Immersion dans le milieu des Professionnelles du Sexe à Dakar – Des confidences sans tabou

Les filles de joie vivent parfois dans la détresse, surtout durant cette période de pandémie de Covid-19. Entre rejets et tracasseries policières, rareté des clients et observation des gestes barrières, les professionnelles du sexe ont durement été éprouvées.

        ♦  Par  Djiby DEM

La salle d’un centre de prise en charge des professionnelles du sexe est bercée par un silence de cathédrale. Assises autour d’une table, elles écoutent la médiatrice qui ouvre le débat. L’environnement est dépollué d’inquisition, l’ambiance est décontractée, la discussion est menée par cette sexagénaire, qui ne manie pas la langue de bois malgré son âge avancé. Dans ce milieu, il n’y a pas de tabou. Son teint, sa taille et sa corpulence renseignent sur le pouvoir de séduction dont elle disposait quand elle était jeune fille. Elle faisait courir les hommes, lorsqu’elle est arrivée dans ce milieu il y a plus de trente ans. 

Grâce à sa beauté naturelle, elle ne chômait jamais : les hommes lui couraient toujours après pour une partie de plaisir. Mais, aujourd’hui, tout ceci est conjugué dans son passé peut-être composé.

La médiatrice est une boîte à secrets. Elle connait beaucoup de choses et a capitalisé une expérience aussi riche que variée dans un milieu interlope. Avec ses codes. Et ses anecdotes. «C’est une histoire concernant une autorité dont la mère était une professionnelle du sexe et avait une envie compulsive de boire de l’alcool et même l’incapacité d’assurer ses tâches quotidiennes. Ayant fini sa provision, elle s’était rendue dans un bar, où elle a été raflée par la police. Lorsque son fils s’est rendu au commissariat pour la chercher, tous se sont mis en garde-à-vous. Prise de honte, elle se jeta dans les bras de son fils qui n’a pas eu de gêne à la présenter comme sa mère, celle qui l’a mis au monde ».

Rôle de médiatrice dans un centre de prise en charge

La médiatrice donne également l’exemple de cette députée qui a siégé à l’Assemblée nationale. Mais sa grande déception est qu’au « parlement, aucun représentant du peuple ne défend la cause des professionnelles du sexe».

Aujourd’hui mariée et mère de plusieurs enfants, elle mène une nouvelle vie. Mais, elle n’a pas oublié la rue qui maintient encore dans la prostitution nombre de jeunes filles. Consciente de ces risques, elle a voulu rester à leurs côtés pour les accompagner, les orienter et les conseiller. La complicité qui existe avec celle qu’elle appelle affectueuement ses «filles», se lit dans leurs échanges. Son rôle, c’est faire de la médiation sociale auprès des familles des jeunes filles du métier, pour régler les problèmes.

Par son expérience, elle avoue que celles qui pratiquent ce métier le font par obligation. La fonction de médiatrice est rémunérée à hauteur de 80.000 francs Cfa versée par une Organisation non gouvernementale. Dans tous les centres de prise en charge des professionnelles du sexe, il y a une médiatrice qui est désignée et formée par des associations de sensibilisation dans la lutte contre le Vih Sida.

Selon notre interlocutrice, les médiatrices, à l’image des «Bajjenu gox» et des relais communautaires, font également un travail de sensibilisation et d’assistance sociale auprès d’une couche importante de la société. Dans les centres, on distribue des préservatifs, des lubrifiants. Bref, le nécessaire pour leur relation sexuelle.

 En ce lundi ensoleillé, c’est le jour de consultation pour ces dames. Après les conseils, elles ont reçu une provision de préservatifs et de masques pour couvrir le bimestre. La médiatrice, qui est l’une de leurs aînées, connaît l’importance de cette journée. « J’étais une professionnelle du sexe comme elles. Aujourd’hui, j’ai accepté d’être à leurs côtés pour les accompagner, les conseiller sur les maladies telles que les infections sexuellement transmissibles, le port du préservatif». D’ailleurs, la médiatrice confie qu’elle conseille aux filles de venir le lendemain de chaque rapport non protégé pour qu’elles soient mises sous Arv (anti rétroviraux).

