Ibrahima Gning (agriculteur biologique): De la fonction publique au champ

A 71 ans, l’ancien inspecteur de la Jeunesse et des sports, Ibrahima Gning quia décidé d’écourter sa carrière en 1991 avec les départs volontaires, se consacre plus que jamais à l’agriculture biologique. Il tient son champ de plus de 9 ha à proximité de la base militaire de Thiès où il trouve bien son compte.

Fonctionnaire de l’État hier, fonctionnaire de lui-même aujourd’hui. Ibrahima Gning a sa propre vision des choses.Né en 1946 à Diourbel, le doyen Gning a fait ses humanités dans cette localité. C’est dans cette région qu’il a débuté son cursus scolaire, en 1952 à l’École régionale de Diourbel (actuelle Algor Dioum).Son cursus l’a ensuite conduit à Dakar où il a obtenu son Bfem.

Le sésame en poche, Ibrahima Gning a alors décidé de se lancer dans l’enseignement. C’est le Centre national d’éducation populaire et sportive (Cneps) de Thiès qui l’a accueilli.Après sa formation,le célèbre agriculteur biologique de la région de Thiès a été admis au lycée Malick Sy pour son premier poste. Il y a servi comme professeur d’éducation physique. Ce bref passage au lycée Malick Sy de Thiès, puis au lycée Djignabo de Ziguinchor, l’a poussé à se présenter à un concours d’inspectorat.

Ce fut le début d’une riche carrière qui l’amena dans plusieurs localités du pays. “J’étais un fonctionnaire. J’ai rempli les fonctions d’Inspecteur de la Jeunesse et des sports, d’abord à Diourbel, Bambey, Mbacké, Oussouye, Kédougou et Tivaouane.

C’est à partir de Tivaouane que j’ai laissé tomber l’Inspection de la Jeunesse. J’ai été affecté au Cneps de Thiès comme chef comptable, chef du personnel. Mais avec les départs volontaires intervenus en 1991, j’ai décidé de quitter la fonction publique pour me lancer dans l’agriculture”, renseigne avec fierté M. Gning. Après avoir servi sa nation, Ibrahima Gning a décidé aujourd’hui de travailler pour lui-même et sa famille. Il a débuté avec une superficie de 25 hectares, mais par la suite, la commission domaniale de Fandène lui a retiré les 15 et il ne lui reste que 10 hectares. “Ils m’ont dit qu’ils vont me laisser les 10 ha, mais je sais que cette superficie fait moins de 10 ha.

C’est avec cet espace que j’ai commencé à exploiter. Je fabrique moi-même les pesticides avec de l’herbe et je pratique l’agriculturebiologiquesansengraischimiques.C’estpourvousdirequetoutest naturel”,fait-il savoir. Tout agriculteur, qu’il soit sénégalais, ivoirien ou encore gambien a besoin du soutien de son État pour booster sa productivité ou écouler ses produits.

En revanche, Ibrahima Gning développe sa propre philosophie. Il dit ne rien attendre de l’État du Sénégal. Il refuse une aide de quelque nature que ce soit qui provienne du gouvernement. Le doyen Gning ne veut pas devenir un “agriculteur-mendiant”. Sa décision est simple et irrévocable. “J’ai pris moi-même la décision de ne jamais demander de l’aide à l’État du Sénégal. En général, il y a ce qu’on appelle la participation volontaire. Il faut que celui qu’on aide donne 1% ou tant soit peu, et les organismes qui financent, en général, travaillent avec les banques. Et moi, je ne veux pas travailler avec les banques, parce que dès qu’il y a intérêt, il y a ce qu’on appelle le “ribât”et c’est interdit par ma religion (Ndlr : l’Islam).

C’est pour cette raison que je ne travaille pas avec les banques, et je ne demande pas de financements ou de l’aide à l’État. Je me débrouille tout seul avec les moyens du bord”, insiste l’agriculteur biologique, jetant très souvent un regard sur ses plantations. Au début, dit-il, c’était très dur. Mais aujourd’hui, confie-t-il,“alhamdouliLah” (je rends grâce à Dieu) tout se passe très bien. “Ce que je gagne dans les champs fait le double voire le triple des pensions.

D’ailleurs, ce n’est même pas comparable. Je cultive de l’arachide, du maïs, etc. Outre ces cultures, nous faisons du maraîchage pendant la saison sèche avec toutes les variétés légumineuses : l’aubergine, le poivron, la tomate, l’oignon, la pomme de terre…Et nous ne faisons que du bio”, se réjouit l’un des précurseurs de l’agriculture biologique à Thiès.

Pour mieux adapter l’agriculture aux réalités actuelles, l’ancien inspecteur de la Jeunesse et des sports a installé dans son champ une pompe solaire et un château d’eau. “Cela nous permet d’arroser avec le système goutte-à-goutte et de pouvoir cultiver des superficies assez importantes, car, il faut savoir s’adapter. Avant, on faisait ce travail avec les mains et c’était beaucoup plus compliqué. Mais actuellement, tout se passe très bien”, souffle l’ancien professeur d’éducation physique. L’ultime combat

La proximité des espaces cultivables avec la base militaire de Thiès est souvent source de différends

Pour Ibrahima Gning, les militaires veulent récupérer toute la zone pour y construire des cités. Et pourtant, leurs champs sont bien séparés de la zone militaire par la route qui mène à Mont-Rolland. Après avoir déployé sa force intellectuelle pour assurer une bonne éducation à la jeunesse de son pays, l’agriculteur biologique doit batailler fort pour que triomphe enfin la vérité.

Son dernier combat, c’est de faire en sorte que cet espace leur revienne définitivement. “Il y a des gens qui disent que cet espace appartient à l’armée. Mais en réalité, ce n’est pas pour elle. Tous les agriculteurs qui sont là n’ont pas occupé ces terres de façon anarchique. Nous avons suivi toutes les procédures et avons nos délibérations, des actes administratifs. Donc, c’est l’État.

Pour les besoins de leur Comico, coopérative d’habitat, les militaires veulent prendre toute la zone pour y construire des logements. Le domaine militaire a été bien clôturé. Mais le reste ne leur appartient pas. C’est un titre foncier de l’État”,tempête-t-il.

Rappelant que cela est “inadmissible”, avec ses camarades, ils se battront corps et âme pour préserver leurs espaces.“Nous avons beaucoup d’initiatives. Mais ce sont eux qui nous freinent. Ils fatiguent les cultivateurs de la zone de Tangor. Le Gouverneur d’alors, Ahmet Fall, avait convoqué une réunion spéciale pour ce problème et devant le colonel Mbengue. Et lors de cette rencontre, il leur a carrément dit que c’est seulement la partie clôturée qui appartenait à l’armée.

Aujourd’hui, ils veulent tout nous arracher. On ne l’acceptera pas; jamais! Nous préférons mourir que de laisser tout à l’armée”,relate avec fermeté l’ex-inspecteur de la Jeunesse et des sports. Ses 71 ans ne l’empêchent pas de mener son ultime combat, au grand bonheur des générations futures.

Source : EnQuete

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