’abonnement a amené l’université à utiliser la plateforme Zoom. Mais, durant la période de pandémie, l’urgence a poussé l’université à accélérer le processus de rachat de la licence. Les étudiants qui pour la première fois ont utilisé cette plateforme apprécie à juste titre sa fluidité et son accès facile. Le contrat ayant expiré durant la pandémie, il y avait nécessité de le renouveler, mais en suivant les procédures administratives. Malgré les lourdeurs, l’administration a pu accélérer le processus d’acquisition. Il fallait mieux s’adapter avec le contexte de la crise sanitaire mondiale.
Et pourtant, en mai dernier les syndicalistes de la section SAES de l’UVS ont dénoncé des difficultés majeures qui, selon eux, relèvent de la responsabilité du gouvernement. Il s’agit de l’inaccessibilité du matériel didactique aux étudiants dont des ordinateurs et des clés de connexion pour le démarrage effectif des cours, de la subvention de l’État qui ne couvre que 50 % des besoins de l’UVS et le retard dans la livraison des Eno (espaces numériques ouverts).

Des étudiants démontent des « préjugés » éloignés de la réalité
Les étudiants qui n’ont pas fréquenté cette université se font leur propre religion de l’UVS à cause de rumeurs persistantes. Ainsi, les nouveaux bacheliers sont souvent stressés et gagnés par l’incertitude s’ils sont orientés dans cette université. Quant à eux, les étudiants au cœur de la réalité du système tentent de rassurer l’opinion.

Oulimata Ba, étudiante en 2e année spécialisée en informatique rattachée à l’Eno Mermoz de Dakar a failli tomber dans ce piège. Taille moyenne avec une noirceur d’ébène, âgée de 23 ans, Oulimata confie qu’elle était habitée par l’angoisse d’être orientée à l’Université virtuelle : «Au début, je me disais que je suis sacrifiée à cause des rumeurs persistantes sur l’université virtuelle. Les gens caricaturaient l’établissement. Compte tenu de tout cela, j’étais désorientée et j’avais même pensé à aller m’inscrire dans une autre université. Finalement, c’est mon oncle qui m’a rassurée pour me convaincre de rester étudier.»

Aujourd’hui, elle voudrait déconstruire les préjugés portés sur l’UVS. «Je vis pleinement mon amour pour l’informatique», sourit-elle. Inscrite en 2e année, Oulimata Ba partage déjà son expérience avec ses cadets de la première année. Au même moment, elle continue de bénéficier de l’accompagnement de ses aînés. C’est un système de tutorat qui est instauré entre les étudiants pour une mise à niveau des nouveaux inscrits. Oulimata est convaincue que l’avenir sera numérique.
Ce sont des étudiants qui croient en leur université. Ils disent qu’ils n’ont rien à envier aux autres. «On peut même dire que nous sommes meilleurs que les étudiants des autres universités du Sénégal », défie Oulimata Ba. Grâce à l’enseignement qu’ils ont reçu via des plateformes en ligne, à travers le E-learning, les étudiants de l’université numérique du Sénégal vantent leur mérite. « Sur le marché de l’emploi, nous sommes compétitifs et nous pouvons faire mieux avec des résultats plus probants que beaucoup d’étudiants des autres universités. Ceci, grâce au simple outil de communication, l’ordinateur. En effet, avec des logiciels et des applications, la technologie a permis d’écraser les frontières, de rassembler des milliers de personnes se trouvant à des lieux différents, en même temps pour travailler, étudier ou échanger», détaille-t-elle.

Souvent pour défaut de communication, l’image renvoyée par l’institution est peu reluisante. Ses étudiants essaient de véhiculer le « bon » message. Comme Oulimata BA, Safiatou DIALLO, étudiante en Licence 3 en mathématique appliquée et informatique, a dû affronter le «mauvais procès fait à l’UVS». «Ce n’est pas facile, notamment en première année après notre orientation à l’université virtuelle. Au début, je n’avais aucune information sur l’université. Lorsqu’on m’a orientée à l’UVS, j’ai même pleuré, parce que les gens disaient que ceux qui y sont orientés sont sacrifiés. Le nom était même caricaturé. Les gens définissaient l’acronyme comme « université des vies sacrifiées » (Uvs). Moi aussi, je me disais que mon avenir était sacrifié », confie-t-elle. Mais, Safiatou a fini par comprendre qu’il s’agissait de fake news répandues sans vérification préalable. Teint clair, petite taille, très décontractée, Safiatou DIALLO pense que le télé-enseignement est le meilleur modèle. Pourquoi ? «On a la possibilité de faire autre chose comme travailler ou faire des études dans deux écoles différentes», défend l’étudiante en mathématique appliquée. Pour elle, avec le télé-enseignement, on apprend à devenir indépendant intellectuellement. «C’est-à-dire, avoir la capacité de faire des recherches et d’approfondir ses connaissances. Car, même si on fait des recherches, on réfléchit de nous-mêmes pour comprendre en vue de pouvoir transmettre à l’avenir. La chance avec les technologies est que la personne a un ordinateur connecté, elle recherche des connaissances à travers internet, trouve des résultats qu’elle expérimente et met en valeur», soutient la jeune dame. Son camarade Yankhoba MONTEIRO, étudiant en Licence 2 en informatique partage son avis. «L’avantage du télé-enseignement, c’est cette possibilité qu’il offre avec l’enregistrement des cours. L’étudiant a la possibilité d’y revenir à tout moment pour mieux comprendre», se réjouit-il.

Cependant, les étudiants souhaitent le renforcement des capacités d’accueil. Oumarou DIALLO, étudiant en Master 1 en génie Logiciel, qui a déjà lancé sa boutique en ligne pour profiter pleinement des avantages qu’offre le numérique, plaide pour l’augmentation des espaces numériques ouverts avec la hausse des bacheliers orientés chaque année à l’UVS. Sous un air crispé et timide, il dit : «L’UVS a fait ses preuves, il faut augmenter les investissements.»



Auteur : Par Djiby DEM – Journaliste (Extrait grande enquête – Mémoire de fin d’études en Licence 3 en Journalisme au CESTI)

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