Rapports sexuels non protégés

Pour les consultations mensuelles, il faut juste s’acquitter de la somme de 1000 francs Cfa et tout le reste est gratuit. Tous les trois mois, les filles font des consultations, elles se déshabillent pour un diagnostic sans complaisance de leur corps. Parce que la réalité dans cette profession, c’est que certaines filles acceptent souvent des propositions de rapports sexuels sans préservatifs ou bien encore par voie annale. Ce qui n’est pas sans conséquence sur leur corps frêle de jeune fille, notamment leur santé, selon leur médecin. L’une d’elle explique que cela est dû aux «difficultés de la vie».

Face aux lourdes charges quotidiennes, il faut gagner sa vie pour s’en sortir. D’après la médiatrice, personne ne rentre dans ce métier par simple plaisir. Pour la plupart des femmes, c’est souvent des divorcées qui décident de tout faire pour entretenir leurs progénitures. Dans la réalité, «personne n’aime le métier, mais c’en est aussi un comme tous les autres», se défend-elle. Même s’il est banni par la religion.

Les professionnelles du sexe pratiquent le plus vieux métier au monde. Elles «sont utiles et utilisées, mais isolées et oubliées par la société». Leur activité est pourtant encadrée par la loi. C’est l’avis d’un médecin dermatologue officiant dans un centre de prise en charge médical. La plupart des filles de joie, comme l’appellent certains, se font consulter régulièrement pour prévenir des maladies. En effet, dans ce milieu, malgré les risques liés aux maladies telles que les infections sexuellement transmissibles, le Sida, les professionnelles du sexe bravent les menaces pour subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles.

Les travailleuses du sexe étaient au chômage. Leur business n’a pas marché la dernière année, depuis l’apparition du Coronavirus il y a plus d’un an. À cause du couvre-feu qui a été instauré durant cette période, le respect des gestes barrières, les choses n’ont plus bougé, confie l’une d’entre elles. Les clients se sont faits rares.

La pandémie de Covid19 impose la distanciation physique, le port de masque. Ainsi, pour continuer leur travail, les professionnelles du sexe ont été obligées de s’adapter. « Depuis le début, on nous a conseillé d’imposer aux clients le port du masque lors du rapport », affirme-t-elle. Aussi, « on ne donne pas la possibilité à l’homme de se déshabiller complément. Le client a juste le temps de satisfaire sa libido en quelques minutes pour ensuite verser la somme due», confie la bonne dame.

Les oubliées de l’État dans la riposte anti-covid

Les professionnelles du sexe ne sont pas dans un sort enviable. Elles sont reléguées au second plan, regrette leur porte-voix, la médiatrice. Dans ce milieu aussi riche qu’insondable, on y retrouve toutes les catégories de femmes. «Parmi nous, il y a même des étudiantes qui veulent payer leurs études et se faire une carrière professionnelle dans l’administration. Et, dès qu’elles trouvent un mari, elles abandonnent le métier pour ouvrir une nouvelle page de leur vie», raconte une PS.

Jeune fille de teint clair, taille moyenne, originaire du Sine, elle explique comment elle s’est retrouvée dans le métier depuis 2016. Elle vit avec ses parents, possède sa carte professionnelle, et quand elle doit travailler, elle le fait en toute discrétion. Son téléphone lui suffit pour être en interaction avec ses potentiels clients. Mais depuis l’apparition de la pandémie de Covid19, les choses ont changé. « Avant le Coronavirus, nous gagnions 3 ou 4 clients par jour et cela nous permettait d’épargner au bout du mois et d’assurer certaines charges», dit-elle.

Selon la médiatrice, le gouvernement devrait aider cette couche de la société en allant dans les centres de prise en charge des professionnelles du sexe pour offrir les aides. En effet, dans le cadre du fonds de riposte et de solidarité contre les effets du Covid-19, ces femmes disent n’avoir rien obtenu. Et pourtant, l’Alliance nationale des communautés pour la santé (Ancs), leur principal partenaire, a répondu favorablement à l’appel à la solidarité lancé par l’État.

