Reportage – Les albinos : Si proches, si loin – le martyre

Les personnes vivant avec l’albinisme souffrent le martyre. Faisant partie, comme naturellement, dans notre environnement immédiat, les albinos sont hélas marginalisés. Au-delà de vivre avec une certaine stigmatisation et évitement social, cette couche vulnérable fait aussi l’objet de sacrifices, sans compter que les soins de santé, l’éducation, les chances du mariage, leur sont inaccessibles.


Au Sénégal, les personnes vivant l’albinisme sont vues comme des « Toubab raté ». « Quand je courtisais ma femme, ses amis se moquaient d’elle en lui disant, à chaque fois que je me pointais : ‘‘ton européen est arrivé’’ », confesse Babacar Mbaye à nos confrères du quotidien « Le Soleil ». Pour Diarray Diallo, albinos et journaliste à la Dtv, cela est dû au fait que : « Les gens méconnaissent cette anomalie congénitale à tel point qu’une femme qui met au monde un enfant albinos est accusé d’avoir trompé son mari avec un Blanc ».


Cette explication est parallèle à l’analyse du Dr Mouhamadou Mbodj, psychiatre : « On considère les albinos à la fois comme des semblables très proches de nous et des êtres venus d’ailleurs ». Et d’ajouter : « Dans le milieu africain où la réalité humaine cohabite toujours avec celle des esprits invisibles, les albinos sont souvent perçus comme des êtres à part, venus de l’autre bout du monde ».


Les albinos font l’objet d’évitement social. Ce, à la maison, dans les transports ou ailleurs. Conséquence : ils manquent d’affection. « Il peut arriver qu’un frère ou une sœur manque du respect à sa frangine albinos ou refuse de manger quand c’est elle qui a fait la cuisine », regrette Astou Fall, présidente des Albinos de Pikine. Ibrahima Fall, également albinos, de renchérir en exprimant sa peine : « Dans nos quartiers, certains rebroussent chemin, crachent par terre, quand ils croisent un albinos ».


Comme si cela ne suffisait pas, les plus cruels, pour faire des sacrifices, s’en prennent aux albinos pour arriver à leur fin. « Pendant la campagne électorale de 2012, on nous avait signalé 7 assassinats de personnes vivant avec l’albinisme et 10 tentatives d’enlèvements. Cela ne s’était jamais produit avant », s’indigne Mouhamadou Bamba Diop, président de l’association nationale des albinos du Sénégal. Durant la même période, d’autres avaient besoin de cheveux des albinos. « Lors d’une campagne électorale, quelqu’un m’a proposé 150.000 F CFA en échange de mes cheveux », révèle la journaliste Diarray Diallo.


Cette couche vulnérable est aussi la proie de certains patients qui souffrent d’une quelconque maladie. D’après « Jeune Afrique », repris par « Le Soleil », plusieurs dizaines de femmes albinos se font violer tous les ans au Sénégal à cause de la croyance  »populaire » selon laquelle, le fait de coucher avec une albinos guérit du Sida.


En sus de cela, les albinos du Sénégal souffrent d’énormes inégalités sociales devant la santé et même l’éducation. Selon les statistiques, 98% des albinos sont confrontés à des problèmes liés à l’accès aux soins de santé et à l’éducation. « Des membres de notre association, qui ont fini leur formation et déposé dans certaines entreprises, voient leurs dossiers rejetés. Ils sont ignorés. Les gens ne veulent point recruter des albinos », se désole le président Mouhamadou Bamba Diop. Cette difficulté à s’insérer dans la sphère professionnelle, écrit le journaliste Djiby Ndiaye, les contraint souvent à la mendicité qui devient leur seul moyen de subsistance.


« Il est très rare de voir un albinos vivre plus de 50 ans », regrette le président de l’association nationale des albinos du Sénégal. Cette réalité est la conséquence du déficit de prise en charge au plan sanitaire. Également, du fait de leur nature, ces albinos sont exposés au soleil qui peut causer chez eux des maladies comme le cancer. Injustement, ils n’ont même pas accès à la crème solaire à moindre coût. « Certains produits fabriqués au Sénégal coûtent 150.000 F CFA, les ordonnances peuvent aller jusqu’à 200.000 F CFA. Cela est hors de portée pour la plupart des albinos », pleure Mouhamadou Bamba Diop qui regrette aussi que les dons soient distribués de façon inéquitable. Les soins ophtalmologiques leur sont aussi privés malgré qu’ils aient des troubles visuels accrus.


S’ils ne sont pas mariés pour faire l’objet d’un sacrifice, les chances de vivre en couple chez les albinos sont tout aussi minimes. « Certains se marient avec les albinos pour disposer d’elles, leurs cheveux, leurs menstrues ou leurs ongles. C’est pourquoi beaucoup d’albinos sont célibataires », s’indigne Astou Fall. « Nous sommes enfermés dans un cercle vicieux et abandonnés à nous-mêmes. Nous vivons avec les difficultés de la vie. La crainte d’être sacrifié un jour, la psychose de tomber malade du cancer, de ne jamais pouvoir devenir médecins, ingénieurs, avocats, journalistes… Nous brûlons le jour et gémissons la nuit », pleure Mouhamadou Bamba Diop, président de l’association nationale des albinos du Sénégal.



Abou Kane Dia –  laviesenegalaise.com

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