Gestion transfrontalière des cours d’eau en Afrique : l’hydro diplomatie comme ultime solution pour éviter les conflits militarisés

L’Afrique compte des milliers de cours d’eau. Un bon nombre de ceux-ci dépassent les 1000 km et traversent plusieurs pays. Or l’accès aux ressources de ces cours d’eau transfrontaliers est souvent sujet aux tensions, voire aux conflits entre les pays riverains. Cela demande forcément une gestion compréhensive, voire diplomatique de la part de ces États, pour éviter les conflits armés liés à l’utilisation de ces ressources naturelles, d’où l’hydro diplomatie. Pour mieux appréhender la complexité de cette question, l’équipe de Africa 21 a organisé avec ses partenaires, un atelier du 15 au 19 août dernier à Dakar pour son Réseau des journalistes africains spécialisés sur le développement durable et le changement climatique. Le thème de cet atelier international portait sur les enjeux de l’eau en Afrique.

Avec une vingtaine de journalistes venus de plusieurs pays de la sous-région ouest africaine, et une centaine en ligne d’Afrique de l’Ouest et Centrale, l’atelier qui s’est déroulé en mode hybride dans les locaux de l’Institut africain de développement économique et de planification (IDEP), a vu la participation de plus d’une dizaine d’experts nationaux et internationaux. Du droit à l’eau (présenté par le Tunisien Moez Allaoui – Conseiller auprès de la Direction générale de la Société Nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux – SONEDE), à la Gestion transfrontalière des eaux (présentée par le Dr Komlan Sangbana, point focal Afrique de l’Ouest et Centrale des Conventions sur l’eau de l’UNECE), en passant par les résultats du 9e forum mondial de l’eau (présentés par le conseiller scientifique dudit forum, l’hydrologue Dr Boubacar Barry) et bien d’autres thématiques, un accent particulier avait été mis sur la gestion transfrontalière des cours d’eau sur le continent durant cet atelier. Car en effet, seule l’hydro-diplomatie rassemble autour de la table, dans le cadre d’une nouvelle gouvernance, tous les acteurs liés à la gestion de l’eau. Son objectif est de favoriser les bienfaits économiques et sociaux pour les bassins transfrontaliers et de travailler pour éviter la militarisation des conflits liés à l’eau.

Mais c’est quoi l’hydro diplomatie au juste ?
Fadi Georges Comair qui fut président d’honneur du Réseau méditerranéen des organismes de bassin (Remob), a inventé ce terme au début des années 1990. C’est dans une interview accordé à nos confrères du journal français Libération en 2017, que le directeur général des ressources hydrauliques au Ministère de l’Energie et de l’Eau du Liban a indiqué que « dans les négociations sur le partage des eaux de bassins transfrontaliers au Moyen-Orient auxquelles j’ai participé, j’ai vite compris que ce n’était pas uniquement un travail d’ingénieur, ni seulement un travail de diplomate. J’ai voulu trouver un concept qui pouvait favoriser la culture du dialogue, avec le partage équitable de l’eau entre pays riverains… Cela nécessite des synergies politiques, diplomatiques, financières, des efforts de tous les pays riverains afin de préserver cette ressource essentielle ». En résumé, le diplomate hydraulique de l’American Academy of Water, affirme qu’il s’agit « d’un concept qui allie le travail diplomatique avec l’expertise en matière de planification de projets hydrauliques, via la création d’une coopération régionale ». Le but est de créer une dynamique de développement économique au niveau du bassin transfrontalier pour trouver une réponse aux problèmes que suscitent très souvent l’eau.


« L’eau au service de la paix »
Avec plus de quarante ans d’expérience en matière de gestion d’eau à travers le continent et un peu partout dans le monde, le Dr Boubacar Barry durant cet atelier a d’abord magnifié l’intérêt manifesté par les journalistes pour la question de l’eau, mais aussi le fait que cette rencontre s’est tenue en plus des spécialistes, avec ceux et celles qui porteront désormais la voix de l’eau sur le continent. Ayant rappelé dans un premier temps le commun accord que partage le monde entier sur la nécessité de la gestion et l’utilité de l’eau en tant que facteur de développement pour nos pays et pouvant être source de conflit entre les peuples, celui qui a dirigé les travaux scientifiques du 9e forum mondial de l’eau, a laissé entendre que l’eau doit être un facteur de cohésion et non une source de conflit entre nos pays, « l’eau est importante pour le développement de nos pays, mais elle ne doit pas être une source de conflit ». Avant d’ajouter que « l’eau doit être au service de la paix et non la paix au service de l’eau ». Soulignant l’exemple du conflit Sénégalo-Mauritanien en 1989 autour du fleuve Sénégal, l’hydrologue a insisté sur le rôle prépondérant qu’a joué l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) dans cette crise. En effet, l’OMVS est une organisation intergouvernementale de développement créée le 11 mars 1972 à Nouakchott par le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, en vue de gérer le bassin versant du fleuve Sénégal, bassin qui s’étend sur une surface de 289 000 km2 (la Guinée Conakry a rejoint l’organisation en 2006).

