Macky Sall recolle les morceaux de la famille libérale

En engageant une vaste opération de débauchage de ses anciens frères de parti, le président Macky Sall fait d’une pierre deux coups : renforcer ses rangs et prendre autant que possible sa part de l’héritage d’Abdoulaye Wade, en perspective de la présidentielle de 2019.

C’ est une véritable opération de charme que le président de la République, Macky Sall, est en train de mener depuis un bon moment contre ses anciens frères libéraux. Dans la course à la présidentielle de 2019 déjà lancée, le Parti démocratique sénégalais, ou plutôt ce qu’il en reste, constitue un enjeu de taille que se disputent le président Macky Sall et ses “frères’’ putatifs dont le leader de Rewmi, Idrissa Seck, l’ex-ministre de la Coopération internationale, Karim Wade et, dans une moindre mesure, l’ancien président du Sénat, Pape Diop.

Dans cette bataille déjà ouverte des héritiers d’Abdoulaye Wade, tous les coups semblent jusqu’ici permis. Au moment où Karim Wade fait des pieds et des mains pour s’emparer de la direction du parti avec l’appui et la complicité de son père biologique qui lui a d’ailleurs ouvert grandement le boulevard de sa succession, Idrissa Seck fait un appel du pied à ses frères libéraux, en faisant passer Abdoulaye Wade pour une victime de l’actuel président de la République. “Aujourd’hui, ni l’Union africaine, ni la Cedeao, ni l’Uemoa, encore moins l’Onu ne font appel à Abdoulaye Wade, du seul fait du traitement que lui réserve Macky Sall. Je trouve cela indigne’’, a récemment déclaré Idrissa Seck au cours d’une visite effectuée à Porokhane, dans le berceau même du mouridisme.

Cette déclaration de l’ancien Premier ministre et numéro 2 du Pds n’a rien d’anodin, dans le contexte politique actuel. Vu la situation politique du pays qui lui est plus que jamais favorable avec “l’exil’’ de Karim Wade et l’emprisonnement du député-maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall, le soutien de ce qui reste du Parti démocratique sénégalais légitimerait davantage sa candidature et renforcerait ses rangs. Mais, jusqu’ici, cet appel du pied reste sans effet significatif.

Celui qui semble le plus bénéficier des défections notées dans les rangs des libéraux du Pds, c’est plutôt le leader de l’Alliance pour la République (Apr). Le chef de l’Etat, dans sa quête d’un second mandat en 2019, a décidé d’élargir les bases de sa coalition (Benno Bokk Yaakaar) qui semble ne plus lui suffire, à d’autres personnalités et forces politiques et de la société civile.

Toutefois, force est de reconnaître que cette grande offensive s’oriente plus vers son ancienne formation politique qu’aux autres acteurs du jeu politique sénégalais. Macky Sall a ainsi favorisé une vaste opé- ration de débauchage de ses ex-frères de parti. Si certains d’entre eux, parmi lesquels l’ancien directeur général du Centre des œuvres universitaires de Dakar, Sitor Ndour, l’ex-ministre de la Femme, Awa Ndiaye, et l’ancienne ministre du Travail et des Organisation professionnelles, Innocence Ntap Ndiaye ont très tôt répondu à son appel, d’autres ont hésité pendant un bon moment avant de se décider finalement à rejoindre les rangs du camp présidentiel. C’est le cas de l’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye qui, après avoir mis en place sa propre formation politique (l’Union nationale populaire), a fini par “retrouver son ami’’.

Dans les mêmes conditions, l’ancien ministre des Forces armées, Bécaye Diop, a lui aussi rejoint le parti présidentiel, après avoir tenté l’aventure avec l’ancien président du Sénat, Pape Diop, par ailleurs président de la Convergence libérale démocratique/Bokk Gis Gis (Cld/Bgg). Auparavant, certains responsables libéraux, dont l’ancien ministre porte-parole de Wade, Serigne Mbacké Ndiaye, ont dès le début de la deuxième alternance rompu les amarres avec la direction du Pds, pour se rapprocher du parti présidentiel.

Toujours aligné sur la position du président de la République comme lors du dernier référendum de 2016 au cours duquel il a voté Oui, alors que ses frères libéraux avaient opté pour le Non, Serigne Mbacké Ndiaye est jusqu’ici resté cohérent dans sa démarche. Il a, de tout temps, soutenu l’actuel chef de l’Etat, sous prétexte qu’ils sont issus de la même famille politique et donc qu’ils ne peuvent pas se mener la guerre en tant que “frères’’ de parti.

En attendant Diagne Fada….

