POLÉMIQUE SUR L’ARGENT DE LA TRAQUE : Aminata Touré installe le Malaise au sommet

Au début, elle était l’égérie d’une nouvelle marque de transparence abusivement nommée ‘‘Traque des biens mal acquis’’ (Tbma). La chute récente des libéraux, une opinion encore très amère contre le régime Wade et le concept de gouvernance sobre et vertueuse enrobé à la demande sociale avaient donné à Aminata Touré dite “Mimi’’ des allures d’un intraitable redresseur de torts. Cinq ans plus tard que la liesse de l’après alternance s’est estompée, pointe une lucidité qui fait germer beaucoup de doutes sur les motifs, les avancées et la suite d’une Tbma qui n’a ferré qu’un seul gros poisson sur une liste de 25.

Les initiateurs de la traque semblent la laisser se dépêtrer toute seule dans un combat dont les maigres résultats tranchent d’avec les espérances mirobolantes de la phase initiale. Les dernières sorties médiatiques dissidentes de l’éphémère chef du gouvernement (septembre 2013-juillet 2014) montrent qu’elle tente de se repositionner au centre d’un échiquier sur lequel elle est toujours poussée vers la périphérie. ‘‘Il est possible d’expliquer l’attitude de l’ex-Premier ministre comme une volonté de redorer le blason de la traque des biens mal acquis qui a définitivement perdu toute crédibilité aux yeux de l’opinion, en raison de son caractère très sélectif, de sa politisation outrancière et de la violation des droits et libertés des mis en cause.

Dans un contexte lié au procès de Khalifa Ababacar Sall qui doit se tenir dans quelques jours, c’est une tentative infructueuse de redonner donc quelque crédit à la reddition des comptes’’, analyse le docteur en sciences politiques et enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger, Maurice Soudieck Dionne.

L’ancien parlementaire Abdou Sané est du même avis, soulignant que la dame refuse d’être victime d’un compromis politique. ‘‘Aujourd’hui, Mimi Touré, pour ne pas devenir ridicule, animerait l’aile dure qui souhaite que la traque se poursuive. Ce qui ne semble pas aller dans le sens de la volonté du président qui, cherchant à obtenir un second mandat, compterait sur le soutien politique de certains qui figurent sur la liste de la Crei’’, commente le parlementaire. Après être revenue par la petite porte institutionnelle, suite à son éviction de l’après élections locales 2014, comme envoyée spéciale du président de la République, Aminata Touré semble toujours à l’étroit dans sa propre formation.

Erreur de Com ?

C’est donc au souvenir de l’opinion que l’ancienne directrice de campagne de Landing Savané à la présidentielle 1993 se rappelle que la mise à mort de sa seule ‘‘dividende’’ politique est aussi synonyme d’une mort politique. Elle est discréditée à juste raison par les ‘‘karimistes’’ ainsi que par les partisans actuels et anciens du Pds (Bachir Diawara, Doudou Wade, Aïda Diongue, Abdoulaye Baldé), désavouée par l’allié de l’Apr, en la personne du président de l’Assemblée nationale Moustapha Niasse, qui avoue qu’il ‘‘ignore tout de ces 200 milliards de francs Cfa’’. Le non-inscrit Ousmane Sonko parle carrément de ‘‘contrevérités’’ d’Aminata Touré et même un surprenant désaveu d’une société civile, via Birahim Seck, sont autant de clous dans le cercueil non encore enseveli de Mimi.

Une sortie maladroite sur les résultats de la traque que le professeur Dionne assimile plus à une faute de Com qu’à un bras de fer contre l’état-major ‘‘apériste’’. ‘‘Dans cette perspective, on ne saurait donc parler de rébellion de Mme Touré, mais d’erreurs de communication, car les chiffres avancés sont contestés ; les sommes prétendues avoir été recouvertes ne sont pas retracées et clairement rattachées à la traque des biens supposés mal acquis pour savoir auprès de qui elles ont été précisé- ment recouvertes, à concurrence de quel montant, sur quelles bases et comment elles sont rentrées dans le Trésor public ; le président de l’Assemblée nationale considérant ne pas se souvenir d’une loi de finances validant l’entrée dans la bourse de l’État des prétendus 200 milliards avancés par l’ex-Premier ministre’’, explique l’enseignant-chercheur.

Quant aux partisans de son propre camp, l’Apr, le soutien timoré, tardif et disparate de quelques cadres du régime montre qu’il n’y a pas un consensus fort autour de cette question qui a pourtant été un marqueur identitaire de la deuxième alternance.

La Dame de fer risque de porter seule le lourd fardeau de cette traque et prétendait avant hier, dans nos colonnes, ‘‘défendre une avancée significative de son camp’’. Mardi, le député Abdou Mbow l’avait toutefois soutenue dans les colonnes du journal “l’Observateur’’, avant qu’un communiqué du président du collège de l’Autorité de régulation des télévisions et postes (Artp), par ailleurs membre du Secrétariat exécutif national de l’Alliance pour la République (Apr), Abou Abel Thiam, ne vienne la consolider dans ses positions. Bien que la missive de ce dernier, parue hier dans la presse, se soit cantonnée à des généralités, elle reste encore l’une des rares motions de soutien partisanes à l’ancienne ministre de la Justice. ‘‘L’on ne peut comprendre que les bénéficiaires directs ou indirects des méfaits dont le Sénégal a été victime s’érigent en saboteurs de l’œuvre de salubrité des finances publiques et s’attaquent à l’ancienne Garde des Sceaux, coupable de donner des indications sur l’ampleur des braquages perpétrés’’, a-t-il déclaré. ‘‘La reddition des comptes est un fait de la vie, désormais. Elle s’inscrit dans la marche normale de la gouvernance moderne. Je viens de vous parler d’actions en cours. Ce n’est pas non plus une activité spectacle. Les organes de l’Etat continuent à faire leur travail sans coup férir. Le tout est de garder le cap afin que cela devienne une véritable culture dans notre pays’’, déclarait-elle avant-hier dans nos colonnes.

Agenda personnel ?

Subissant affront sur affront depuis la perte de la commune de Grand-Yoff contre Khalifa Sall en 2014, obligée de retourner à la case départ comme militante de base à Kaolack, zappée de la liste des législatives de juillet dernier, la posture séditieuse de Mimi étonne peu. Alors cavalier solitaire de cette ancienne communiste devenue libérale par la force des choses ? ‘‘Cette hypothèse n’est pas totalement à exclure pour plusieurs raisons. D’abord, parce que Mme Touré semble de plus en plus marginalisée dans sa famille politique et dans les cercles du pouvoir.

La fonction d’envoyée spéciale du président de la République peut être considérée comme un moyen de la retenir. Si l’on sait qu’elle a été une figure de proue de la traque des biens mal acquis, il se pourrait qu’elle veuille utiliser ce thème pour revenir en force. Car, aujourd’hui plus que jamais, les problèmes relatifs à la reddition des comptes et à la transparence se posent’’, commente Maurice Soudieck Dionne qui relativise toutefois la possibilité d’un agenda personnel de Mimi.

L’ancien député Abdou Sané est quant à lui plus alarmiste sur les manœuvres de la direction ‘‘apériste’’ qui pourraient pousser l’ex-chef du gouvernement à se radicaliser. ‘‘Ce serait une grosse erreur que de sous-estimer sa capacité de nuisance. Attention ! Nous entrevoyons les signes de guéguerre interne à la mouvance présidentielle d’ici l’élection de 2019. L’heure de la défiance a sonné et elle risque de se répercuter sur le peu de crédibilité dont jouissent encore nos institutions’’, prévient-il.

EnQuete

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