GRAND REPORTAGE : À la découverte de Ouakam, la cité mystérieuse

Sous ses atours modernes, Ouakam a su préserver son trésor traditionnel. Voyage au cœur de l’un des principaux villages lébous de Dakar.

Situé à l’orée de la Presqu’île du Cap-Vert, Ouakam est niché dans un espace géographique particulier. Surplombé par les deux Mamelles, le village traditionnel lébou vit au contact de l’océan atlantique qui lui offre chaque jour sa brise et ses fruits. Transfiguré par l’urbanisation galopante, il fut, jadis, un vaste champ où poussaient du manioc, du gombo, de la tomate et des haricots. De nos jours, à la place, des maisons, écoles, entre autres infrastructures modernes, fleurissent.

Ouakam, c’est sept quartiers : Mérina, Mboul, Gouy-Sor, Taglou, Boulgua, Sinthia et Rip. Ces localités sont dominées par des maisonnettes aux constructions légères, faites en bois et de morceaux de tôles. Au cœur de la Cité, l’accès à ce baraquement est difficile à cause d’un lotissement bancal. Les ruelles sont étroites, comparables à un labyrinthe avec certaines voies qui transpercent des maisons de part en part.

Naissance
Selon le vieux El Hadji Momar Guèye, 90 ans, Ouakam a été fondé par Alé Ndoye. Aux origines, signale-t-il, le village s’étendait jusqu’à l’implantation actuelle du Cices. Il narre : « Cette zone était montagneuse et on appelait ces montagnes, ‘Teupdaame’ (littéralement, ‘qui saute subit une fracture’). Un jour, un des autochtones s’est mis à la recherche d’un endroit plus propice à la vie humaine. Armé de sa hache, l’homme parcourut la forêt bordée de hautes herbes. Après une longue marche, il se mit sous un arbre en mi-journée pour se reposer. Un Oiseau fit tomber du poisson près de lui. Il comprit que la mer n’était pas loin. Poursuivant sa marche, il découvrit la plage avant le village. Cette découverte a permis aux migrants venus de ‘Kam’ de s’installer aux pieds de la cuvette des Mamelles. »

À en croire le nonagénaire, le nom Ouakam signifie les « habitants de Kam » (Wa Kam, en wolof). Kam désignant, selon Adama Wade, expert-comptable à la retraite, un marigot. Une autre version défend que Ouakam doit son nom à sa forme géographique : Kamb (cuvette, en wolof). Selon cette thèse, donc, les Ouakamois sont les « Wa kamb » (les habitants de la cuvette).

Petit à petit, Ouakam a pris forme. La première mosquée fut érigée en 1934 grâce à la mairie de Dakar, dirigée à l’époque par Alfred Goux. C’était en présence de Lamine Guèye, futur édile de la ville et président de l’Assemblée nationale. L’électrification du village arrivera dans la foulée. Plus de 80 ans après l’érection de la première, les mosquées ont essaimé dans le village lébou. Une parmi les lieux de culte, frappe l’attention : Masdjidou Rabaani (la Mosquée de la Divinité, en arabe). Elle borde la Corniche-ouest, coincée sur un flanc du village d’où elle défie l’Océan avec son minaret en vert qui surplombe l’édifice tel un couvre-chef. « Elle a été construite par la grâce divine, confie Mouhamed Seyni Guèye. La construction de cette bâtisse a été faite à la main. »

La Mosquée de la Divinité est aujourd’hui pour Ouakam ce que Taj Mahal en Inde ou la Grande Muraille de Chine est pour le monde : une des Merveilles. C’est que le village lébou a beau revendiquer son côté mystique, il reste un foyer religieux. Et pour cause. « Ouakam est un village béni par les prières de nos ancêtres. Le passage de El Hadji Malick Sy a aussi marqué les esprits des Ouakamois ainsi que ses prières formulées pour cette localité », raconte El Hadji Momar Guèye, Jaraaf et natif de Ouakam. C’est Maodo qui a effectué la pose de la première pierre de la mosquée du quartier de Sinthia.

