Sénégal : des discours clivants accentuent une polarisation de l’espace politique

Dakar, 09 Octobre 2025 – Depuis 2021, deux groupes d’acteurs polarisent l’espace politique au Sénégal. Il s’agit des proSonko et des partisans de l’ancien président, Macky Sall. Cette polarisation du paysage politique se joue sur les réseaux sociaux, principalement Facebook et X (ex-Twitter) et parfois sur TikTok et YouTube, entre autres. Ces dernières années, le phénomène s’accentue de plus en plus par des discours clivants du côté du pouvoir comme de l’opposition, malgré l’alternance politique que le pays a connu en mars 2024.

Le 1ᵉʳ août 2025, le Premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko a présenté un programme de redressement économique et social appelé « Jubbanti Koom« . Selon le chef du gouvernement, ce programme vise à corriger les déséquilibres macroéconomiques du pays et à impulser une croissance inclusive et durable du Sénégal sur une période de trois ans, avec un coût global estimé à 5.600 milliards de francs CFA.

L’annonce de ce programme n’est pas passée inaperçue sur les réseaux sociaux. Pendant que les partisans du parti au pouvoir (Pastef-Les Patriotes) saluent un programme audacieux, les opposants aux régimes critiques des actions gouvernementales qui visent à discréditer l’ancien régime.

En réponses aux critiques du programme de redressement économique, le député du parti politique Pastef-Les Patriotes, Guy Marius Sagna, dans une publication sur Facebook le 7 août 2025, évoque “une situation inédite au Sénégal accusant le régime sortant de crimes économiques et d’assassinat de plus de 80 personnes et de complots ayant amené le pays à se retrouver avec un ‘président légal et un président légitime’”.

Capture Publication Guy Marius Sagna sur Ousmane SonkoCapture d’écran de la publication du député Guy Marius Sagna sur Facebook

Cette publication qui a recueilli plus de 99 600 vues et 7 500 interactions dont 497 partages sur Facebook a déclenché une avalanche de réactions et de commentaires sur les réseaux sociaux. L’analyse des commentaires révèle des camps qui s’opposent. Certains internautes adhèrent aux propos du député, cependant d’autres les rejettent.

 

Capture Commentaires Publication Guy Marius SagnaCapture d’écran des commentaires de la publication du député Guy Marius Sagna sur Facebook

Avant la présentation du programme de redressement économique, les échanges étaient déjà houleux autour des accusations de crimes économiques contre l’ancien régime, notamment la falsification des chiffres des finances publiques et de mauvaise gestion.

Ces accusations ont suscité des milliers de réactions des partisans ProSonko dont l’actuel Directeur général du Port Autonome de Dakar, Waly Diouf Bodiang. Dans une déclaration publiée sur Facebook le 9 juillet 2025, il demande la reddition des comptes et des sanctions contre les dignitaires de l’ancien régime. Cette publication a généré plus de 326 000 vues, plus de 1 500 commentaires, 2 000 partages et 16 000 likes.

« La dette cachée » du Sénégal au cœur des discours clivant

En septembre 2024, le premier ministre Ousmane Sonko révèle lors d’une conférence de presse l’existence d’une dette cachée au Sénégal, la falsification des chiffres rendus publics et un déficit budgétaire énorme. Cette révélation confirmée par la Cour des comptes et plus tard par le Fonds Monétaire International (FMI) a fait l’effet d’une onde de choc sur les réseaux sociaux.

Entre août et septembre 2025, une analyse a permis de recenser neuf publications autour des thèmes de la dette cachée, de la falsification et du déficit budgétaire au Sénégal. Elles ont généré au total environ 195 000 vues et 7 764 interactions, dont 458 partages, signe d’un réel intérêt du public pour ces sujets sensibles et d’intérêt national.

Les réactions les plus engageantes sur X proviennent des députés Guy Marius Sagna et Ayib Daffé, elles ont généré plus de 85 000 interactions, plus de 250 partages, avec une audience dépassant les 500 000 personnes touchées. Ses prises de position critiques sur la gestion de la dette et la transparence budgétaire ont clairement suscité un fort écho auprès des internautes.

