L’opposition envoie un signal fort à Macky Sall

“Macky Sall grossit, le pays maigrit’’, lit-on sur une pancarte brandie par un jeune militant de l’opposition. Babacar Sarr, 23 ans, est en effet l’un de ces jeunes Sénégalais dont l’espoir nourrit en 2012, avec l’avènement du président Macky Sall au pouvoir, est aujourd’hui déchu.

Originaire de la région de Fatick, dans le fief même du chef de l’Etat, il a rallié la capitale sénégalaise avant-hier pour venir battre le pavé et protester contre la conduite des affaires publiques marquée, selon lui, par une gestion clanique du pouvoir et un clientélisme politique jamais connu dans l’histoire politique du pays. ‘’Macky Sall a déçu tout l’espoir de la jeunesse sénégalaise.

De plus en plus, l’emploi est devenu précaire et introuvable. Beaucoup de jeunes diplômés chôment et jusque-là, le président Macky Sall peine à respecter son engagement de créer 500 000 emplois durant son magistère. Presque tous les marchés publics sont systématiquement confiés aux entreprises étrangères, surtout françaises et turques, au détriment du secteur privé national. Cette situation ne peut plus perdurer. Il faut qu’on le dégage avec son régime’’, lâche-t-il d’un ton sec avant de se fondre dans la masse. Nous sommes à la place de la Nation. Il est 16 h passées de quelques minutes. La procession s’ébranle en direction du rond-point de la Radiodiffusion télévision sénégalaise. Comme dans un défilé, les manifestants s’identifient à travers leur appartenance politique.

De par les tee-shirts et autres gadgets qu’ils arborent, les libéraux se distinguent des socialistes proches de Khalifa Sall et ceux-ci des ‘’rewmistes’’ ou encore des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité. Sur place, les différentes sensibilités politiques, qui composent le Front démocratique et social de résistance nationale, rivalisent d’ardeur. Pendant que les libéraux du Parti démocratique sénégalais exigent le retour au bercail de leur candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2019, Karim Meïssa Wade, les militants de Taxawu Dakar réclament la libération immédiate et sans condition du député-maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, surtout après la publication de l’intégralité de l’arrêt de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest.

Au même moment, certains citoyens, qui ont eu également à faire le déplacement pour jouer leur partition, posent sur la table certains problèmes sociaux comme la pénurie d’eau qui ne cesse d’assaillir les populations sénégalaises, mais surtout dakaroises, depuis un bon moment. ‘’Macky Sall n’a pas affaire seulement avec les partis politiques. Il a également affaire avec le peuple qui l’a élu, qui l’a investi de sa confiance en 2012 et qu’il a trahi depuis lors. Qu’il sache que le peuple qui l’a honni depuis lors n’attend que le 26 février 2019 pour le bouter hors du pouvoir pour élire quelqu’un d’autre capable d’apporter des solutions aux problèmes que vivent les populations’’, fulmine Ousmane Ndiaye, 36 ans, originaire de la banlieue dakaroise et militant du Pds.

Forte mobilisation

Il faut dire que le Front démocratique et social de résistance nationale a réussi, au cours de cette marche, une mobilisation monstre qui a d’ailleurs fait le bonheur de ses leaders. ‘’Je félicite tous les Sénégalais qui ont répondu présents à notre appel pour dire non à l’injustice, non à la dynastie Faye-Sall, à la gouvernance sombre, vicieuse et anachronique de Macky Sall. Mais également pour exprimer le désarroi et le désaccord par rapport au sort de Karim Wade et de Khalifa Sall’’, magnifie le conseiller politique de Khalifa Sall, Moussa Taye.

Mais pour le leader des Forces démocratiques du Sénégal (Fds), il ne faut pas trop vite crier victoire. Selon Babacar Diop, cette mobilisation est un premier pas qu’il faut apprécier et qu’il faut soutenir. Car il faut maintenir le même rythme, imposer un rapport de force au président Macky Sall, parce qu’aujourd’hui, la réponse politique n’est pas encore à la hauteur de l’agression. ‘’Macky Sall ne connait que le rapport de force.

Il faut mobiliser le peuple, descendre dans la rue. Il faut maintenir cette même dynamique et continuer à occuper les places publiques et les rues, décentraliser les manifestations à l’intérieur du pays, organiser nos concitoyens qui sont dans la diaspora, montrer à Macky Sall qu’il n’y aura pas d’élection présidentielle sans la candidature de Khalifa Sall et de Karim Wade.

