Les fracassantes révélations de Dr Babacar Diop : « La Maison d’arrêt de Rebeuss est une citadelle de la violence… »

Il l’a toujours mauvaise : Le Professeur de Philosophie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Dr Babacar Diop dénonce des conditions carcérales inhumaines à la Maison d’Arrêt et de correction de Rebeuss. Elargi de prison vendredi dernier, à la suite d’une liberté provisoire, le leader de Fds  a décidé d’être la « bouche des malheurs qui n’ont point de bouche… Sa voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ».

Voici un extrait de sa déclaration lors de sa conférence de presse tenue ce vendredi

« Je veux honorer ici une promesse à travers cette rencontre que j’ai le privilège d’avoir avec vous. J’avais promis à mes compatriotes qui sont dans les liens de la détention à Maison d’arrêt de Rebeuss qu’une fois libre, je serai leur porte-parole pour dénoncer leurs conditions carcérales inhumaines. La situation catastrophique des prisons du Sénégal et des prisonniers interpelle notre conscience collective comme société. Elle interpelle tous ceux qui luttent pour le respect des droits humains, au Sénégal et ailleurs dans le monde. Nous n’avons aucunement le droit, en notre qualité d’humain tout court, de nous taire sur ce qui se passe à l’intérieur de nos prisons.
La Maison d’arrêt de Rebeuss est une citadelle de la violence, un condensé de toutes les formes d’injustices de la société. De l’entrée à la sortie, les prisonniers ne rencontrent que la violence sur leur chemin. L’administration pénitentiaire ignore les droits humains les plus basiques que vous pouvez imaginer. Les prisonniers entrent à Rebeuss en bonne santé et en sortent sur un fauteuil roulant, tellement ils ont été torturés et maltraités. Ils entrent à Rebeuss avec un esprit sain et en sortent fous, tellement ils auront été torturés psychologiquement. Une société démocratique ne doit pas accepter qu’on réduise des prisonniers à des sous-hommes, que l’on transforme des lieux de détention en des camps de concentration. Un prisonnier, c’est avant tout un être humain, un individu qui détient une inviolabilité fondamentale. Dans toutes les circonstances, la dignité humaine doit être respectée et rien ne justifie qu’on la bafoue au jour le jour dans une indifférence totale. Pour en avoir été témoin au quotidien, je dois dire ici solennellement que Rebeuss est une maison de violation permanente de la dignité humaine et des droits de l’homme.
Les prisonniers s’entassent comme des pots de sardine dans des chambres qui ne devraient même pas accueillir des animaux. Certains prisonniers restent debout toute la nuit, faute de places pour se coucher ou pour s’assoir. J’ai pu constater, en raison du surpeuplement carcéral, que plusieurs prisonniers restent des jours sans se laver. La violence des geôliers poursuit les prisonniers jusque dans ces chambres surpeuplées, qui n’ont aucune différence avec les camps de concentration.
Par exemple, la chambre 01 accueille plus de 200 personnes qui se bousculent pour respirer l’air frais et font la queue, du matin au soir, pour satisfaire leurs besoins naturels dans une seule toilette prévue à cet effet. À la chambre 10, les prisonniers y subissent une violence à la fois brutale, barbare et humiliante. Quand les prisonniers sont malmenés et qu’ils sont mal en point, ils sont amenés dans une infirmerie où seulement du paracétamol leur est servi.
A la Maison d’arrêt de Rebeuss, des prisonniers m’ont confié qu’ils sont en détention préventive depuis plus de 7 ans, sans jamais avoir été entendus par un juge. Dans l’enceinte de la chambre 01, j’ai vu une liste circuler, demandant à ceux qui depuis 2013 n’ont pas été entendus par un juge, d’y inscrire leur nom. Les juges diligentent les dossiers de ceux qui ont une voix forte ; les prisonniers dont les conditions sont modestes constatent que leurs dossiers sont oubliés dans les tiroirs. Plusieurs prisonniers ont séjourné dans la prison depuis 4 ans et ont par la suite été relaxés sans qu’aucun dédommagement ni mesures d’insertion ne leur soit offerts. Je peux vous dire ici, sans aucune retenue, que notre système judiciaire est fondamentalement corrompu et doit être profondément réformé. Le sage Solon avait bien raison de dire que les lois ne différentes en rien des toiles d’araignée : elles garderaient captifs les plus faibles, mais les puissants et les riches les déchirent.
