Reportage – Pari foot chez les jeunes ouvriers au Sénégal: Le culte du travail à l’épreuve du gain facile

La percée des plateformes de pari en ligne a entrainé une reconfiguration des liens avec le travail chez les jeunes. Gagner son pain à la sueur de son front est désormais éprouvé par la promesse d’un enrichissement facile et rapide. Toutefois, ce n’est pas sans risques et périls. 

Dans les quartiers populaires, on connaissait les jeunes désœuvrés et oisifs qui squattent les kiosques et placent des paris via des applications mobiles. À Keur Massar (banlieue dakaroise), ceux qui vouaient un culte au travail acharné s’invitent également dans la danse : désormais il faut allier les jeux aux durs labeurs. S’extirper des griffes du travail éreintant. Dorénavant, la richesse peut être suspendue à 90 minutes d’un match de football. Munis de leurs smartphones, mouleurs et charretiers misent une partie de leur gain journalier pour, espèrent-ils, forcer le destin. L’espoir d’une revanche sur la vie les anime. Ces paris sportifs sont plus simplifiés et très variés : possibilité de pronostiquer sur une mi-temps, l’équipe qui va marquer en premier, le nombre total de buts, la mi-temps la plus prolifique, l’identité du premier buteur, etc.

Des sommes colossales gagnées…

Lamine Sarr, un jeune homme, grand et ectomorphe, la trentaine révolue est un ancien élève. Ses études n’ayant pas fonctionné, il s’est reconverti en mouleur depuis 2016. Ayant eu vent des sommes substantielles glanées par des amis à travers des paris sur une application mobile en vogue, il a décidé de tenter le coup. Néophyte et maladroit, il admet avoir essuyé quelques pertes au début. Au mois de novembre 2021, la chance lui a souri. Un miracle. Suite à un très grand coupon de pari étalé sur des jours, son compte virtuel est crédité d’une somme avoisinant les 21 millions de FCFA. C’était une aubaine pour lui.

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«Je suis devenu millionnaire en un clin d’œil. En conséquence, j’avais momentanément délaissé mon travail de mouleur… », se souvient-il.  Une somme grâce à laquelle il a pu acheter deux terrains nus à Dakar et à Joal, son village natal. Cependant, il déplore les difficultés pour récupérer les grosses sommes et un manque de bureau de gestion des réclamations par ces régies de plateformes de pari à Dakar.

En effet, de bouche à oreille, la rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre. Entre l’envie et la haine, la frontière se franchit facilement. Sa réussite inopinée et le tollé y afférent ont fini par installer «un sentiment d’insécurité à cause des regards étranges», informe-t-il.

Son coup de poker a, par la même occasion, fait des émules. Ses amis, voisins et collègues mouleurs s’évertuent, mordicus, à toucher le graal. Tenté et envieux, Ousmane Dieng, mouleur de métier, défalque chaque jour 500 à 1000 FCFA de sa paie quotidienne aux fins de s’enrichir plus vite.  « Jusque-là, la chance ne m’a pas encore souri.  Mais vu comment les gens s’en sortent miraculeusement, je ne désespère pas », dit-il, sourire aux lèvres.

Des pertes aux conséquences énormes…

Plus discret et moins enthousiasmé, Talla Ndiaye, un jeune chauffeur mué en mouleur, affirme également avoir attendu la Coupe d’Afrique des Nations 2021 (CAN Cameroun 2021) qui s’est tenue au Cameroun en janvier-février 2022 pour se lancer. Il était à l’affût pour amasser des fortunes «mais le caractère imprévisible de cette Can a rendu difficile les pronostics». Face aux résultats qui défient souvent la logique de la hiérarchie du football africain et contraint souvent à perdre, il a fini par «abandonner et se résoudre à ses maigres revenus obtenus aux forceps». 

L’appât du gain facile et rapide fait rêver. Le dur labeur n’est plus la seule panacée. La trentaine révolue, Aliou Samb, polygame et mouleur de profession, en dépit de son téléphone basique, mise sur des matchs via le téléphone de système Androïd de son ami fortuné, Lamine Sarr. Plus aguerri et désormais érigé en modèle de réussite, M. Sarr sert de guide à Aliou Samb en partageant avec lui les mêmes coupons de pari.  Ce mode de pari sportif est plus adapté pour lui. « Je n’ai pas besoin de me déplacer et perdre mon temps devant les kiosques. En plus, c’est plus discret», renseigne-t-il.

La loterie étant très aléatoire, le forcing peut souvent se révéler financièrement dévastateur. C’est le cas de Modou Fall, gérant d’un multiservice à Darou Thioub. Emballé par les millions gagnés par Lamine Sarr, il a foncé, sans se soucier des risques, dans les paris. Résultat : il a perdu près de deux millions de FCFA. Les conséquences ne se sont pas faits attendre. Tombé en faillite, il a mis la clé sous le paillasson et s’est sauvé à toutes jambes. 

 

Pape Faye – laviesenegalaise.com

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