Dans cette opération de débauchages tous azimuts, les cadres libéraux n’ont pas été épargnés. Le président Macky Sall a, en effet, profité de la fronde organisée et dirigée par l’ancien ministre de la Santé, Modou Diagne Fada au sein du Pds, pour débaucher certains d’entre eux. Abdou Khafor Touré, Abdoulaye Sow, Fatou Thiam, Dior Diongue Ndoye, ancienne députée et ancienne présidente de la Commission féminine de l’Ujtl, Khady Diédhiou, ancienne députée libérale, Beydi Sèye, Alioune Badara Seck, ancien député et conseiller technique de Wade, tous ont été enrôlés en un temps record. Certains d’entre eux, qui continuent toujours de résister, peuvent, d’un moment à l’autre, céder.

C’est le cas de Modou Diagne Fada qui, au moment où nous parlons, consulte les bases de son parti pour discuter de l’offre à lui faite par le président de la République. Venu lui présenter ses condoléances à la suite du rappel à Dieu de son oncle, Macky Sall l’a publiquement appelé à venir travailler avec lui au sein de la mouvance présidentielle. Une proposition qui ne semble point déplaire au président du parti Les démocrates réformateurs (Ldr/Yessal) qui pourrait lui être d’un grand soutien dans le département de Kébémer, surtout dans la commune de Darou Moukhty.

Dès son exclusion du Pds, Modou Diagne Fada a aussitôt pris ses distances avec l’opposition classique incarnée par le Parti démocratique sénégalais et ses alliés traditionnels du Front patriotique pour la défense de la République. Il s’est ainsi constitué une troisième voie pour non seulement participer aux élections législatives du 30 juillet 2017 à l’issue desquelles il a été élu député, mais également aux concertations sur le processus électoral engagées en perspective des prochaines échéances électorales, à travers le Cadre de l’opposition pour la régularité, la clarté et la transparence des élections (Corecte) composé, entre autres formations politiques que Ldr/Yessal, de l’Union des centristes sénégalais (Ucs) d’Abdoulaye Baldé, And Saxal Liggëy d’Aïda Mbodj, le Pur, le parti Visa de Dethié Diouf, Oser l’avenir d’Aïssata Tall Sall, Sud de Moustapha Guirassy et Mpcl de Cheikh Tidiane Gadio. Ensemble, ces partis ont pris le contrepied de l’opposition dite significative, en acceptant de prendre part aux concertations sur le processus électoral.

Les cas Aïda Mbodj et Abdoulaye Baldé

Celle qui pourrait également rejoindre le camp présidentiel sans surprise, c’est Aïda Mbodj. Malgré le fossé qui la sépare de la mouvance présidentielle, surtout à Bambey, dans son fief, la présidente de l’Alliance nationale pour la démocratie/And Saxal Liggëy, pourrait franchir le Rubicon au moment du choix. Car elle a plus à gagner avec le président Macky Sall qu’avec ses ex-frères libéraux avec qui elle n’est plus en odeur de sainteté. Tout comme l’ex-présidente du Conseil départemental de Bambey, le député-maire de Ziguinchor pourrait, lui aussi, rejoindre le camp présidentiel. Les négociations entamées entre Abdoulaye Baldé et les tenants du pouvoir pourraient, en effet, aboutir sur des résultats concluants pour les deux parties. Cela, d’autant que les récentes déclarations du leader de l’Union centriste sénégalais (Ucs), lors du meeting d’Aminata Angélique Manga, laissent présager une transhumance en vue.

Bataille des héritiers en vue

Au-delà des calculs politiques et autres considérations politiciennes, ces opérations de débauchage pourraient s’expliquer par la volonté du chef de l’Etat de recomposer la famille libérale. D’ailleurs, si les prochaines élections (la présidentielle et les législatives de 2019) revêtent un caractère assez particulier pour le président Macky Sall et pour ses potentiels adversaires issus de la famille libérale, c’est qu’elles marquent un tournant décisif dans l’histoire politique du Sénégal et ouvrent une nouvelle ère politique. Depuis 40 ans, ce sont les premières élections qui se tiendront au Sénégal sans le leader charismatique de l’opposition, Me Abdoulaye Wade, déchu à l’issue de la présidentielle de 2012. Dès lors, l’électorat du “Pape du Sopi’’ devient un enjeu de taille. Idrissa Seck et, dans une moindre mesure, Pape Diop vont certes travailler à en prendre leurs parts. Mais Macky Sall semble déjà avoir une avance sur eux en accueillant dans son escarcelle beaucoup de ses anciens camarades de parti. Et ce processus enclenché risque de s’accentuer au fur et à mesure qu’on s’approche des prochaines élections. Aussi, à côté de ceux qui ont déjà décidé de rejoindre le “Macky’’, il y a une masse silencieuse qui hésite encore et qui, le moment venu, sera obligé de choisir son camp.

  •     EnQuete
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