De ce que j’ai vu et vécu en ce lieu, la maison d’arrêt de Rebeuss est un lieu de violence et de répression inouïes. Les geôliers n’y parlent que le langage de la violence et de la haine. Ils maltraitent les détenus et les violentent. Ils (les geôliers) les insultent, les piétinent et les frappent. Par ailleurs, l’exploitation de l’homme par l’homme, comme dirait Karl Marx, constitue une réalité bien vivante à Rebeuss. Les prisonniers travaillent tous les jours, du matin au soir, sans aucune rémunération. Plusieurs détenus ont construit le nouveau bâtiment R+1 de la prison, de la fondation à l’achèvement des travaux, et n’ont reçu comme rémunération que 30 000 FCFA. C’est donc un haut lieu de la servitude, pour plusieurs prisonniers dont la sentence n’a jamais été prononcée.
Mes chers compatriotes, chers journalistes,
Si j’ai choisi ce haut lieu des droits de l’homme pour venir prononcer mon discours, la symbolique a toute son importance, car ce qui se passe dans ce pays dépasse tout entendement. Je vous remercie de m’avoir donné cette tribune pour vous montrer la face hideuse et sombre de ce pays, que nous n’avons pas assez regardée et analysée.
A la Maison d’arrêt de Rebeuss, les prisonniers ne sont pas d’égale dignité. C’est une société hautement hiérarchisée. Les bandits qui pillent les ressources du pays et qui fabriquent des faux billets y sont traités avec tous les égards. Ils sont souvent conduits au Pavillon spécial sur la base d’une maladie imaginaire tandis que ceux de situation modeste y purgent leur peine dans les conditions les plus inhumaines du monde.
En ce qui me concerne personnellement, je dois vous dire que j’ai subi la violence des gardes pénitentiaires à deux reprises. Arrêtés le vendredi 29 novembre 2019, nous avons été placés sous mandat de dépôt le mercredi 04 décembre 2019. Je suis arrivé à la maison d’arrêt de Rebeuss vers 19 h 30 mn. J’ai été agressé par deux agents de l’administration pénitentiaire qui m’ont accueilli en disant « Ici c’est Rebeuss, toi tu passes ton temps à télé. Tu parles trop. Tu vas voir ! ».
Le vendredi 20 décembre, vers 10 h 30 mn, j’ai été agressé de manière lâche et sauvage par quatre gardes pénitentiaires dont je connais trois noms parmi les quatre. L’administration pénitentiaire a tenté d’étouffer l’affaire en vain. Par la suite, elle m’a proposé de parler à une presse qu’elle avait sélectionnée pour que je calme la situation dans le pays. J’ai lu le communiqué de presse de l’administration pénitentiaire, et je vous dis clairement que c’est un tissu de mensonges et de contre-vérités. Autrement, pourquoi attendre 5 jours après les événements pour apporter un démenti ? Également, pourquoi m’ont-ils envoyé à l’infirmerie si je n’étais pas roué de coups et blessé ? En ce moment où je vous parle, j’ai bien identifié les agresseurs et je tiens à ce que justice soit rendue, pour que de telles pratiques disparaissent à jamais dans ce pays. Des personnes témoins des faits sont prêtes à témoigner. Une plainte sera déposée par mes avocats dès la semaine prochaine.
Il ressort de tout ce qui précède que nous devons lutter pour réformer la justice qui est un bien public. Les mandats de dépôt illimités dépassent l’entendement dans ce pays. L’État doit construire plusieurs prisons aux normes afin d’alléger la souffrance des prisonniers. Ceux qui vivent dans ces lieux sont des êtres humains, quelle que soit la faute qu’ils ont commise. J’interpelle ici les militants des droits humains afin qu’ils réagissent sans attendre pour arrêter les dérives inhumaines de l’administration pénitentiaire du Sénégal. La société a un droit de regard sur ce qui se passe à l’intérieur des prisons, et personne n’a le droit de regarder les pratiques actuelles se perpétuer. Je propose ici, à la face de nos citoyens et de la communauté internationale, la mise en place d’une commission nationale composée de parlementaires, de membres de la société civile et de magistrats, pour faire une enquête exhaustive sur l’état des prisons au Sénégal. La dignité humaine n’est pas négociable, et derrière ce mur qui se situe en face de « la plus belle corniche de l’Afrique » notre société est entrain de regarder ses propres enfants brûler dans des camps de concentration. »

Docteur Babacar Diop interné à l’infirmerie de Rebeuss

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