Cependant, les partisans de Macky Sall, à l’image de Papa Malick Ndour, rejettent les accusations  affirmant que le pouvoir actuel était en train de ternir leur image et celle du Sénégal. L’ancien président du Sénégal, Macky Sall s’est, pour la première fois depuis qu’il a quitté le pouvoir, prononcé sur la question de la dette dite « cachée », affirmant qu’il a été surpris d’entendre parler de “dette cachée”. Il s’exprimait dans un échange au Think tank américain Atlantic Council.

Les réseaux sociaux comme terrain de chasse

Au Sénégal, le taux de pénétration de l’internet en 2025 est estimé à environ 60,6%. Cette statistique révèle une prédominance de l’usage mobile, avec 22,7 millions d’utilisateurs mobiles. Ces chiffres reflètent la très forte connectivité des sénégalais sur les réseaux sociaux devenus le terrain de chasse des hommes politiques.

Des profils identifiés sur les réseaux sociaux, (Facebook et X), des personnalités connues de l’espace, des activistes et d’autres, non ou peu connues, véhiculent des nouvelles qui peuvent être vraies, mais parfois manipulées, biaisées ou hors contexte, cela, par inadvertance ou dans le but d’influencer l’opinion.

Moins de deux ans après l’élection du nouveau régime, on assiste à une confrontation de discours clivants dans l’espace politique sénégalais, comme l’atteste une publication du Premier ministre, Ousmane Sonko, sur Facebook et sur X le 23 avril 2025. Dans cette publication, il traite l’opposition “de résidus qui veulent assimiler l’exercice d’une liberté politique et civique de manifester aux crimes de sang et de torture”.

Homme politique sénégalais le plus populaire sur les réseaux sociaux, Ousmane Sonko compte plus de 1.300.000 abonnés sur Facebook et plus de 1.069.000 followers sur X. Sa publication a généré plus de 40.000 likes, plus de 8.500 commentaires et de plus de 7.200 partages sur Facebook et plus de 471.000 interactions sur X.

Ces chiffres impressionnants sur cette publication du Premier ministre est un indicateur clé de la capacité du chef du Gouvernement sénégalais à mobiliser les internautes avec des discours politiques clivants.

Capture d’écran de la publication d'Ousmane Sonko sur FacebookCapture d’écran de la publication d’Ousmane Sonko sur Facebook

Capture d’écran de la publication de Ousmane Sonko sur XCapture d’écran de la publication d’Ousmane Sonko sur X

La désinformation comme arme de polarisation politique

La polarisation du paysage politique sénégalais est parfois rythmée par la diffusion d’informations sorties de leur contexte. Le 24 août 2025, alors qu’une mission du FMI séjourne à Dakar, Issa Diène, a partagé sur Facebook un élément sonore de Rfi avec comme commentaire : « RAPPELLe représentant du FMI confirme la DETTE CACHÉE« . Cette publication a enregistré plus de 27.000 vues, 88 commentaires, 35 likes et 433 partages.

Cette publication a été partagée sur Facebook par le député Ayib Daffé, président du groupe parlementaire de Pastef-Les Patriotes à l’Assemblée nationale avec le commentaire suivant : « Le FMI confirme encore la dette cachée de 5.000 milliards et le banditisme budgétaire orchestré. Le redressement engagé par le Gouvernement doit aller de pair avec la reddition des comptes ». Ce partage a enregistré au moins 105 autres partages, plus de 202 likes et 49 commentaires.

Capture d’écran des publications Facebook de Issa Diéne et du s député Ayib Daffé Capture d’écran des publications Facebook de Issa Diéne et du s député Ayib Daffé 

L’audio en question est un entretien entre le chef de mission du FMI pour le Sénégal, Edward Gemayel et Léa-Lisa Westerhoff, correspondante de Rfi à Dakar. L’élément a été publié pour la première fois le 25 mars 2025 dans la rubrique “Le grand invité Afrique” avec le titre :  Sénégal : le FMI pourrait « donner une dérogation » ou demander un « remboursement », dit Edward Gemayel.

Toujours à la date du 24 août 2025, quelques jours avant la fin de la mission du FMI à Dakar, le même élément sonore de Rfi a été postée sur le réseau social X (anciennement Twitter) par Cheikhoul khadim, vidéaste qui se définit comme “Patriote”. Cette publication a été visionnée plus 43.000 fois, avec 32 commentaires, 986 likes, 279 retweets et 363 ajouts aux signets.