QG militaire
L’emplacement stratégique de Ouakam avait fasciné les colons. Ils y ont installé la majeure partie des camps militaires. Les tirailleurs y avaient installé leurs quartiers : le camp des Mamelles. Aujourd’hui, Ouakam abrite, en plus du camp des Mamelles, la base aérienne de l’armée française BA 160, le Bataillon du train, le camp Pol Lapeyre devenu camp Mame Bouna Fall, occupé par l’école des officiers de la gendarmerie, la base aérienne sénégalaise, la brigade de Ouakam.

Aujourd’hui beaucoup de cités modernes ont poussé autour du village traditionnel. « Air Form de Terme Sud » fut la première. Elle a été construite en 1952 à quelques mètres de la base aérienne 160. Elle servait à loger les fonctionnaires français de l’Afrique occidentale française (Aof). Ce sont des maisons en forme de demi-sphères d’où son appellation de « Cité Ballon ». Rachetées par des Sénégalais à l’Indépendance, ces cités changent petit à petit de visage. Autour, d’autres cités ont émergé : Comico, Assemblée, Asecna, Mamelles, Avion, Touba Ouakam.

Ouakam abritait à une époque une base militaire américaine. Au point qu’au fil des années une communion naquit entre les populations locales et ces Américains-là. Le départ de ces derniers, en 1948, trois ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, sera un épisode douloureux pour les autochtones. « Il laissera un grand vide difficile à combler, tellement les Américains s’attachaient à la terre et aux populations ouakamoises, raconte, nostalgique, Adama Wade. Ces dernières cesseront de bénéficier des moyens de subsistance gracieusement offerts par les Américains, ainsi que l’assistance médicale constamment apportée pour les soulager. »

Conséquences : abandon de beaucoup de projets infrastructurels, pertes d’emplois bien rémunérés à l’époque…

Mystérieux
L’histoire de Ouakam est étroitement liée aux deux collines des Mamelles. La colline qui abrite le phare s’appelait « Xungu bu mag » et celle qui abrite le Monument de la Renaissance est appelée « Xungu bu ndaw ». En bas de celle qui abrite le phare, logeraient des djinns. « Ce site difficile d’accès constitue le refuge des djinns les plus puissants. De plus, ce site abrite la mystérieuse tombe d’un grand esprit, visible une fois par semaine. L’emplacement de la tombe n’est connue que par les érudits qui protègent et empêchent les génies de perturber le fonctionnement normal du phare des Mamelles. »

Ouakam serait autrefois un repaire de deumm (anthropophages, en wolof). Il n’en est rien, proteste Adama Wade : « C’est un imposteur qui faisait manger à des personnes une plante hallucinogène dénommée catidianta en wolof. Cette plante les poussait à avoir des réactions bizarres et à dire certaines choses. C’est pour cela que l’on disait que les Ouakamois étaient des deumm. Ce qui est tout à fait faux. »

L’expert-comptable à la retraite d’ajouter : « Aujourd’hui, on ne voit même pas un chat noir traîner dans les parages. Notre village accueille les plus grandes autorités et les gens viennent en abondance habiter Ouakam. »

Toutefois, Ouakam affiche sans complexe son arsenal mystique. « Il n’y aucune localité où le mystique ne règne. Dans chaque maison léboue, il existe des khamb (un coin de la maison où logeraient les esprits et où on effectue des sacrifices et dépose des offrandes, Ndlr) qui sont bien entretenus. »

Ouakam a vu naître des personnalités comme Ségolène Royal, candidate malheureuse à la présidentielle française. Elle née sur la base militaire de Ouakam où son père, Jacques Royal, colonel d’artillerie français, officiait. La Française d’origine sénégalaise Rama Yade, ex-secrétaire d’État française, a vu le jour dans le village. Le célèbre écrivain Birago Diop, l’ancien international de football Pape Malickou Diakhaté, l’universitaire, syndicaliste et homme politique Magatte Thiam, notamment, ont poussé leurs premiers cris dans ce village qui va s’ouvrir à la modernité sans compromettre ses trésors traditionnels.

 

 

 

 

Ndèye Fatou NDIAYE – Seneweb.com

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