Ousmane Sène, Directeur du WARC, sur la migration irrégulière : « Sans travail, les jeunes peuvent tuer leurs parents »

Invité du Jury du dimanche de la radio privée Iradio, Ousmane Sène, Directeur du WARC (West African Research Center), a dit, sans langue de bois, que le manque d’emplois peut animer chez les jeunes une certaine animosité.
Le manque d’emploi est la thèse la plus plausible qui explique le choix chez les jeunes de braver la mer à la quête d’une vie décente. Mais, autant le travail est un facteur explicatif, autant la pression sociale peut aussi être un indicateur. A en croire Ousmane Sène, Directeur du WARC, l’environnement familial n’est pas toujours encourageant. « Ce qui se passe actuellement au Sénégal et dans certains pays africains est extrêmement douloureux. Une mère qui a ses 50 ans et qui veut que son fils réussisse pour l’aider, à nourrir toute la famille, c’est quelque part un problème », estime-t-il.
Pour l’universitaire, sans travail, s’y ajoute une pression sociale, les jeunes sont tentés de faire des choses impensables. « S’ils n’ont pas de travail, non seulement vous aurez un mouvement mais la pauvreté et le manque de travail sont aussi le lit du terrorisme. Ils peuvent réveiller l’oisiveté chez eux. En sus, cela amène une dislocation et une destruction de la famille. Parce que cela peut pousser les jeunes à tuer leurs parents. Car, les enfants, pour essayer de sublimer leur angoisse, leur anxiété et la haine de soi-même, ils préfèrent aller noyer ce malheur dans des substances qui les transforment en démon », analyse, sans complaisance, l’enseignant chercheur.
Comme l’avis du Khalife général des mourides, l’universitaire estime aussi que braver la mer est un suicide. « Si vous vous dites que ma vie n’a plus d’importance parce que vous ne produisez rien, et au niveau de votre famille, vous êtes tout simplement une bouche à nourrir et pas une bouche que vous nourrissez vous-même, mais une bouche à nourrir par votre papa, par votre maman et peut être par votre sœur quelque part, cela est extrêmement humiliant. Le travail est finalement une donnée importante pour la qualité de la vie humaine. Si vous n’avez pas cela, vous êtes tenté par ce suicide. C’est un suicide inconscient certes. Grâce à l’expérience que j’aie de la vie et du monde, je sais que braver la mer sur des pirogues comme ça, c’est pratiquement un suicide » explique le spécialiste des Etats-Unis.
Tout autant, le Directeur du WARC n’est pas en phase avec ces jeunes qui investissent une grosse somme pour se rendre en Europe. « Je crois qu’on peut chercher du travail, du succès et réussir dans la vie, sans passer par ce chemin, mais cela nécessite un bon calcul. Vous avez 700.000 F CFA dans votre poche et vous voulez payer un convoyeur pour aller en Espagne, mais cette somme suffit pour investir quelque part », soutient-il. Non sans saluer l’esprit des jeunes de Kolda : « Pas plus tard qu’hier, j’ai écouté des jeunes de Kolda. Ils ont dit qu’on n’attend plus rien de l’Etat et on ne reste pas là à ne rien faire. Ils ont dit qu’ils veulent devenir des ‘‘self made men’’. C’est-à-dire avec ce qu’ils sont et dans l’environnement où ils sont, ils vont essayer de trouver les moyens pour gagner leur vie ».
Toutefois, le Directeur du WARC estime que l’Etat et le secteur privé doivent créer les conditions d’emplois pour aider les jeunes. « Concrètement, les pouvoirs publics et le secteur privé doivent se poser la question de savoir : quelle est la priorité dans nos activités ? C’est qu’est-ce qu’on doit mettre en place pour que de plus en plus il y ait du travail pour les jeunes. Car, il y a rien de bon dans le manque d’emploi chez les jeunes », signale-t-il.
L’universitaire termine par citer une image : « A l’université, on voit tous les jours des étudiants sous les arbres en train de réviser pour préparer les examens. Ils passent la journée à apprendre, ils ne vont même pas manger. Ils veulent avoir leur diplôme ». Et d’ajouter : « Je crois que quelque part il faut que l’Etat crée les conditions qui font qu’une fois qu’on a fini nos études, on pourra avoir un travail et aider ses parents ».