En tant que citoyen, je vote’’ Non’’ contre une démarche manipulatrice et impositive, charriant des contre valeurs, porteuse d’une révision très en deçà des attentes institutionnelles de beaucoup de Sénégalais et donnant lieu à un référendum clivant, onéreux et inutile.
La première raison qui porte à voter ‘’Non’’, sur laquelle je n’insiste pas ici, réside dans le refus d’apporter une caution à un reniement qui se cache derrière un artifice juridique dont le caractère captieux a été mis à nu par 45 honorables universitaires du pays. Pour le présent et pour l’avenir, il y a un enjeu de société qui oblige à ne pas encourager le non respect de la parole donnée, la déliquescence des valeurs, la manipulation et le mépris du peuple-électeur, par les candidats et les élus.
La deuxième raison pour voter ‘’Non’’ est dictée par le discours et la démarche du Président et de son clan, qui sont dommageables à la démocratie et à l’intérêt supérieur du Sénégal. En effet, en décidant de ne prendre, dans le rapport consensuel de la CNRI, que ‘’ ce qui est conforme à sa vision’’, ‘’ce qu’il juge bon pour le Sénégal’’, le Président a pris le parti d’une démarche solitaire, mais aussi celui de tourner le dos aux ruptures attendues dans la gouvernance politique de notre pays.
-Depuis plusieurs semaines, son discours trahit l’état d’esprit d’un homme qui préfère le duel musclé au dialogue sincère et serein. Selon le Président élu par le peuple souverain, la majorité doit imposer sa force, la minorité doit subir, car la loi du plus fort est toujours la meilleure,’’ ku mën sa morom duma’’. Au lieu de chercher à rassembler, à rassurer les acteurs et à assurer au projet de révision l’adhésion du plus grand nombre, de lui garantir la crédibilité indispensable pour conférer à la Constitution la stabilité dans la durée, il impose sa réforme, mobilise et galvanise ses troupes et appelle à la confrontation. Cette démarche est d’essence dictatoriale et sa finalité n’est rien d’autre que le maintien du statu quo institutionnel qui confère au Président des pouvoirs quasi-monarchiques dans notre république. En tout état de cause, le discours et la démarche cristallisent les passions et exacerbent les antagonismes, favorisent les cassures brutales et les parades dispendieuses.
– Dans les faits, le Président MAKY SALL a ignoré toute l’opposition dans sa démarche de révision et a refusé d’écouter les organisations de la société civile qui invitaient à un dialogue inclusif en vue d’une réforme consensuelle consolidante. Aussi, c’est à juste titre que des partis politiques alliés qui siègent au gouvernement lui ont reproché, ‘’l’absence de concertations avec tous les acteurs de la vie publique nationale en vue de bâtir un consensus fort’’.
-Considérant à tort qu’il a la majorité, la force et l’intelligence qu’il faut pour s’imposer, il a imprimé une marche accélérée à sa réforme, prenant tout le monde au dépourvu, mettant tous les protagonistes devant le fait accompli, comme ce fut le cas avec l’Acte trois de la Décentralisation, adopté en procédure d’urgence. La convocation du scrutin référendaire à la date du 20 mars, après l’annonce du mois de mai, est assimilable à un coup de Jarnac politique, signe d’une gouvernance solitaire-dictatoriale qui est loin d’être conforme aux exigences de notre démocratie, en 2016.
– Sur une question aussi grave et solennelle, aussi sérieuse et importante que la révision de la Constitution, cette démarche solitaire et impositive est préjudiciable à notre démocratie, après les consensus de 1992 et de 2001, après les sacrifices consentis (sueur et sang versés, vies perdues, etc.) par les citoyens pour l’avènement d’une nouvelle forme de gouvernance politique.
Bref, je dis non à une démarche solitaire, qui a délibérément refusé le consensus et ignoré la quintessence du rapport de la CNRI ; Non, à une révision, qui n’apporte pas de solutions aux problèmes du pays identifiés en termes de déséquilibre entre les pouvoirs, qui maintient le statu quo institutionnel et, qui plus est, se situe aux antipodes des attentes post 23juin. Je ne peux pas encourager une telle démarche, car cela reviendrait à renforcer son auteur dans ce choix autocratique et périlleux.
Enfin, en 2016, et c’est la troisième raison pour voter ‘’Non’’, un projet de révision, qui ne porte pas réduction du mandat en cours, ne revêt aucune urgence pour justifier un scrutin référendaire organisé au pas de charge, à coup de milliards, dans un pays où des enseignants sont en grève pour réclamer le paiement de dettes que leur doit le gouvernement. Combien de milliards vont être dilapidés pour organiser le référendum ? Combien de milliards seront soustraits directement ou indirectement à l’impôt du contribuable (personnels, voitures, carburant …) pour financer la campagne, acheter les consciences ?
Pour le moins, on devrait admettre que ce n’est pas la meilleure manière de montrer, par l’exemple, qu’on est pour une gouvernance sobre et vertueuse, que l’on met la patrie avant le parti et que l’on privilégie les intérêts supérieurs de la Nation.
Pour toutes ces raisons, je vote ‘’Non’’.
Mamadou MBODJI, Professeur de Philosophie à la retraite