Portrait de Abdoul Mbaye, Président de l’ACT : Un «Bélier» dans la cour

Abdoul Mbaye, 63 ans, a lancé l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (Act) pour conquérir le (vrai) pouvoir. Retour sur un «produit» fabriqué et qui compte bien se «vendre» aux Sénégalais. Dans un «marché» saturé.Portrait de Abdoul Mbaye

Abdoul Mbaye ! C’est le nom qui était sorti de la liste officieuse de candidats au poste de Premier ministre du premier gouvernement du Président élu, Macky Sall. Une surprise de ce 3 avril 2012 que d’aucuns ont même pris pour un canular. L’homme du 25 mars avait l’urgente et la délicate tâche, dans un contexte d’après Wade, qui rimait avec gabegie, népotisme, scandales, insolence et arrogance, de trouver un homme rassurant, plus neutre politiquement s’entend. Et ce fut un banquier auréolé de son parcours et de son expérience pour trouver l’argent, alors que le risque de salaires impayés «promis» par le candidat des Fal2012 avait pris place dans les esprits. Et voilà comment Abdoul Mbaye, pas forcément inconnu des Séné­galais, s’est habitué aux lèvres en étant dans le tandem de la «sobriété» et de la «vertu». Voilà comment Macky Sall a «créé» un adversaire qui a appris pendant 18 mois les codes politiques. Qui cherche aussi à avoir la cote politique. Un fils de Sénégalais (le juge Kéba Mbaye), et d’une Française. Qui manie Molière et roule ses «r» comme un Français. Il l’est d’ailleurs. Qui ne fait pas que taquiner Kocc avec son wolof aguerri. Sans doute l’aura et l’ombre de son père ont rendu plus crédible le choix porté sur lui. Mais en vérité aussi, parce que c’est un bourgeois dont l’une des missions était de soulager une majorité de prolétaires. La première image de cet homme peu illustré dans les médias, sur les marches du Palais, ne pouvait échapper aux crépitements des photographes et aux caméras qui le mettent désormais sous les projecteurs. Excitant ! La première priorité du gouvernement, répondait-il, telle une évidence, «c’est le travail». On peut dire que c’est la formule de tous les chefs de gouvernement. Pour son successeur, Aminata Touré, c’était d’«accélérer la cadence». Celle de son prédécesseur étant lente ! Pour l’actuel, Mahammed Boun Abdallah Dionne, c’était «au travail». Comme s’il n’y en a jamais eu !

Le boulet Habré
Mais il a fallu quelques mois, lorsque les intrigues politiques, propres à tout régime, ont repris de plus belle sous le magistère de Macky Sall. Mbaye paiera donc, dans un autre contexte- procès de Hissein Habré en vue- son accueil des milliards de l’ancien Président tchadien alors qu’il était patron de la Cbao. Au point d’être obligé de se justifier par une conférence de presse. Peu convaincant, il fera face à un premier test politique grandeur nature, après sa Déclaration de politique générale : une motion de censure de l’opposition parlementaire. L’homme, qui s’est sauvé par sa faconde incontestable, son accent mouillé français, a prouvé, à bien des occasions, que la politique n’est pas seulement l’affaire des «politiciens professionnels», comme il les a qualifiés samedi, lors du lancement de son parti. Sauf que jusqu’ici, seuls les «politiciens professionnels» ont réussi à prendre le pouvoir. A cette motion de censure, qu’il qualifie de «ca­deau bien singulier venu de l’opposition» à la veille de Noël, il a trouvé les notions pour faire démentir ceux qui voyaient en lui un néophyte, incapable de résister aux armes politiques, surtout non conventionnelles. Mbaye, qui prône la rupture- slogan du régime actuel qu’il a tant défendu- doit «tuer» ce boulet de «blanchisseur d’argent» qualifié d’«illicite» qui lui colle à la peau.

