Sur la route de Karang, à la frontière sénégalo-gambienne

Elu à l’issue de la présidentielle du 1er décembre dernier, Adama Barrow doit prêter serment le 19 janvier. Mais encore faudrait-il qu’il ait les coudées franches. L’homme qu’il a battu et qui a régné 22 ans durant sur ce pays qui n’a de frontière qu’avec le Sénégal, refuse de partir voire s’accroche au pouvoir. Toutes les médiations entreprises jusque-là pour le faire revenir à la raison ont été vaines. Embarrassée par cette situation, la communauté internationale n’écarte pas une intervention armée pour bouter Yahya Jammeh hors du pouvoir.  Cette éventualité est à l’origine de la peur panique qui s’est emparée de la Gambie qui se vide ainsi de sa population. Karang, une ville sénégalaise qui se trouve à la frontière avec la Gambie est l’un de points de chute de ce flux de « refugiés ». Pour en avoir le cœur net, Dakaractu a dépêché une équipe sur place.

Banjul, la bannie

Dans ce haut-lieu du transport en commun, rien n’arrête les va-et-vient des véhicules. Les racketeurs sont à l’œuvre. Tout comme les conducteurs et leurs apprentis, ils veulent, eux aussi, tirer leur épingle du jeu. Ils sortent la grosse artillerie pour appâter leurs cibles. Les voyageurs. Sauf qu’ici, personne ne veut entendre parler de la destination Banjul. « Que vais-je faire dans une ville qui se vide de sa population ? », sert sèchement un potentiel passager à un racketeur. A elle toute seule, cette scène suffit pour traduire la crise actuelle que traverse la Gambie depuis les premières lueurs de décembre 2016.
Yahya Jammeh a mordu la poussière lors des joutes électorales qui l’ont opposé à un novice en politique. Après avoir accepté sa défaite dans un premier temps, l’homme fort de Kanilaï a fait volte-face. Ce qui a eu le don d’irriter aussi bien le camp d’en face que la communauté internationale. Laquelle n’écarte plus la possibilité d’employer la méthode forte pour le déraciner une bonne fois pour toutes.
A la gare des Baux-maraichers où nous devons prendre le départ pour Karang, le sujet n’occupe que les lèvres des chauffeurs qui connaissent l’axe Dakar-Banjul. Trouvé dans un « 7 places » qui doit prendre le relai quand le nôtre sera parti, un chauffeur semble prendre du bon temps. L’homme aux 35 piges se prélasse à l’intérieur de son moyen de travail. Après les salamalecs d’usage et des minutes d’hésitation, il se libère et nous dit ce qu’il pense de la situation à la frontière sénégalo-gambienne. « Ça ne fait pas une semaine que je suis revenu à Dakar mais je peux vous dire que les choses sont intensément denses là-bas. Les gens entrent au Sénégal à un rythme inquiétant. La preuve, on pouvait poireauter 48 heures durant sans voir l’ombre d’un passager, mais ce n’est plus le cas depuis quelques temps », campe-t-il ainsi le décor. Un décor peu reluisant mais qui témoigne de ce que tout le monde dit tout bas à Dakar au sujet de l’arrivée au Sénégal de refugiés en provenance de Gambie. Mais pour le conducteur avec qui nous nous sommes entretenus, la Guinée Conakry est le premier pays dont les ressortissants fuient en masse le pays de Yahya Jammeh. « En attendant l’évolution de la situation en Gambie, ils préfèrent crécher chez les leurs à Dakar », croit-il savoir avant de proposer ses services pour accueillir ceux qui en feraient la demande. « Je suis prêt à accueillir des familles de refugiés chez moi à Thiès », dit le philanthrope qui n’est pas loin de revenir sur sa proposition. Ce, après avoir constaté que les « fuyards » ont le faible de la capitale sénégalaise.

« J’espère que quand ça va dégénérer en Gambie, tu n’éliras pas domicile à Karang »

Quoi qu’il en soit, l’éventualité d’une intervention militaire en Gambie pour déloger Yahya Jammeh et ses sbires apeure. Dans le « 07 places » devant nous transporter à Karang, les passagers en parlent. Devisant dans un wolof « gambien », deux hommes de forte corpulence qui occupent les sièges arrière du véhicule de transport inter-urbain, se désolent de l’entêtement de Jammeh à quitter le pouvoir. « Il ne peut avoir ce qu’il a eu en 22 ans de pouvoir », lance l’un, dans un ton convaincant. L’autre acquiesce. « Je crois que les militaires doivent prendre leurs responsabilités et mettre en avant l’intérêt de la nation au détriment de leurs ambitions personnelles », relance le premier. Le second ne prend pas son contrepied. Au cours de la discussion à laquelle nous n’avons pas été invités, les refugiés ont été abordés. « A Hamdallaye (un village frontalier), il y a un rush inhabituel de refugiés qui entrent au Sénégal», fait-on constater, derrière. Un constat aussi désolant qu’inquiétant qui mettra fin à cette discussion aux allures d’un mini-sommet sur la Gambie. Les rigueurs de la route et la longueur du trajet a fini par lasser les passagers que nous sommes.
Après 07 heures de route, nous voici au garage de Karang. Dès que nous mettons le pied dehors, les conducteurs de taxi-jakartas nous assaillent. Une occasion rêvée pour tâter le pouls de la ville cosmopolite où ont toujours vécu dans la plus grande amitié Gambiens et Sénégalais. « Ici, tout se passe bien », rassure ce natif de Tambacounda qui prétend avoir grandi à Karang. Mais à quelques mètres de lui, un homme sanglé dans une tenue traditionnelle de couleur bleue chambre un autre en ces termes : « Il parait que tous les socés ont été expulsés de Gambie, il ne reste que les Joolas ». Les vendeuses de salade qui occupent la chaussée, en face de la gare routière s’en mêlent et taquinent l’une d’entre elles qui ne serait pas de la localité. « J’espère que quand ça va dégénérer en Gambie, tu n’éliras pas domicile à Karang ». Ce à quoi elle répond : « Il ne se passera rien en Gambie ». Pas si sûr.

Premier jet de la série de reportages de Dakaractu à Karang

 

Dakaractu

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