Quand des députés contribuent à la désinformation, la malinformation et la mésinformation 

En février 2025, lors d’une session de questions d’actualités au Gouvernement, le député de l’opposition Abdou Karim Sall, actuel maire de Mbao et ancien ministre, a annoncé la mort de 6 militaires sénégalais en Casamance. Une information, vite démentie par le Premier ministre Ousmane Sonko, venu répondre aux questions des députés.

Dans une vidéo diffusée sur la plateforme YouTube, sur la chaîne SenegalactuTv, le 23 août 2025, le célèbre chroniqueur, Mamadou Sy Tounkara a affirmé sans ambages que le bureau de l’Assemblée nationale a rejeté un projet de loi visant à criminaliser l’homosexualité au Sénégal. Cette déclaration lui a valu une convocation à la Police. Au lendemain de sa déclaration fracassante, le Député de la majorité présidentielle, Amadou Ba, membre du Pastef a démenti « l’information ».

Selon le député, il s’agit d’une très grave diffusion de fausses nouvelles de la part de Mamadou Sy Tounkara. Poursuivant son commentaire, le député a déclaré : “Ce que Mamadou Sy Tounkara a raconté, relève d’une diffusion de fausses nouvelles dangereuses pour la paix sociale”. L’opposition sénégalaise, soutient-il, doit devenir républicaine et arrêter les diffamations, les insultes et les diffusions de fausses nouvelles. 

Paradoxalement, la vidéo qualifiée de Fake News, reprise par le député Amadou Ba, qui est très suivi sur Facebook par plus de 100 000 Followers, a été visionnée plus de 57 000 fois, avec plus 600 commentaires, 281 partages et plus de 1700 Likes. Dans un sens, c’est comme si ce dernier avait contribué à une plus large diffusion de la “fausse nouvelle”.

L’auteur de la nouvelle, Mamadou Sy Tounkara est revenu sur l’affaire, pour, dit-il, “apporter des précisions”. Cette fois-ci, il convoque le droit parlementaire et interprète des faits.

Capture d’écran des précisions de Mamadou Sy TounkaraCapture d’écran des précisions de Mamadou Sy Tounkara

Ironie du sort, le 18 août, le député du Pastef, Amadou Ba a partagé une vidéo de l’ancien président Macky Sall sur sa page Facebook. La vidéo est republiée hors contexte sans aucune précision de l’auteur de la publication. Le député Ba a juste mentionné en commentaire : “rien que cette paix sociale que nous connaissons aujourd’hui vaut tous les sacrifices consentis. Le Sénégal a retrouvé une stabilité politique et sociale en payant très cher le prix du sacrifice. Les amnésiques qui s’agitent aujourd’hui, après avoir gardé le silence complice ou lâche (…)”.

Nos recherches nous ont permis de retrouver la vidéo d’origine. Elle a été publiée le 2 juillet 2023 par la chaîne YouTube Opinions Libres TV. Sur la plateforme YouTube, la vidéo totalise seulement 1.497 vues. En partageant cette vidéo sur sa page personnelle, Amadou Ba a contribué à sa large diffusion. Sur Facebook, la vidéo totalise plus de 109.000 vues, au moins 2.300 Likes, 347 commentaires et 352 partages.

Dans la vidéo en question, l’ancien président du Sénégal, Macky Sall avait encouragé ses militants à s’organiser dans leurs localités respectives pour protéger leurs Biens. Il avait demandé à ses partisans d’être préventif. Il s’exprimait lors d’une rencontre politique avec ses partisans, des élus de sa coalition.


Ce rapport a été produit par Djiby DEM dans le cadre du projet d’incubation du Programme de bourses African Academy for Open Source Investigation (AAOSI). Il a été réalisé sous le parrainage de Code for Africa, avec le soutien technique de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, financée par le Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung (BMZ) et l’Union européenne (UE). AAOSI respecte l’indépendance journalistique des chercheurs, en leur offrant l’accès à des techniques et des outils avancés. La prise de décision éditoriale reste du ressort de Djiby DEM. Vous souhaitez en savoir plus ? Visitez https://disinfo.africa/

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