Fort d’une large majorité au Parlement, le gouvernement sénégalais va désormais avoir les coudées franches pour mettre en œuvre sa politique de « rupture ». Parmi ses priorités figurent l’adoption du budget 2025 et le rétablissement des finances publiques, sujet d’un lourd contentieux avec l’ancienne présidence de Macky Sall.
L’écrasante victoire du Pastef se confirme au Sénégal. Le parti au pouvoir est arrivé en tête dans 47 des 54 circonscriptions électorales, selon les résultats officiels provisoires des élections législatives publiés mardi 19 novembre.
La formation du Premier ministre, Ousmane Sonko, a revendiqué avoir remporté 80 % des sièges soit 132 députés sur les 165 de l’Assemblée nationale.
Une très large majorité qui devrait permettre au nouveau pouvoir de mettre en branle les premières grandes réformes du programme de « rupture » qui a porté Bassirou Diomaye Faye à la présidence, il y a maintenant huit mois.
Pour ce faire, le gouvernement Sonko doit faire voter par la nouvelle Assemblée nationale une loi de finance pour l’année 2025. L’État compte mobiliser 5 677,7 milliards de FCFA soit une augmentation de la dépense publique de 15,5 % par rapport à 2024.
Le gouvernement a notamment promis de faciliter l’accès aux soins de santé, étendre l’électrification à l’ensemble du territoire ou bien encore le renforcement de la formation des jeunes, dans ce pays où le chômage avoisine les 23 %. Le projet du gouvernement passe également par une rationalisation des dépenses et une diminution de la dette. Or depuis plusieurs semaines ce sujet est au cœur d’un nouveau bras de fer entre l’actuelle et l’ancienne présidence.
Déficit caché ?
Fin septembre, Ousmane Sonko a dévoilé les conclusions de l’audit diligenté par le gouvernement sur les comptes du pays. Qualifiant la situation de « carnage organisé par le régime de Macky Sall », il a accusé les anciens dirigeants d’avoir menti au Sénégal et à ses partenaires, révélant un déficit public deux fois supérieur aux chiffres annoncés (10,5 % contre 5,5 % en moyenne sur la période 2019-2023).
Macky Sall, de son côté, réfute, affirmant avoir laissé des indicateurs économiques au vert et fustige des accusations « sans fondement » qui ont mené à la dégradation de la note souveraine du Sénégal.
Suite à ces révélations, l’agence Moody’s a fait passer le pays de « Ba3 » à « B1 », provoquant une hausse du coût de la dette. L’agence Standard and Poor’s a quant à elle placé le pays sous perspective « négative ». Les autorités ont annoncé, fin octobre, avoir levé 300 millions de dollars sur le marché international pour couvrir les besoins de financement.
« Le Pastef a promis une plus grande transparence et un assainissement des finances publiques, il est donc normal qu’il communique sur l’état des comptes » analyse le sociologue et politiste Saliou Ngom. « Cet audit a été transmis à la Cour des comptes pour validation, ce qui pourrait mener à des poursuites judiciaires » souligne-t-il.
Autre effet de ce scandale, le gel d’un programme de prêt de 1,9 milliard de dollars, contracté par les anciennes autorités en juin 2023, auprès du Fonds monétaire international (FMI) qui a indiqué vouloir désormais attendre les conclusions de la Cour des comptes, prévues mi-décembre, pour procéder au décaissement.
Match à distance
Ce scandale de la dette, en pleine campagne pour les législatives, a ravivé les tensions entre le président du Pastef et l’ancien président du Sénégal.
Une nouvelle bataille qui s’est jouée cette fois à distance, Macky Sall ayant quitté le pays pour le Maroc depuis l’élection des nouveaux dirigeants. Tête de liste de la coalition Takku Wallu – regroupant son parti, l’APR (Alliance pour la République), et le PDS (Parti démocratique sénégalais) de l’ancien président Abdoulaye Wade – il a mené la campagne des législatives depuis l’étranger.
« Cette campagne était une erreur, lorsque l’on quitte le pouvoir, il faut avoir l’élégance de laisser ses successeurs gouverner, mais Macky Sall n’a jamais voulu de successeur » confie l’un de ses anciens conseillers. Concernant les accusations proférées à son encontre par Ousmane Sonko, le proche de Macky Sall botte en touche : « L’administration sénégalaise est très compétente et fera la lumière sur cette affaire. En attendant, il s’agit d’allégations et non de preuves. Ces accusations, c’est le jeu de la campagne, je doute qu’elles soient suivies d’effets ». Du côté du Pastef, le propos est tout autre. « La reddition des comptes est une question extrêmement sérieuse pour notre parti et vous verrez que des mesures concrètes seront prises » déclare-t-on.
Enquêtes en cours
En théorie, rien n’empêche Macky Sall de rentrer au Sénégal. Mais rien ne garantit non plus qu’il pourrait en repartir, Ousmane Sonko ayant promis de diligenter des enquêtes sur la « corruption généralisée » durant le précédent mandat.
En septembre, un nouveau pool judiciaire financier a été installé à Dakar, spécialisé dans la lutte contre la corruption et les crimes économiques. Plusieurs hommes d’affaires et dignitaires du régime précédent feraient déjà l’objet d’enquête, selon la presse sénégalaise. Le Pastef affirme, de son côté, que cette instance n’a pas vocation à mener des règlements de compte politiques mais à lutter contre la corruption, y compris au sein du régime actuel.
Parmi les réformes institutionnelles promises par le nouveau gouvernement figure également la création d’une Haute Cour de justice, habilitée à juger les présidents et ministres pour des actes de corruption et de mauvaise gestion.
Enfin, Ousmane Sonko a promis durant la campagne d’abroger la loi d’amnistie, décrétée par Macky Sall à la fin de son mandat. Celle-ci vise tous les délits ou crimes, jugés ou non, commis lors des périodes de troubles qui ont agité le Sénégal entre février 2021 et février 2024. Plusieurs dizaines de Sénégalais avaient perdu la vie lors de manifestations, liées aux déboires judiciaires d’Ousmane Sonko, et réprimées par la police. Si la loi d’amnistie a permis la libération de près d’un millier de personnes dont de nombreux soutiens du Pastef, le Premier ministre estime que les responsables de la répression doivent répondre de leurs actes devant la justice sénégalaise.
Par : David RICH
Source
France24.com