Les Sénégalais à l’épreuve du Covid-19 : De la menace sanitaire au spectre du tour de vis social

Le Coronavirus gagne du terrain. Les mesures prises à l’échelle internationale, de surveillance voire de fermeture des frontières, d’interdiction des rassemblements publics et même de confinement, ont pour seul effet de ralentir sa propagation. Il y a une semaine, l’on comptait 120.000 cas de contamination dans 110 pays. A l’heure actuelle, l’on dénombre plus de 240.000 cas dans 150 pays. 

Le Sénégal a jusque-là enregistré une cinquantaine de cas positifs au virus, soit une augmentation de 150% en sept jours. L’espoir d’une véritable parade à cette pandémie repose principalement sur la mise sur pied d’un vaccin dont les laboratoires fortement mobilisés à cet effet n’annoncent aucune date de mise à disposition. Il est probable que l’année 2020 soit marquée en entier par cette crise sanitaire doublée d’un versant économique à impacts sociaux considérables. 

Au Sénégal, au-delà des inquiétudes sanitaires, un véritable tour de vis social est à craindre, principalement en termes de baisse du pouvoir d’achat (1) et de compromission de la demande sociale (2).

1 – La baisse du pouvoir d’achat :

C’est à un niveau mondial que le pouvoir d’achat des ménages est désormais prévu en baisse pour cette année, consécutivement à l’ampleur de la crise sanitaire. Partout, des modérations doivent être apportées sur les prévisions initiales de consommation des ménages, y compris pour notre pays. Nos capacités à nous procurer des biens et des services vont essuyer le contrecoup de cette pandémie. C’est inéluctable. Il suffit, pour s’en convaincre, de projeter un regard sur les nombreux secteurs menacés de notre économie. 

Certains sont déjà aux prises avec les effets négatifs induits : des pertes importantes de richesses avec des risques de chômage et de faillite. Cela concerne aussi bien l’économie formelle que le secteur informel dans lequel s’activent bon nombre de Sénégalais. 

Plus concrètement, un tourisme mal en point, des hôtels déserts, des agences de voyage en annulations massives de réservations, une flotte aérienne clouée au sol et un trafic aérien quasi-nul, des perspectives financières peu clémentes pour le secteur du transport en commun urbain et interurbain à cause des contre-indications vis-à-vis des situations de promiscuité et de regroupement, des difficultés sérieuses touchant les chaînes d’approvisionnement du commerce formel et informel, entre autres, constituent autant d’ implications de la pandémie avec un choc négatif sur le revenu des Sénégalais. En même temps, le pouvoir d’achat de nombreux ménages, essentiellement suspendu aux envois d’argent de nos compatriotes émigrés (1000 milliards FCFA par an) devrait, lui aussi, subir une érosion sous le poids des difficultés économiques qui touchent aussi les pays d’accueil de nos compatriotes. 

 

La baisse du pouvoir d’achat des ménages sénégalais aura aussi une explication dans le renchérissement du coût de la vie, notamment avec la hausse prévisible des prix des denrées de premières nécessités qui va affecter le panier de la ménagère. En effet, malgré les assurances salutaires du Ministre en charge du Commerce, et du Directeur du Commerce intérieur, sur la continuité de l’approvisionnement de notre marché intérieur pour les mois à venir, notamment en riz, en huile, en sucre etc., il est à redouter une flambée des prix due à la spéculation, phénomène en vogue en pareilles circonstances, et aux ruptures de stocks aux allures de pénurie occasionnées par les approvisionnements massifs anticipés.

2- La compromission de la demande sociale : 

Au Sénégal, la demande sociale est aussi large que multiforme. Elle s’étend de l’alimentation aux infrastructures. Elle diffère selon que l’on se trouve en milieu rural ou en zone urbaine. Par ailleurs, l’Etat, via son référentiel de politique publique, le Plan Sénégal Émergent (Pse), mis en oeuvre à partir de 2014, indique clairement son dessein providentiel. Une démarche qui se veut de protection et de justice sociales. 

 

Elles se traduisent par la sécurité sociale, la réduction des inégalités, la garantie à tous les citoyens de l’accès aux besoins essentiels (éducation, eau, énergie, nourriture, santé, hygiène, etc.). Des attentes de cette envergure engendrent un coût que l’Etat supporte très difficilement, sauf à réaliser des taux de croissance économique durablement élevés, de préférence à deux chiffres. Il doit, dans la foulée, porter une attention particulière sur le croît démographique (augmentation de la population). 

 

Le Gouvernement épouse cette logique, si bien que le taux de croissance économique du pays se maintient depuis 2015 à plus de 6%, alors qu’il n’était que de 3,6% en 2013, en étroite proximité avec notre croît démographique d’environ 2,7%. 

 

C’est donc les richesses engrangées, notamment avec ce regain de croissance économique, que l’État parvient à mettre en œuvre des politiques sociales comme le Programme national de bourses de sécurité familiale (PNBSF), la Couverture maladie universelle (CMU), à accroître la fourniture d’énergie, à améliorer le quotidien du monde rural, etc. 

 

Toutefois, si elle perdure, la crise sanitaire pourrait compliquer davantage le travail des institutions publiques dans la satisfaction de la demande sociale, voire remettre en cause, au moins temporairement, certains acquis sociaux. Parce que les baisses de recettes encourues avec la pandémie notamment dans la fiscalité de porte (recettes douanières), la fiscalité indirecte (TVA avec la baisse de la consommation), la fiscalité direct (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés), sont d’une telle ampleur, que l’Etat peut se retrouver sévèrement désargenté, donc contraint à redéfinir ses priorités, avec de fortes chances de relégation du volet social.

 

Enfin, le tour de vis social, ce sont aussi les mesures salutaires de suspension des pratiques culturelles et cultuelles à audience publique. Dans une société sénégalaise profondément religieuse et attachée à la tradition, ces mesures sont durement vécues. Mais elles sont vitales. 

 

Si la crise sanitaire continue, les renoncements auxquels nous seront invités à nouveau seront encore moins faciles. Ils pourraient concerner les éditions 2020 du pèlerinage à Popenguine, du magal de Touba, du gamou de Tivaouane, à l’image du hajj provisoirement suspendu par le Gouvernement saoudien. Il reste à espérer que très vite, une parade médicale soit trouvée à cette maladie afin surtout de conjurer la succession, dans la tourmente, de la santé par l’économie mondiale. En attendant la solution médicale, ce qui revient à chacune et chacun, c’est d’avoir la pleine conscience de leur responsabilité à la fois individuelle et collective dans la lutte contre l’essor de la maladie.

 

Ahmadou Lamine TOURE

Économiste, Conseiller des Affaires étrangères

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