Permis d’exploitation de 6800 hectares : Tivaouane enseveli dans le phosphate

Le projet est presque bouclé et s’il est mené à terme, plusieurs villages du département de Tivaouane risquent de disparaître de la carte. Et l’on ignore dans quelles conditions l’Etat du Sénégal a octroyé à G-PHOS (SEPHOS), dans le département de Tivaouane, un permis d’exploitation de 6.800 Ha situés dans le périmètre de recherche dénommé «Niakhène1» d’une superficie de 63.000 Ha attribué par arrêté n° 12 950/MIN/DMG du 21 juin 2015. Ce, en vue de l’exploitation des phosphates de chaux du gisement de Beguel dans la commune de Ngandiouf, département de Thiès. Des réserves estimées à 25 millions de tonnes, exploitables sur 30 ans, ce qui suscite à la fois inquiétude et interrogations chez les populations locales d’autant que la dimension anthropologique, inexistante dans le nouveau code minier, n’est pas souvent prise en compte dans ce type de projet.

Dans le même temps, un autre permis est délivré à African investment group (AIG) en vue de l’exploitation du gisement de phosphates de Kébémer 1 dans la région de Thiès (entre Thiès et Louga). Un projet dont le démarrage est imminent.

Tivaouane, un  département en sursis ?

En effet, la concession minière de G-Phos dans le périmètre «Niakhène1» a fait naître des interrogations voire des inquiétudes au sein des populations concernées, étant donné que le périmètre en question abrite 18 villages habités dont 11 dans la commune de Ngandiouf et 7 dans la commune de Mérina Dakhar, des infrastructures sociales, cimetières, lieux de culte, terres agricoles, périmètres maraîchages, zone de pâturage, entre autres.

«L’exploitation proprement dite se pratique à ciel ouvert et fera intervenir le déplacement de la végétation native des zones, se trouve parmi les types d’exploitation minière les plus destructives du point de vue environnemental. L’étude d’impact environnemental et social conduite par le cabinet d’étude Hpr Ankh a été bouclé et les rapports provisoires livrés en 2018. Les populations et les techniciens ne semblent pas convaincus par l’efficacité des mesures de gestion de ces impacts et le suivi rigoureux du plan de gestion environnemental et social», relève un mémorandum rédigé à cet effet et dont Seneweb détient copie.

A Tivaouane, 33 000 hectares pris par les Industries chimiques du Sénégal

Alertées, certaines autorités l’ont été. Le maire de Ngandiouf a pris les devants et a saisi la coalition «Publiez ce que vous payez» pour solliciter un accompagnement à la suite de l’exploration et de la découverte, respectivement, par G-PHOS et AFRIG SA d’importants gisements de phosphates dans la zone de Mérina Dakhar et de Kébémer. Il faut rappeler que ces phosphates s’étendent de Thiès à Kébémer d’une part. Et de Thiès à Kolda d’autre part, selon une source bien renseignée. Et leur exploitation ne sera pas sans conséquences sur le devenir des populations locales. A commencer par Ngassama, un village du Ngandiouf, qui sera probablement le premier village à disparaître de la carte, souffle à Seneweb une source anonyme. Il faut rappeler que déjà, 33 000 hectares ont été pris par les Industries chimiques du Sénégal (Ics) dans le même département de Tivaouane qui, à long terme, risque de disparaître de la carte si toute sa superficie est exploitée, ce qui est très probable.

Afin d’anticiper sur les impacts éventuels de la future exploitation de ces ressources, une réunion de travail avec les élus locaux, les chefs de village, leurs représentants et les leaders communautaires de la commune, à l’initiative de la coalition «Publiez ce que vous payez», a permis d’apaiser les esprits, temporairement. Mais le pire est à redouter étant donné que des  villages tels que Mboul, patrimoine historique du Cayor sont menacés de disparition.

