Portrait : Aïssata Seck, Marianne noire

Elue PS à Bondy et porte-parole de Benoît Hamon, elle a obtenu la naturalisation de tirailleurs sénégalais, les oubliés de la République.

Jamais, on n’avait eu l’idée, pour tracer le portrait d’un homme ou d’une femme ayant depuis longtemps dépassé l’âge de la majorité, d’aller voir son père ou sa mère. Cette fois, cela a paru évident et même indispensable pour comprendre le parcours d’Aïssata Seck, adjointe au maire de Bondy, qui a arraché à la République la naturalisation des tirailleurs sénégalais en toute fin du quinquennat de François Hollande. Il fallait aller dans le quartier des Musiciens aux Mureaux, rue Chopin, pour voir sa maman, Fatimata. Elle vous reçoit dans un bazin jaune, une robe traditionnelle, rappelant celui qu’elle portait quand toute la famille a accompagné la trentaine d’anciens soldats d’Afrique à l’Elysée, le 15 avril. Fatimata trace une ligne très droite allant de son père, Sambayero N’Dom, à sa fille. Ils ne se sont pas connus, mais l’un explique l’autre.

Infirmier chez les pompiers, il habitait à Dakar, la caserne située près du lycée Charles-de-Gaulle. Il y avait à la maison ses dix enfants, et les «enfants récupérés», des élèves dont les parents habitaient trop loin pour rentrer chez eux après les cours. «Mon père est mort quand Aïssata était dans mon ventre», dit Fatimata, liant trois générations en dix mots.

Aïssata Seck s’étonne quand on lui demande d’où vient cet appétit de «rendre service» comme s’il fallait expliquer une évidence. Pourquoi s’est-elle lancée dans le combat des tirailleurs sénégalais auxquels la France refusait la nationalité ? Ils avaient combattu en 1914-1918, en 1939-1945, en Indochine ou en Algérie sous l’uniforme français, mais devaient se tenir de l’autre côté de la frontière. Cette relégation, Seck l’a prise à son compte quand la petite-fille de tirailleurs s’est retrouvée adjointe au maire de Bondy en charge des anciens combattants. Elle a découvert l’état du dossier et a compris que l’administration française avait dressé une digue infranchissable avec des demandes de papiers introuvables et des exigences impossibles à satisfaire. Alors, pour sortir Koyo Diao et la trentaine de camarades qui bataillaient sans posséder les codes et les armes, elle s’y attelle en février 2016.

Elle veut alerter les journaux dont Libération où on lui répond qu’on a déjà donné pour cette cause. Radio, télé, journaux, tout y passe et rien ne vient. Elle s’agace, s’accroche et se bat sans résultat. Après l’été, elle décide de lancer une pétition sur change.org. Elle se fixe le 11 Novembre comme date de péremption pour ce dossier qui n’en finit pas de pourrir, et parvient finalement à mobiliser un journaliste du Monde. Le coup est parti, François Hollande à l’Elysée se réveille et l’administration se bouge. A la mi-avril 2017, vingt-huit anciens combattants obtiennent la nationalité française.

Le fil entre le grand-père, Sambayero, et la petite-fille Aïssata, passe par Fatimata qui aujourd’hui encore arpente les rues pour convaincre les jeunes d’aller voter. Elle, qui n’a pas voulu quémander la nationalité française, passe sa vie à tisser des liens étroits et solides dans son quartier des Mureaux où les médias ne viennent qu’à l’occasion d’explosions spectaculaires. Elle porte une colère, qu’elle apaise en participant à des cours d’alphabétisation, ou à du soutien scolaire. Elle fait de la politique à sa manière avec la petite Aïssata sur ses talons qui dit joliment : «J’ai été engagée dans les jupes de ma mère.»

Chez les Seck, les huit enfants, quatre filles, quatre garçons, ont fait des études. Couché tôt, levé tôt, on travaille à l’école, on fait ses devoirs, on regarde et on commente le 20-Heures en famille. Le foot aussi rassemble la fratrie avec d’un côté trois supporteurs du PSG, quatre pour l’OM, et Aïssata qui se tient à l’écart sauf quand il s’agit de charrier les uns et les autres. Mais, l’important est ailleurs, le père, arrivé en France sans savoir lire et écrire quand il n’y avait pas encore de foyer de travailleurs immigrés, ne veut pas voir ses enfants à la rue. Alors, quand il faut trouver du travail, pas question de traîner, on quitte la maison aux premières heures du jour et on revient quand on en a trouvé.

Aïssata a son bac en 1997, passe un BTS de secrétaire de direction, un peu par dépit, et se retrouve confrontée au racisme de tous les jours quand à l’ANPE, l’avant-Pôle Emploi, la dame qui l’accueille lui dit: «Ça ne va pas être facile pour vous, vous êtes noire.» Le XXIe siècle vient de commencer et elle trouve une place au magazine Alternatives économiques. Culottée, elle dit à celui qui vient de l’embaucher qu’elle n’est pas faite pour être assistante. Réponse magnanime : «Tu vas faire autre chose.» Ailleurs la réponse risquait d’être plus rude. Une chance alors qu’elle vient de se marier avec Yaya Sow qui n’a pas eu le loisir de faire d’études devant travailler pour faire vivre ses quatre frères et sœurs, après le retour des parents au Sénégal.

Elle a 20 ans et s’installe à Bondy chez Yaya, tout à la fois jeune salariée, épouse, maman, belle-mère et belle-sœur, pas très simple de trouver la bonne distance dans cette géométrie familiale complexe. Dans le travail aussi elle cherche sa place. Elle passe au service commercial d’Alter éco et reprend des études supérieures en 2010 pour boucler un master de communication politique et publique. La com, la politique, tout se rejoint quand elle prend sa carte du PS, participe à la campagne de François Hollande en 2012, se fait élire deux ans plus tard au conseil municipal de Bondy et devient porte-parole de Benoît Hamon à la présidentielle.

Au pied de l’estrade dressée place de la République pour un meeting de Hamon, elle recroise le racisme que l’on dit ordinaire pour le minimiser. Elle est empêchée de monter pour se placer derrière le candidat par un membre du service d’ordre chargé de ne laisser passer que les élus. Elle est élue et porte-parole argumente-t-elle. «Oui, mais vous n’êtes pas des élus comme les autres», lâche le garde-barrière à Aïssata et à ses deux compagnons d’infortune élus comme elle, et noirs comme elle. Benoît Hamon et tout le staff ont dit leur consternation, mais, des semaines après l’incident, sa colère n’est pas retombée. Arrivé à ce point, le sourire indécrochable s’estompe et il faut parler d’autre chose. Elle y reviendra peut-être, mais plus tard quand elle décidera le moment venu. Elle cherche comment sortir de cette colère. Elle veut d’abord comprendre. Elle va attendre que les mots viennent. Sylvine Thomassin, la maire PS de Bondy, ne se fait pas de souci quand elle évoque cette «pépite». L’édile cherche ses mots, trouve ce qualificatif qui ne la satisfait pas, mais un geste de la main dit la confiance qu’elle place dans son adjointe qui cherche comment transformer sa colère en actes politiques et républicains.


20 février 1980 Naissance. 2012 S’engage au PS. Mars 2014 Elue à Bondy. 11 novembre 2016Lance la pétition pour la naturalisation des tirailleurs sénégalais. 15 avril 2017 28 tirailleurs naturalisés et accueillis à l’Elysée.

Par Philippe Douroux – liberation. fr

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