La route tue. Elle est à l’origine de plusieurs accidents. Si la situation est imputable parfois à l’indiscipline de certains chauffeurs, à la vétusté des véhicules ou encore la non-maîtrise du code de la route, force est de constater que l’état de nos routes ne favorise pas non plus la réduction du nombre d’accidents. Le tronçon Niéméniké-Dialakoto est une parfaite illustration du vrai visage de nos routes, qui souffrent d’un mal pernicieux. Totalement dégradé et quasi-impraticable, cet axe routier a besoin d’un traitement de choc, durable et efficace.
En ce mercredi jour de départ, il est 15 heures passées de 30 minutes. Au fond du ciel clair, le soleil est au zénith. Il règne une chaleur d’enfer. Pourtant les voyageurs sont obligés de se rendre sous cette canicule, au bus en partance sur Dakar.
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Sur place, bagages et autres marchandises sont disposés à même le sol. Serviette bleue autour du cou, casquette bien fixée sur la tête, le billeteur encaisse les sous avant d’ordonner l’apprenti de ranger les bagages dans le véhicule. En attendant, clients et accompagnateurs s’abritent sous le hangar en quête d’ombre fraîche. C’est bientôt l’heure du rappel.
Le chauffeur démarre l’engin. Les voyageurs s’entassent devant la portière droite du bus. Chacun est muni d’un ticket de voyageur. L’attente a été longue. Mais Seydina prend son mal en patience. Une fois son tour, le jeune homme prend place dans l’autobus. Aussitôt installé à son siège, il change d’accoutrement pour revêtir une nouvelle tenue. «C’est ma tenue de voyage», lance-t-il à son voisin. Ce dernier transpirait comme un forgeron en pleine action dans sa forge. «Il faut ouvrir la porte ou démarrer la voiture avant qu’on étouffe», se plaint-il auprès du convoyeur.
Casque bien placé, le jeune Seydina écoute sa musique. Il vide tranquillement un sachet d’eau sans perdre de temps. Il faut bien boire pour ne pas se déshydrater. Mais, pré- vient-il son voisin, «pour se rendre à Dakar, il faut se préparer comme si tu allais à la guerre. L’état de la route est catastrophique». Après plus d’une demi heure de route, le bus vient de traverser le village de Niéméniké, à près de 50 kilomètres de Kédougou. Juste à la sortie de cette localité, en partance sur Tambacounda, commence le début de 115 km de calvaire des voyageurs et autres usagers, entre Niéméniké et Dialakoto.
Autocar, remorque, voiture personnelle, véhicule de type 4X4 sautent, freinent, bondissent et se cabrent sur ce parcours comme des moutons. Après quelques distances de parcours, c’est la catastrophe. La situation est encore plus cahoteuse.
Le bitume n’existe presque plus. Il a fait place à de gros trous, si bien que les véhicules sont obligés de décrire des arabesques pour ne pas dire qu’ils zigzaguent pour avancer. Parsemé de crevasses, c’est dans ces conditions que les conducteurs affrontent quotidiennement ce parcours pour rallier la capitale ou l’intérieur du pays. Bitume décapé, nids-de poule, c’est la réalité qu’affrontent les usagers de l’axe Kédougou-Tambacounda. En plus de cette situation, vient s’ajouter le chantier de réfection de cet axe, dont l’entreprise Arezki à la charge.
Entre une route poussiéreuse, des déviations mal faites avec un manque de panneaux de signalisation, les usagers ne savent plus où donner de la tête. «C’est l’enfer. D’habitude on faisait le trajet Kédougou-Tamba en 3h de temps. Maintenant, on le fait en 5 heures de temps au minimum», s’écrie Moctar Sidi Mbaye, animateur culturel et gestionnaire du pays bassari classé patrimoine mondial de l’Unesco. Pourtant, c’est un trajet qui est long de 232 kilomètres. En plus, poursuit M. Mbaye, «il s’y ajoute les mouvements du véhicule, mêlés à la poussière et des secousses à n’en plus finir. C’est infernal».
Souvent en déplacement sur Dakar pour les besoins de son travail ou pour des raisons familiales, Moctar Sidi Mbaye constate que souvent, à l’arrivée, «on est dans un état chaotique et d’une fatigue extraordinaire qui, souvent, rendent difficile le réveil matinal pour se rendre au travail, si c’est un atelier ou un séminaire». Pour cet acteur culturel, en plus de l’enclavement de la zone, le mauvais état de la route n’encourage pas une bonne découverte touristique des richesses culturelles de la région de Kédougou.
Tout comme ce dernier, Eli Paul Biagui, coordonnateur régional de la Délégation générale à la protection sociale et à la solidarité nationale, embouche la même trompette pour dire : «L’axe Kédougou-Tambacounda est un tronçon très difficile.» Et ce dernier de poursuivre : «A partir de Niéméniké jusqu’à Dialakoto en passant par le Parc national de Niokolo Koba, on a tous les problèmes. Il nous arrive même de faire parfois deux jours de route pour rallier Kédougou à Dakar.» Trouvé en pause, après une crevaison à quelques kilomètres de Dialakoto en direction de Kédougou et en partance pour le Mali, Mor Ndao est camionneur sénégalais.