Le Bélier refuse de mourir
Les mois s’écoulent, Mbaye déroule. La première attaque d’un allié, Idrissa Seck en l’occurrence fait grand bruit. Pour le premier anniversaire de la deuxième alternance, il reçoit un mauvais cadeau, en même temps que son chef, de la part du leader de Rewmi. Invité du groupe Gfm, Idrissa Seck le qualifie de «simple banquier» produit de Hec (Paris) qui «ne connaît pas les Finances publiques» et constate qu’«il n’y a pas encore grand-chose» pour le bilan de son gouvernement. C’est l’initiation à la règle politique qu’il ne faut jamais laisser planer le doute sur l’opinion. Mbaye réplique : «Idrissa Seck sait ce que j’ai appris, il a même essayé d’entrer là où j’ai fait ma formation, mais il n’a pas réussi.» Il ne peut plus s’accommoder de sa seule profession qui lui est connue et tient à rappeler qu’il est aussi économiste, après avoir rejoint la Bceao sous les ordres de Alassane Dramane Ouat­tara et même «économiste principal» dans la même banque. Dans ses contributions, comme celle qui a fait tant de bruit sur les raisons de voter «Non» au référendum, il mentionne systématiquement «économiste». C’est que dans les officines de l’Apr, de ses alliés, Mbaye n’était  plus sur le «yoonu» (chemin) de Macky Sall, encore moins sur le «yokkuté» (émergence) du Sénégal. Mais de façon générale, c’est le couple de banquiers (le Premier ministre Abdoul Mbaye et le ministre des Finances Amadou Kane) qui semblaient avoir donné raison au leader de Rewmi. La suite, c’est qu’ils ont été remerciés. L’on aura ainsi reconnu que ce Bélier, né le 13 avril 1953, a des coups à donner et des cornes pour se défendre. Seulement, le 1er septembre 2013, à six semaines de la Tabaski, Macky Sall a sacrifié, comme c’est souvent le cas pour les Premiers ministres, le Bélier. Qui refuse de mourir.

Un athlète sur les starting-blocks
Depuis, ce sportif, et surtout plus proche de l’athlétisme, court, court, court… Il prend son élan, écrit son livre Servir pour raconter son passage à la Primature, met en place son «Club travail et vertu» qui est dans la même logique. Certai­nement aussi de «Servir le Sénégal». Comme l’autre ! C’est le couloir qu’emprunte l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (Act) qui est sur les starting-blocks de 2019. Un parti politique, dit-on, a pour vocation de «conquérir le pouvoir ou de le conserver». Lui a perdu la parcelle de pouvoir qui lui avait été confiée et veut, nommer et non être nommé. Et pourtant l’homme n’avait rien d’ambitieux. Dans l’apparence qui, il paraît, est «souvent trompeuse».

«Premier ministre ou pas, j’aiderai (Macky Sall) à se faire réélire et à rester 10 ans»
Au plus fort de ce qui s’apparentait à une dualité au sommet avec le président de la République, il est invité de l’émission Les Affaires de la cité de la Tfm. Lorsqu’on lui a demandé s’il a une ambition présidentielle, il répond, sourire au coin et silence d’embarras : «Vous savez, je n’ai jamais eu l’ambition de quoi que ce soit sinon de réussir les missions qui me sont confiées. Je suis Premier ministre, je n’ai jamais cherché à l’être ; j’ai été plusieurs fois directeur général, président-directeur général de banque, je n’avais jamais cherché à le devenir. Par contre, lorsqu’on me confie une mission, j’y vais à fond.» Sa nouvelle mission aujourd’hui, c’est son Act. Le premier acte, avant le deuxième (les Légis­latives) ? Et le troisième (la Présidentielle) ? Mais ira-t-il «à fond» ? Abdoul Mbaye joue le suspense sur sa candidature en 2019. Il ajoutait : «Ce que je sais, c’est que je suis au service d’une ambition présidentielle : il s’agit de Son Excellence le Président Macky Sall. Il est là pour cinq ans. Premier ministre ou pas- prenez bonne note de ce que je vous dis- je l’aiderai à se faire réélire et à rester 10 ans. Alors au bout de 10 ans, moi, je serai suffisamment vieux pour aller cette fois définitivement à la retraite dont on m’a tiré il y a quelques années.» C’est candidement bien dit. S’il y a quelque chose qu’il partage encore avec Macky Sall, c’est bien son «Alliance» pour son parti comme pour l’Apr. Finalement, la retraite ne sera que différée. Et ça va saigner !

Le Quotidien

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