Vivre, c’est mourir ! (Par Samba Oumar Fall)

« Si la vie est un bien, la mort est son fruit ; si la vie est un mal, la mort est son terme », ainsi disait Louis-Philippe de Ségur. Beaucoup de gens, ma femme au premier rang, mes amis et autres lecteurs, me reprochent souvent de tuer beaucoup de personnages dans mes romans. Que ça soit dans « La misère des Temps », « Taxi 359 », « Un amour au fond de l’océan », « Benjamin » et « Mortelles solitudes ». C’est tellement vrai et je n’en ai pas fini encore. Ce n’est pas que je sois un criminel ou un sanguinaire qui éprouve un plaisir sadique à voir les gens clamecer, loin de là. Cette obsession, s’il en est une, est un héritage. Car depuis que l’écriture existe, nombreux sont les écrivains à avoir puisé sans retenue dans cette thématique qui demeure un élément que nul courant littéraire n’a, semble-t-il, ignoré. La mort est aussi pour la littérature ce qu’elle est pour la vie.
J’ai souvent évoqué la mort pour rappeler à mes lecteurs, dans la mesure où l’Homme est souvent trop absorbé par les plaisirs de la vie, qu’il en oublie même que la mort le guette et attend le moment opportun pour l’emporter.
J’ai été très tôt confronté à la mort. En 1985, alors que nous venions à peine de débarquer dans la belle région de Ziguinchor (pour les plus jeunes, elle s’appelait Casamance à l’époque), elle nous a souhaité d’une effroyable manière la bienvenue en emportant mon petit frère. Il aurait eu 41 ans aujourd’hui (que son âme repose en paix!). Jeune et insouciant, je ne savais même pas ce que mourir voulait dire. C’était une chose banale que nous entendions par-ci par-là. Et je me rappelle, nos parents, pour nous cacher le décès de notre frère et sortir le corps de la maison pour aller l’enterrer, nous avaient demandé d’aller jouer et de ne revenir que le soir. Ne nous doutant de rien, nous étions tout guillerets à l’idée de mener cette escapade fortuite. Sauf qu’à notre retour, notre frère avait miraculeusement disparu. On nous avait fait croire qu’il était parti en voyage ; un voyage qui, malheureusement, n’était pas allé au-delà du cimetière de Belfort. Son absence nous avait terrorisés, malgré toutes les assurances qu’on nous avait données. Et la conséquence est qu’on n’osait plus entrer dans la chambre où il était interné pendant sa convalescence. Et la nuit, il nous était impossible de fermer l’œil. Parfois, on rêvait de lui et son âme nous collait aux basques, sans nous lâcher… Depuis, beaucoup de proches sont passés de vie à trépas. Tout un chacun a connu la douleur d’en perdre.
Le rappel suffit à éveiller les consciences, a-t-on l’habitude de dire. C’est même une recommandation fondamentale pour rappeler aux uns et aux autres que la vie sur terre n’est que transitoire, mais aussi pour nous inciter à accomplir le bien, à rester sur le droit chemin et à faire de bonnes œuvres. Car Dieu ne nous a pas uniquement créés pour manger, boire, se remplir la panse, dormir, procréer…
Malheureusement, le constat est que les gens détestent le rappel de la mort. D’ailleurs, qui aime la mort ? Personne. Une discussion sur ce sujet n’aura jamais beaucoup de candidats. Et pourtant, si Dieu demandait à chaque être humain de faire une liste de doléances, il est évident que beaucoup plaideraient la suppression de la mort qui symbolise le néant, intrigue et suscite le mystère. On la redoute et à juste titre, son évocation fait peur. On nous a tous appris qu’après la mort, il n’y a que deux destinations : le Paradis et l’enfer. Même les chats le savent. L’évocation, dans les sermons des imams, du pont Sirât qui surplombe l’Enfer angoisse. On dit qu’il a l’épaisseur d’un cheveu et est plus tranchant qu’une épée. Et sa traversée, dit-on, assure aux croyants l’accès au Paradis, tandis que ceux qui tomberont, les mécréants, seront précipités en Enfer. Ajouté aux châtiments de la tombe, ça a de quoi semer la frousse dans les esprits.
Aujourd’hui, beaucoup donneraient tous leurs biens pour échapper à la mort, mais personne n’échappe à la grande faucheuse qui fait le guet partout, survient quand elle veut, n’envoie même pas de mail ou de Sms pour avertir ses victimes. Démosthène a dit : « La mort est le terme où arrivent tous les hommes, et qu’on ne peut éviter quelques précautions qu’on prenne de se tenir enfermé dans ses foyers. L’homme de cœur doit donc, en toute occasion, se porter aux plus belles entreprises avec une généreuse confiance, et opposer à tous les malheurs que le ciel lui envoie, un courage invincible ».
Elle est vraiment mystérieuse, la mort. Elle n’épargne personne, mais reconnaissons quand même qu’elle est très démocratique. Elle fauche sans se soucier du statut social. Que l’on soit jeune ou vieux, noir ou blanc, beau ou vilain, riche ou pauvre, preux ou faible, pieux ou mécréant, généreux ou avare, resplendissant de santé ou valétudinaire ; elle ne fait aucune différence. Elle n’a ni ami, ni remède. Chaque jour, elle accomplit le plus discrètement sa mission et ne rentre jamais bredouille. Quand elle frappe, elle sème l’angoisse et l’effroi parmi les hommes. On a peur un jour, une semaine, un mois, une année, puis la vie reprend son cours normal pendant quelques temps encore. Puis, elle revient encore, plus que jamais infaillible à sa mission.
Hélas, la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort sont autant de souffrances que nous devons affronter. Eh oui, vivre, c’est mourir. Et le compte à rebours ne s’arrête jamais. À chacun donc son tour.

 

 

 

 

 Samba Oumar Fall  –  Journaliste 

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.