Très en verve contre l’état de cet axe routier qu’il est obligé d’affronter, il explique : «Je viens de Rosso avec mon camion qui vient de tomber en panne à cause d’une crevaison. Je transporte du riz en direction du Mali.» Poursuivant son propos, il se plaint : «Cette route nous cause beaucoup d’ennuis. On ne roule presque pas. On avance à pas de caméléon pour éviter les accidents.»
Pis ajoute-til, «l’Etat de la route est à l’origine de beaucoup d’accidents et des pannes mécaniques et l’Etat doit faire quelque chose pour changer la donne». D’ailleurs, concernant cet appel des usagers, l’Etat a déjà inscrit la réhabilitation de cet axe dans ses priorités. En attestent les travaux qui sont en cours depuis plusieurs mois maintenant. Interpellé sur la question, Monsieur Diouf, chargé des travaux de ce projet à l’Ageroute, explique : «La stratégie développée par le gouvernement, dans le cadre de la Lettre de politique sectorielle des transports, est de développer le réseau routier principal et particulièrement les routes à caractère intégrateur. La réhabilitation de la route Dialakoto-Mako vient soutenir cette politique en mettant ce dernier maillon faible du corridor Dakar-Bamako par le Sud au même niveau de service que les autres tronçons.»
Ensuite, informe notre interlocuteur, ce tronçon long de 115 km sera «réalisé en deux parties pour un coût global estimé à 28 milliards. La durée de réalisation des travaux est de 22 mois pour le premier lot qui est en cours d’exécution sur une distance de 55 km de Dialakoto au PK 120». Sur l’état d’avancement des travaux, il lance : «Actuellement le taux d’avancement, sur cette section, qui avoisine les 30 %, est satisfaisant et à ce rythme, les parties achevées pourrons bientôt être ouvertes à la circulation pour réduire la longueur des déviations.»
Par rapport aux dispositions qui doivent être prises par l’entreprise en charge de la réhabilitation de cet axe routier, en l’occurrence Arezki, le sieur Diouf explique que «l‘Ageroute a «instruit» l’entreprise et la mission de contrôle pour que les déviations provisoires soient arrosées quotidiennement et entretenues régulièrement, afin d’assurer la continuité du trafic dans des conditions de sécurité acceptables.
Les dispositions prises concernent entres autres la mobilisation d’une dizaine de citernes à eau pour l’arrosage, la mise en place de ralentisseurs à dos d’âne et une signalisation adéquate sur la déviation pour réduire la vitesse des véhicules à un maximum de 30 km/h et le positionnement de bonhommes de la route pour alerter et réguler la circulation dans les zones de travaux et les virages dangereux».
Malgré ces dispositions prises par l’Ageroute, il faut dire que la situation est tout autre sur le chantier où les usagers inhalent la poussière tout le long de leur trajet en risquant leur vie sur des déviations à haut risque d’accidents avec le manque notoire de panneaux de signalisation. Est-ce un non-respect des instructions par l’entreprise ou une négligence ?
On se le demande au vu de la situation qui prévaut et qui soulève l’ire des automobilistes et autres usagers. En effet, après s’être félicité des efforts consentis par l’Etat pour la réhabilitation de cet axe, Eli Paul Biagui fait constater qu’il y a des manquements dans la mise en œuvre. Il s’agit, selon lui, du «manque d’arrosage au niveau des zones de déviation et des panneaux mal faits qui font qu’il y a des risques énormes d’accidents». C’est le même son de cloche qui a été donné par Mor Ndao qui se plaint «en plus de l’état de la route, l’entreprise ne nous aide pas à bien circuler.
Non seulement, les déviations ne sont pas bien faits, mais il n’y a pas d’indications pour les zones à risque et les panneaux ne sont pas visibles». Face à cette situation, Eli Paul Biagui est catégorique : «L’entreprise doit respecter ses engagements et veiller à un arrosage régulier.» Car, fait remarquer le technicien, c’est un axe qui est très fréquenté par les camionneurs, comme c’est le corridor Dakar-Bamako. Par conséquent, plaide-t-il «nous avons de petits véhicules et ce n’est pas facile de rouler avec les gros porteurs dans ces conditions. Il faut donc veiller à ce que l’entreprise veille à l’arrosage et qu’il y ait des panneaux de signalisation en bon état».
Pour avoir plus d’informations de la part de l’entreprise Arezki, Le Quotidien a essayé d’entrer en contact avec un de ses responsables. Les tentatives se sont révélées vaines. La dame qui a répondu au bout du fil a promis de nous mettre en rapport avec un responsable qui est sur le terrain. Jusqu’au bouclage de cet article et après trois jours d’attente d’une réaction, personne n’a fait signe. Cependant, il est bon de rappeler que c’est la même entreprise qui a fait le tronçon Mako-Kédougou, long de 45 Kilomètres.
A l’époque, les mêmes reproches ont été faites à l’entreprise, car le manque d’arrosage et les déviations mal faites ont causé pas mal d’accidents sur ce tronçon avant la fin des travaux. En plus, il y a les canaux à ciel ouvert laissés par l’entreprise. En plus d’être devenus des dépotoirs d’ordures, ces derniers sont un danger public permanent, surtout en période d’hivernage. Par ailleurs, le suivi de la qualité des routes laisse fortement à désirer. Le tronçon Mako-Kédougou, construit par cette entreprise, commence déjà à avoir des anomalies en moins de 10 ans.
LeQuotidien