A partir de ce moment seulement, peut-être il entendra raison. Mais il ne suffit pas de dire que nous avons réussi la manifestation d’aujourd’hui pour penser que Macky Sall va abdiquer. Non !’’, déclare-t-il. Avant d’ajouter : ‘’Macky Sall s’entête aujourd’hui dans son aveuglement parce que, pour lui, c’est le second mandat ou le déluge. Il faut lui faire comprendre que pour le second mandat, il faut réunir les conditions pour permettre au peuple de choisir dans des conditions démocratiques, libres et transparentes.’’

Contrairement aux manifestations précédentes, celle d’hier a mobilisé des milliers et des milliers de manifestants venus d’horizons divers. ‘’Je suis venu de Sédhiou, je suis le responsable communal de Rewmi de ladite localité’’, confie Bassirou Touré. Selon ce dernier, si les populations sont sorties en masse pour marcher, c’est parce qu’elles ont déjà tourné le dos au régime de Macky Sall. Ceci, selon lui, est un signal fort adressé directement au chef de l’Etat. ‘’Si Macky Sall sait bien décortiquer le message, il saura que les gens lui ont tourné le dos, parce qu’ils en ont marre de sa gestion.

En plus de la conjoncture, les populations sont obligés de supporter les pénuries d’eau notées un peu partout à travers le pays et même dans des localités qui n’en ont jamais connu. Mais qu’il sache qu’il sera emporté par l’eau comme Abdoulaye Wade a été emporté par l’électricité’’, peste-t-il.

Pour sa part, Mamadou Diouf accuse le président de la République d’être le commis du gouvernement français non seulement au Sénégal, mais en Afrique subsaharienne. ‘’Le président Macky Sall ne cesse de défendre les intérêts français, depuis son accession à la tête du pays. Toute l’économie du pays est aujourd’hui détenue par des entreprises étrangères. C’est d’ailleurs ce qui explique la souffrance des populations sénégalaises qui n’ont plus aucun sou. Tout le monde sait que le pays ne marche pas, parce que la croissance est rapatriée. C’est cela la vérité et il ne faut pas qu’on se voile la face’’, tonne-t-il.

Désordre dans la mobilisation

Au fur et à mesure que le temps passe, la procession avance. Une véritable marée humaine se forme subitement et progresse vers le Triangle Sud, sous le regard vigilant des forces de l’ordre qui se sont déployées dès les premières heures de l’après-midi, pour veiller au grain et éviter tout débordement.

A la tête des différents groupes qui se forment, les leaders du front de l’opposition. Chacun conduit tranquillement ses troupes vers le lieu de convergence. Mais la guerre des pancartes, qui a eu lieu entre les différents partis politiques, a failli gâcher la fête. Et les partisans de Khalifa Sall n’ont pas du tout facilité la tâche aux organisateurs de la marche.

Pancartes brandies, slogans hostiles au régime en bandoulière, ils se sont singularisés par leur comportement. En un moment, ils ont même énervé certains manifestants, lorsqu’ils ont commencé à courir dans tous les sens, une fois arrivé au rond-point de la Rts. ‘’On a certes mobilisé, mais il y a un réel problème d’organisation qu’il faudra corriger la prochaine fois. Il faut que les gens sachent qu’on ne mène pas un combat individuel, mais collectif pour défendre l’Etat de droit, pour protester contre l’injustice galopante et dénoncer les problèmes auxquels les populations sénégalaises sont quotidiennement confrontées. Tout cela ne peut se peut se faire sans une bonne entente entre les différents partis politiques’’, estime Bassirou Touré.

Dans ce désordre presque parfait, on essaye tant bien que mal de s’accorder autour de l’essentiel. Tous exigent des tenants du pouvoir plus de démocratie et de justice sociale dans la conduite des affaires publiques, la transparence dans le processus électoral, la séparation des pouvoirs, le retrait de la loi sur le parrainage ainsi que la nomination de personnalités neutres pour l’organisation des prochaines élections. C’est après avoir dévoilé tout cela devant les grilles de la Rts que les manifestants sont retournés sur leurs pas, sans aucune violence, ni trouble à l’ordre public.

Source : EnQuete

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.