« Des députés participent à nos rencontres et sont conscients des difficultés auxquelles nous faisons face, mais ils ne nous défendent pas à l’Assemblée nationale», insiste la médiatrice. Poursuivant, elle révèle que des bailleurs font pourtant rentrer de l’argent dans le pays. Mais, « celles par l’entremise de qui ces financements sont obtenus sont oubliées», regrette-t-elle. Mieux, elle confie : « des Ong qui soutiennent la cause des professionnelles du sexe ont financé la construction d’infrastructures dans certains centres de santé.»

Puces téléphoniques et réseaux sociaux : Des filles pleines de tics

Quartier Ouest foire, à la rue appelée «taly Waly». C’est l’une des principales adresses des filles de joie. Cependant, on ne les identifie pas sitôt. Car, il faut qu’elles soient d’abord convaincues d’avoir affaire à un client pour ouvrir grandement les portes de leur appartement. Elles ne se déplacent pas. C’est au client de venir. Il ne faut même pas insister, elles sont catégoriques là-dessus.

En cette période de couvre-feu, notre petite enquête nous a permis de savoir que le travail se fait le jour et s’arrête à 20 heures. Mais les tarifs restent inchangés. Selon l’une de ces filles avec qui nous avons échangé au téléphone, leur activité subit un sacré coup à cause du couvre-feu.

«Même si quelques clients appellent, le plus souvent, ils nourrissent juste l’espoir, mais ils ne viennent pas. C’est vraiment différent lorsqu’on est dehors sur le trottoir, où il est plus facile d’être abordée par un homme et gagner en une nuit plus de 50 mille francs Cfa. Les filles de joie se modernisent. Elles ne sont plus dans des maisons closes. Mais, la plupart d’entre elles vivent dans des studios, des appartements où elles sont seules et y mènent tranquillement leur vie.»

Il existe des puces internet dans le marché noir. Ces cartes sont déjà identifiées et vendues à certaines filles de luxe qui habitent dans des appartements au quartier Ouest Foire, Nord Foire ou Mamelles. Avec ces puces, « il y a un grand business derrière. Car, les hommes qui vendent les puces assurent en même temps le marketing digital sur les réseaux sociaux. Ce qui permet aux détentrices de recevoir beaucoup de clients à travers des appels téléphoniques. Ainsi, les filles sont obligées de verser en contrepartie entre 15 mille et 25 mille francs Cfa par semaine aux particuliers qui leurs vendent les puces. Cependant, ces cartes SIM ne sont utilisables que pour une durée de trois mois. Au-delà, la puce ne fonctionne plus », raconte une professionnelle du sexe.

Teint clair, cette fille Halpoular, a perdu son père. Mariée très tôt comme cela se passe dans sa communauté, elle est aujourd’hui divorcée avec son mari fonctionnaire de l’Etat. Son divorce intervient au crépuscule de sa vie. À l’âge de 40 ans, elle est mère de trois filles. Le tribunal lui a donné la garde de ses enfants. Son chagrin, elle le partage avec sa mère. Cette dernière est bien au courant de l’activité qu’elle pratique depuis 2014. 

« J’ai une fille atteinte de la leucémie. C’est le travail qui m’a permis de la faire traiter. Une Ong m’a aidée. Elle a été évacuée au Maroc pour des soins », confie cette belle halpoular qui n’a rien perdu de sa beauté malgré son âge.

À l’en croire, la pandémie de Covid-19 a fortement impacté leur métier. « Nous sommes dans des difficultés. Il est devenu difficiles de payer le loyer, l’eau et l’électricité. Il faut de temps en temps vendre ses objets de valeur : écran plat, chaîne en or… pour faire face aux charges de plus en plus insupportables », renchérit-elle. De son avis, de la même manière que des dons de l’État ont été octroyés aux artistes, les professionnelles du sexe méritent également leur part du gâteau. «Le gouvernement n’apporte aucune aide aux professionnelles du sexe, pourtant, nous sommes des citoyens à l’image des médecins, des artistes, des journalistes et des politiques. Nous faisons partie du pays», dixit la bonne dame.