L’OMVS, l’exemple d’hydro diplomatie à exporter
Long de 1 750 kilomètres, le fleuve Sénégal qui prend sa source en Guinée à 750 mètres d’altitude, arrose le Mali, puis la Mauritanie et le Sénégal, tout en servant de frontière entre ces deux pays, avant de se jeter dans l’océan Atlantique à Saint-Louis au nord du Sénégal. Conscients de l’importance de l’union sacrée autour de cette ressource naturelle et animés d’une volonté cimentée par les idéaux de solidarité, de partage, d’équité et de culture de la paix, ces quatre pays ont décidé de lier leur destin autour de ce cours d’eau, en plaçant leur confiance en l’OMVS pour la gestion de ce fleuve transfrontalier et de ses infrastructures qui servent les pays riverains. Selon le Dr Barry, la réussite de l’OMVS dans sa gestion du fleuve Sénégal s’explique par le fait qu’en matière de gestion de cours d’eau transfrontalier, « les Etats doivent impérativement renoncer à une partie de leur souveraineté au profit de l’intérêt général, ce qui fut le cas ». Une gestion qui a d’ailleurs valu à l’OMVS, le prix Hassan II de l’eau lors du 9e forum mondial de l’eau tenu à Dakar du 21 au 26 mars dernier. Le Dr Barry a d’ailleurs indiqué qu’avec ses collaborateurs et d’autres acteurs du secteur de l’eau, ils comptent former une délégation pour se rendre en Afrique de l’Est en vue de présenter l’exemple de l’OMVS, à l’Ethiopie et l’Egypte. En effet, la gestion du Nil bleu fait objet d’une vive tension entre les deux pays depuis quelques années, suite à la construction du grand barrage de la Renaissance par l’Ethiopie. Ce barrage hydroélectrique, le plus grand d’Afrique, pourra stocker environ 80% des eaux du Nil. Même si la production de l’électricité ne consomme pas d’eau, stocker une quantité si importante des eaux du Nil aura indubitablement des conséquences graves pour les besoins en eau de l’Egypte.

L’hydro diplomatie, l’autre voie de l’eau
Comment l’exemple de l’OMVS pourra servir en Afrique de l’Est sur l’enjeu autour du Nil bleu entre l’Egypte et l’Ethiopie, dont les réalités ne sont pas les même qu’en Afrique de l’ouest ?
Il faut rappeler que l’Éthiopie d’une part, affirme que l’énergie hydroélectrique produite par le barrage est vitale pour répondre aux besoins de ses 110 millions d’habitants, et l’Égypte d’autre part, qui dépend de ce fleuve pour environ 97% de son irrigation et son eau potable, et qui considère le barrage éthiopien comme une menace majeure pour son approvisionnement en eau.
Le Dr Boubacar a tout simplement indiqué qu’ils leur indiqueront la voie de l’eau. En ce sens que « l’eau ne connaît pas de frontière » affirme-t-il. Et puisque les eaux ne connaissent pas de frontières, la gestion de cette ressource naturelle que l’homme ne peut fabriquer, ne doit nullement être liée à nos frontières administratives. Car en réalité, elles coulent bien au-delà de celles-ci.
Face donc à l’enjeu de cette ressource naturelle qui est devenu un défi mondial, l’équipe d’Africa 21, conscient qu’un tel défi ne peut-être relever que par une réponse collective, a misé sur les hommes et les femmes de médias pour informer, éduquer et sensibiliser le grand public sur les enjeux de l’eau. C’est ainsi qu’ils deviendront ceux et celles qui parleront désormais pour l’eau sur le continent.

Boubacar BOUARE

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.