Plage des Mamelles – l’usine de dessalement de la discorde

Près du phare de Dakar, le bâtiment devrait se situer sur le flanc sud de la colline et ses tuyaux installés en contrebas sur la plage des Mamelles.


Au bout d’un sentier qui descend le long de la colline du phare de Dakar, des petits restaurants construits en bois recyclés bordent la petite plage des Mamelles. Saliou et ses amis y viennent s’y détendre tous les week-ends, depuis le quartier populaire Médina. « C’est ouvert à tout le monde, que tu aies de l’argent ou non. Ailleurs, tout le littoral est privatisé maintenant, et on n’a pas de quoi y accéder », explique le jeune Sénégalais. Mais les plagistes pourraient bientôt devoir céder la place aux ingénieurs.

Dans ce recoin de la pointe des Almadies, la construction d’une usine de dessalement est à l’étude depuis 2015. Financée par un prêt de l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) de 27,5 milliards de yens (quelque 200 millions d’euros), elle devrait atteindre une capacité de 50 000 m3 par jour pour faire face à l’expansion démographique des pôles de Dakar, Thiès et Mbour, où les besoins en eau devraient presque doubler entre 2020 et 2035.

« Ce projet contribuera à améliorer le réseau d’approvisionnement en eau de la ville, à diversifier les sources locales et à renforcer la capacité d’approvisionnement », selon le site officiel de l’usine de dessalement, dont la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones) est le maître d’œuvre. Et le projet accélère : après quatre ans de statu quo, les restaurateurs ont été de nouveau convoqués début avril par la préfecture des Almadies, pour discuter de leur départ.

Au bord de la plage où elle grille ses poissons, Khadija Wade fait partie de ceux qui pensent que l’usine est un mal pour un bien. « A la maison, l’eau coupe pendant des heures ou des jours. Quand elle coule, elle est d’une couleur marron ou beige, avec beaucoup de saletés. Et je n’ai pas les moyens d’acheter de l’eau minérale », témoigne, résignée, la restauratrice qui travaille avec son frère au pied de la colline des Mamelles depuis plus de vingt ans.

Une plage réduite comme peau de chagrin
« Ce projet nous arrange, car on espère avoir un dédommagement intéressant qui nous permettra d’ouvrir autre chose », précise-t-elle, dans l’espoir que les populations locales soient aussi recrutées pour le chantier ou pour le fonctionnement de la station de dessalement.
Selon les plans, l’usine sera plantée sur le flanc sud de la colline du phare et la station de pompage et les tuyaux seront installés en contrebas sur la plage des Mamelles, qui sera encore en partie accessible. « Mais la plage a déjà été réduite de 800 à 20 mètres de longueur en quelques années à cause de projets immobiliers ou hôteliers. Avec cette installation industrielle en plus, il ne restera plus rien », s’inquiète Mohamed Lamine Souma, doyen et chargé de la communication du collectif Tefesu Bir pour la protection du littoral des Mamelles, qui regroupe les restaurateurs concernés.

Depuis quelques semaines, Amadou Maguette Dieng – que tout le monde surnomme Max – a donc ressorti les panneaux rouges et blancs avec l’inscription « Non à l’usine de dessalement » devant son restaurant qui risque de disparaître. Tous les dimanches, il fait tourner une pétition qui a déjà recueilli plus de 1 500 signatures.

« La plage des Mamelles est la plus sauvage et la plus propre de Dakar, on ne veut pas de la pollution », s’indigne l’entrepreneur, qui refuse les dédommagements promis, car il se dit engagé pour la préservation de l’environnement. Il regrette d’ailleurs que les travaux soient voués à détruire le jardin communautaire et le potager bio établis en amont du sentier qui descend à la plage afin de sensibiliser les populations à l’agroécologie urbaine.

Menaces sur les écosystèmes marins
Pour fonctionner, l’usine de dessalement devrait utiliser la technique de l’osmose inverse, qui consiste à transformer deux litres d’eau de mer salée en un litre d’eau déminéralisée et un autre litre de saumuren, une eau très concentré en sel. Aux Mamelles, la saumure sera rejetée à 500 mètres du rivage selon les informations disponibles sur le site officiel de l’usine, qui assure que le projet a « fait l’objet d’évaluation de conformité environnementale conformément à la réglementation nationale en matière de protection de l’environnement ».

Mais Omar Diagne, président de l’association SOS Littoral, a quelques doutes. « Cette saumure est extrêmement nocive pour la faune aquatique, surtout qu’avec les courants ce sera une pollution à grande échelle le long du littoral sénégalais qui est un lieu de reproduction des poissons. Les alevins et donc la chaîne alimentaire vont être détruits », s’alarme le militant. Et c’est sans compter les rejets de produits chimiques polluants utilisés pour le nettoyage des membranes ou pour la potabilisation de l’eau.

Selon un rapport publié en janvier 2019 par l’ONU, les déversements de saumures des usines de dessalement dans le monde ont des effets très négatifs sur les écosystèmes marins : menace directe sur les herbiers, les coraux, les macro-algues et les mollusques ; acidification toxique pour le phytoplancton ; accumulation de résidus dans les poissons et la chaîne alimentaire.

Un constat qui inquiète les pêcheurs comme Gora Gueye Sène, qui est aussi responsable du quai de pêche de Ouakam, un village traditionnel au pied de la colline des Mamelles. « La mer n’est pas une poubelle, il faut la sauvegarder mais l’usine va la détruire », plaide celui qui pêche depuis plus de trente ans au large de Dakar. « Dans cette zone, on trouve des calamars, des thiofs [mérous au Sénégal], des langoustes, des moules et autres fruits de mer. Mais ils ne pourront pas survivre avec la saumure, ça va tout gâter », craint-il.

Par ailleurs, les Mamelles sont protégées par la loi sur les monuments historiques et des fouilles et découvertes. « C’est un ancien volcan et donc un site géologique avec des roches stratifiées qu’il faut protéger. C’est aussi un site archéologique, car c’est un lieu historique et sacré pour les Lébou, cette communauté traditionnelle de pêcheurs. La loi est donc bafouée ! », s’indigne Omar Diagne.

Contactée par Le Monde Afrique à plusieurs reprises, la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones) n’a pas répondu à nos questions.



Par Théa Ollivier – Correspondant Le Monde à Dakar

Source lemonde.fr
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