Des villages historiques du Cayor menacés de disparition

Les populations de 11 villages de la commune de Ngandiouf et de 07 autres villages de la commune de Mérina Dakhar voisine, ont, dans un mémorandum, déclaré «avoir pris acte» de l’existence dans leur localité du phosphate de chaux couvrant une superficie de 6800 hectares. «La zone du projet se trouve au cœur de Mboul, ancienne capitale du Cayor, patrimoine historique du Sénégal ayant accueilli l’intronisation de 32 Damels. Mboul mérite aujourd’hui la reconnaissance due à son rôle historique de la part de la communauté nationale et internationale», relève le document. Et «livrer à des engins, ce terroir où l’idée de refus était préconçue depuis la prédiction de la naissance du libérateur du Cayor par le marabout Amary Dia venu du Fouta (homonyme de Amary Ngoné Sobel libérateur du Cayor) ne pourrait-il pas compromettre toute l’Histoire du Sénégal ? Ce Cayor des profondeurs, hostile à l’école française, pendant longtemps et ne connaissant que l’agriculture et l’élevage a accusé un retard énorme sur le plan socioprofessionnel», lit-on dans le mémorandum.

Des conséquences qui risquent de se faire sentir à plusieurs niveaux, car ce projet, dénonce le comité inter-villages, «présente des dangers pour la santé, la sécurité, la salubrité publique, l’agriculture, la nature et l’environnement en général. En outre, le projet porte des inconvénients pour la commodité du voisinage et compromet la santé des populations par sa pollution», détaille le document.

6800 hectares, c’est excessif !

Selon ces mêmes populations, la superficie de 6.800 ha à exploiter par G-Phos est jugée “excessive” et risque de déstructurer l’économie locale et de bouleverser les équilibres Eco systémiques. Les raisons suivantes expliquent sa sensibilité : les pertes de terres; les pertes de ressources fourragères; les impacts sur l’agriculture et l’élevage; les risques de déplacement de villages et les risques de contamination de la nappe; les risques d’accidents de la route avec la circulation des engins; les impacts liés aux nuisances sonores; les risques liés aux vibrations induites par les explosions de mines; les élévations de poussières prédisposant à des maladies, etc.

Des inquiétudes partagées par la coalition «Publiez ce que vous payez», qui a pris langue avec le maire de Ngandiouf et le collectif inter-villageois pour la défense des intérêts des populations. Il faut rappeler qu’à cet effet, une mission de la coalition conduite par le coordonnateur de l’antenne régionale de Thiès, Abdoul Aziz Diop, en compagnie de membres du comité directeur s’est rendue le 18 janvier dernier à Ngandiouf et dans les futurs sites d’exploitation. «Toutes les parties prenantes ont été rencontrées (autorités administratives, élus locaux, promoteurs privés, chefs de village, leaders communautaires). La coalition, après avoir écouté toutes les parties prenantes a pris l’engagement de jouer le rôle d’interface entre les différentes parties prenantes pour apaiser la tension mais aussi la coalition va accompagner, avec l’ensemble de ses structures et experts, les communautés pour que leurs droits et intérêts ne soient pas bafoués et compromis», informe la structure.

Laquelle demande aussi «la publication de la convention entre l’Etat du Sénégal et le groupe G-Phos conformément à l’article 117 du nouveau code minier».

Quid des réserves estimées à 25 millions de tonnes, exploitables sur 30 ans? Des chiffres sous-évalués par G-Phos? L’étude d’impact, elle, parle de 20 millions de tonnes au lieu de 25 millions…

Enfin, comment passer sous silence cet autre permis délivré à African investment group (AIG) en 2015, en vue de l’exploitation du gisement de Kébémer 1 dans la région de Thiès, des réserves exploitables estimées à 24 000.000 de tonnes sur les 30 ans, soit 600 000 tonnes par an lors du démarrage des activités. Un projet qui, comme le premier, constitue une menace pour la zone, pour les populations, au risque d’effacer pour toujours tout un pan de l’histoire du Cayor, du Sénégal.

Momar Mbaye – SeneWeb

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