Elle est consciente des risques du métier qui sont énormes. «Parfois, tu rencontres des hommes bons et d’autres qui ne le sont pas. Il y a certains qui veulent des relations sexuelles non protégées. Face à certaines situations, nous n’avons pas le choix. La seule possibilité est de se donner à contrecœur », ajoute-t-elle.  Ainsi, « pour dissiper le mal, certaines professionnelles du sexe fument le chanvre indien, d’autres consomment l’alcool ou la drogue». Voilà selon elles, les faits qui poussent les Forces de l’ordre à les prendre pour cible.

«Tracasseries» policières : l’autre piège de la nuit

Les professionnelles du sexe sont entre le marteau d’une société très exigeante et l’enclume d’une police régalienne. L’une d’elle déclare : «dans la société sénégalaise, pas de grâce pour nous, il n’y a que nos parents, la médiatrice et les médecins qui nous acceptent. Nous sommes bannies le jour et acceptées la nuit par certains ». Selon l’autre, « la police, même si tu es en règle, elle fait des rafles et impose le paiement d’une contravention de 6000 francs Cfa».

La médiatrice, comme les jeunes filles, dénonce à l’unanimité : « les forces de l’ordre sont à notre trousse surtout dans les bars, ou dans certains coins de Dakar. Nous sommes victimes de tracasseries policières». Selon elles, «les étrangères qui pratiquent le métier de prostitution subissent le pire». Ces filles invitent les forces de l’ordre à plus de compréhension et de coopération.

 «Je préfère vendre mon corps que voler »

Natasha (nom d’emprunt) avance dans notre discussion que son corps lui appartient. « Je préfère vendre mon corps que de voler », dit-elle sans se sourciller. La prostitution est un vieux métier. Celui-ci existe depuis belle lurette, ajoute notre interlocutrice, une belle nymphe, de taille moyenne, teint clair. Elle est juste irrésistible. Âgée d’environ 29 ans, cette jeune fille ressasse un passé qu’elle veut oublier. C’est la raison pour laquelle, elle n’a pas voulu se confier à nous. Elle se veut philosophique : «il faut oublier le passé, vivre le présent et préparer l’avenir.»

Mina, comme elle préfère se faire appeler, est une jeune fille habitant le populeux quartier de Yoff. Elle n’est pas professionnelle, mais pratique ce métier dans la clandestinité pour se prendre en charge. Seulement, cela commence à se connaître dans le quartier à cause des mauvaises langues, informe une source très resautée. Des femmes inassouvies dans la vie se livrent à la prostitution.

Mais lors de la période d’état d’urgence assorti du couvre-feu à Dakar et Thiès, leur vie était devenue encore plus précaire. Elles étaient angoissées face à la rareté des clients.

Les filles de joie offrent tout, pour tous les goûts et toutes les bourses. Elles travaillent la nuit et reçoivent les hommes qui en désirent pour les cajoler dans leurs bras voluptueux. Pour leur permettre d’assouvir leur désir. C’est leur job.

 

Eclairage juridique avec Me Sally Mamadou Thiam : un métier légal mais difficile à pratiquer 

Me Sally Mamadou Thiam, Avocat à la Cour précise que la prostitution n’est pas interdite au Sénégal. « Il y a juste des formalités qu’il faut accomplir pour faire le métier ». Selon la robe noire, « il faut s’inscrire au fichier sanitaire et effectuer des visites médicales suivies et être âgée d’au moins 21 ans ». Cependant, Me Thiam indique que les forces de l’ordre qui procèdent au contrôle, vérifient si la personne dispose des documents. A en croire l’avocat, même si une professionnelle du sexe dispose de documents, elle ne peut pas se vendre dans la rue sous peine d’être arrêtée pour racolage. Donc, résume l’expert en droit, « ces documents ne donnent pas tous les droits aux prostituées ». La plupart du temps elles sont arrêtées pour non inscription au fichier, défaut de carnet sanitaire ou situation de minorité ou même racolage. Même si toute personne est libre de disposer de son corps dans les limites de ce que prévoit la loi, qui est différente de la morale. Ce qui amène Me Thiam à dire que la loi est vieille et doit nécessairement être mise à jour car l’exercice de la prostitution n’est pas clairement défini de sorte que les propriétaires des locaux peuvent être poursuivi pour proxénétisme. En clair, c’est pour dire que « si la prostitution n’est pas interdite, son exercice est très difficile ».

  laviesenegalaise.com

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