Le procureur charge Khalifa Sall et Cie et lave les percepteurs

C’est le dernier tournant dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Après les parties civiles, le procureur a fait son réquisitoire, hier après-midi. Il a requis une peine de 7 ans pour Khalifa Sall et Mbaye Touré, la relaxe pour les deux percepteurs.

Dans le temple de Thémis,l’atmosphère monte d’un cran. Tout le monde garde le calme, écoutant religieusement le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye. Après de longs développements, de rappels des principes et faits à la base des poursuites contre le maire de Dakar et ses co-prévenus, voici arrivé l’instant fatidique. Pour la circonstance, le chef du parquet de la région de Dakar amplifie le timbre de sa voix. Y joignant un cachet un peu plus solennel que d’habitude.

Debout, l’air grave, il tonne : ‘’En raison de ce qu’ils (KhalifaSall et Mbaye Touré) ont fait, je requiers 7 ans et une amende de 5 milliards 490 millions de francs Cfa pour chacun, pour les chefs d’association de malfaiteurs, faux en écriture de commerce, faux et usage de faux, détournement de deniers publics, escroquerie sur des deniers publics et blanchiment d’argent.’’ Poursuivant, le ministère public requiert 5 ans contre le comptable Yaya Bodian, les membres de la commission de réception Ibrahima Yatma Diao et Amadou Moctar Diop poursuivis pour, entre autres délits, association de malfaiteurs, faux et usage de faux, complicité de détournement de deniers publics et d’escroquerie sur des deniers publics. Puis, la main du procureur se fait moins lourde contre la dame Fatou Traoré. Contre elle, il ne retient que le faux en écriture de commerce.

De ce fait, il demande au tribunal de la condamner à une peine de 2 ans dont 1 an ferme. En ce qui concerne les percepteurs, qui ont comparu libres, le procureur requiert leur relaxe pur et simple. ‘’Parce qu’il n’y a pas suffisamment de preuves contre eux’’, précise-t-il sous les grognements du public. Revenant sur les peines requises contre Khalifa Sall et Cie, Serigne Bassirou Guèye, avec une certaine dose d’humour, explique qu’il n’a fait que demander l’application de la loi. Il dit :‘’5ans, c’est le minimum. Je n’y peux rien, c’est la loi qui le prévoit. Articles 154 et 155 du Code pénal.’’ Le public gronde.

Le parquetier assume. Il réplique :‘’Sifflez si vous voulez.C’est parce que vous avez partagé un gâteau. C’est votre conscience qui est interpellée. A ces personnes qui sifflent, je les comprends.’’ Malgré les appels à l’orthodoxie du président du tribunal,le magistrat persiste, en affirmant qu’il parle au tribunal. Le juge se tourne du côté du public et affirme : ‘’Ceux qui ne peuvent pas supporter ce qui se dit ici, peuvent sortir tranquillement.’’ Le calme revenu,le parquetier poursuit son réquisitoire. Il demande l’exclusion de toutes circonstances atténuantes ou de sursis.

Pour les circonstances atténuantes, il explique que ce n’est possible que dans le cas où les prévenus avaient remboursé la totalité des montants détournés. Ce qui n’a pas été fait.En ce qui concerne le sursis,il considère qu’en matière de détournement de deniers publics, la loi exclut de manière non équivoque la possibilité de bénéficier du sursis.

Quant à l’escroquerie, certains peuvent estimer qu’elle n’est pas concernée, mais pour en bénéficier, il faut rembourser les 3/4 des montants détournés avant le jugement. Cela n’a pas été fait, se répète-t-il. Et comme pour donner les gages de sa bonne foi, justifier de son intérêt ardent d’aider à l’éclatement de la vérité, il ajoute : ‘’Je ne suis pas méchant. C’est la loi qui le dit. La loi votée parles représentants du peuple. Moi,je représente ici les populations », crie-t-il sous le regard dépité de Khalifa Sall et son équipe. Mais le procureur poursuit sa plaidoirie sur le même ton,la même fermeté.

Dans ses envolées lyriques, il semble oublier parfois qu’il s’adresse à plusieurs pré- venus. Par exemple, il dit : ‘’Il ne faut ni en rire ni en pleurer. Il faut juste comprendre.Comprendre qu’il( ?) doit payer à la hauteur de son acte. Comprendre que les fonds publics doivent être préservés, parce qu’ils appartiennent à tous.Comprendre que celui qui dérive de cette règle va l’apprendre à ses dépens.’’ Pour le procureur,le maire de Dakar a dévié, en ‘’détournant’’ l’argent de sa commune, en l’utilisant à des fins autres que les intérêts des populations. Il ironise : ‘’Alors qu’ils ont dit partout que les fonds politiques sont nécessaires pour la ville, qu’ils ont servi à soigner des malades, soulager des démunies, construire des mosquées, on a appris, ici, que ces fonds, qui reviennent à toute la population de Dakar, qui devaient rester à Dakar, ont servi à entretenir une clientèle politique jusqu’en dehors de Dakar.

Ils ont permis à envoyer des gens à Bercy, à acheter des tam-tams et à financer des chefs d’Etat, selon même les témoins de la mairie.’’Serigne Bass ne s’arrête pas en si bon chemin.Il se permet même de créer de nouvelles ‘’pathologies’’.‘’Peut-être les certaines personnes soignées souffraient de diabète ‘tam-tamo-dépendant’, que ceux qui ont été envoyés à Bercy avaient des nécessités rythmiques’’, raille-t-il.

Désenchantement

Du côté du public, le désenchantement augmente au fur et à mesure que le magistrat continue son réquisitoire. On fait la moue. On grogne par intermittence. A leur endroit, le procureur, qui disait représenter la population, apporte une précision de taille, une précision foudroyante. BassirouGuèye : « Je parle au nom du peuple qui n’a pas participé au partage du gâteau.’’Il poursuit : ‘’Ce peuple a besoin de savoir où sont passés leurs deniers. Ils ont fait des factures pour dire qu’ils ont acheté du mil et du riz. C’est du faux en écriture de commerce.

La facture porte la signature d’Ibrahima Traoré. Ce dernier n’a jamais rien signé.Il a été dit que le Gie Tabbar n’a jamais rien livré. Celui qui a commis ce faux en écriture de commerce doit être puni. Donc, on n’a pas besoin de développer outre mesure. Cette facture est doublement fausse.

Rien que pour ça, la loi prévoit 3 à 7 ans de prison ferme.’’ Pour justifier de l’existence de l’escroquerie portant sur des deniers publics, il explique que ‘’ce sont ces faux qui ont été acheminés auprès des percepteurs pour que l’argent puisse être décaissé. Les coupables doivent pendre 5 à 10 ans. C’est dur, mais c’est la loi’’. Selon lui, la commission du délit de blanchiment d’argent, non plus, n’est pas discutable. Ce délit, explique-t-il, est consommé dès qu’il y a ‘’acquisition, détention ou utilisation de biens dont l’auteur sait, au moment de leur réception, qu’ils proviennent d’un crime ou d’un délit.

Ils (Khalifa et Cie) savaient que des faux et usages et de faux ont été à la base du décaissement de cet argent.Quand l’argent sort, comme en l’espèce,la loi vous dit que vous avez fait un blanchiment. On a fait du faux. L’argent a été décaissé. On l’a remis à Khalifa Sall. C’est pourquoi on dit que le faux corrompt tout. C’est la loi’’. Ainsi, délit après délit, le procureur a tenté de convaincre le tribunal de la culpabilité de Khalifa Sall et Cie.

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