États-Unis Vs Chine : Du conflit commercial à la guerre économique ?

La décision chinoise de laisser sa monnaie se déprécier face au dollar, lundi, a fait entrer le conflit commercial dans une nouvelle phase qui pourrait déboucher sur une guerre économique. Mais l’arme monétaire est à double tranchant pour Pékin.

C’est le chiffre de l’été. Pour la première fois depuis mai 2008, la Chine a laissé sa monnaie se déprécier au-dessous du seuil de 7 yuans pour un dollar, lundi 5 août. L’administration américaine a réagi violemment à cette décision en accusant officiellement Pékin « de manipuler sa devise ». Là aussi, c’est une première depuis le début des années 1990.

Mais on n’en est plus là et les marchés financiers ne s’y sont pas trompés. Les Bourses du monde entier ont plongé, lundi, en réaction à cette nouvelle phase du conflit commercial sino-américain.

Changement de registre

Mais s’agit-il encore d’une confrontation purement commerciale ? D’un côté, « il s’agit d’une réplique à l’annonce américaine, jeudi dernier, de nouvelles sanctions commerciales. Elles avaient surpris et particulièrement irrité les autorités chinoises car elles ont été décidées en pleine phase de négociations entre les deux pays », note Mary-Françoise Renard, responsable de l’Institut de recherche sur l’économie chinoise (Idrec) à l’université Clermont-Auvergne, contactée par France 24.

Cette dépréciation de la monnaie chinoise s’inscrit aussi dans la logique de la surenchère de droits de douanes, puisqu’elle sert à mitiger quelque peu le poids des taxes américaines. La baisse du yuan par rapport au dollar permet en effet aux entreprises chinoises de baisser le prix de leurs produits exportés, ce qui revient à dire qu’ils deviennent plus intéressants pour un importateur américain, malgré les droits de douanes.

Cependant, c’est la première fois que Pékin quitte le terrain des sanctions purement commerciales. Jusqu’à présent, la Chine avait toujours répliqué œil pour œil, droits de douane pour droits de douane, alors que cette fois, « elle a opté pour toucher au taux de change », déplaçant la confrontation sur le terrain monétaire, note Mary-Françoise Renard.

Un changement de registre « important symboliquement », reconnaît l’experte française. Il semble indiquer que les autorités chinoises ne reculeront pas devant la perspective de transformer un conflit commercial en guerre économique totale. C’est ce qui inquiète plusieurs observateurs : « Sur une échelle de 1 à 10, cette nouvelle réponse chinoise aux sanctions américaines mérite un onze ! », a ainsi indiqué Paul Krueger, un analyste du cabinet de conseil américain Kowen Washington Research Group, dans une note sur les dernières évolutions des tensions sino-américaines.

Dommages collatéraux

L’arme des taux de change, même si elle est utilisée pour sanctionner les États-Unis, est aussi plus aveugle que les droits de douanes. Ces derniers visent spécifiquement les produits importés des États-Unis, alors que la dépréciation du renminbi entraîne d’importants dommages collatéraux en offrant un avantage compétitif aux exportateurs chinois sur tous les marchés et face à tous leurs concurrents, qu’ils soient américains, européens ou autres.

En outre, « d’autres pays asiatiques ont leur monnaie lié à celle de la Chine, ce qui signifie qu’ils connaîtront également une dépréciation de leur devise, favorisant leurs exportateurs », souligne Mary-Françoise Renard.

Mais les observateurs sont surtout inquiets de la réaction du président américain Donald Trump. Ce dernier n’a, en effet, pas exclu d’agir lui aussi sur le terrain du taux de change. Alors que début juillet, Larry Kudlow, l’un de ses principaux conseillers économiques, avait assuré que « les États-Unis ne feraient rien pour affaiblir leur monnaie », Donald Trump avait rapidement rectifié le tir en assurant qu’il « n’avait jamais dit qu’il ne ferait pas quelque chose » si la Chine agissait pour favoriser ses exportateurs.

La perspective d’une guerre des monnaies a réveillé des souvenirs de la grande crise de 1929. « C’est exactement ce qui s’était passé alors. Dans les années 1930, tout le monde avait commencé à ériger des barrières douanières et décidé de dévaluer sa devise pour essayer d’être plus compétitif que les autres, entraînant un arrêt presque total du commerce mondial », rappelle Charles Kyle, économiste à l’université de Cornell, interrogé par le Washington Post.

Arme à double tranchant

Un scénario catastrophe loin d’être inévitable. Mary-Françoise Renard veut ainsi croire que l’ampleur de la dépréciation du yuan « sera limitée » car il s’agit d’une arme à double tranchant pour Pékin. « Le principal danger réside dans le risque de fuite des capitaux », note la directrice de l’Idrec. Face à une perte de valeur du yuan, les investisseurs seront tentés d’aller placer leurs actifs dans des pays où la devise est plus forte.

C’est ce qui s’était passé en 2015, lorsque Pékin avait décidé de dévaluer brutalement sa monnaie pour essayer de doper ses exportations. La conséquence avait été une chute brutale de la Bourse, des investisseurs étrangers pressés de sortir leur argent du pays et une partie de Chinois les plus fortunés qui avaient placé leur argent à l’étranger. L’expérience a laissé un arrière-goût très amer aux dirigeants chinois, obligés de prendre des mesures fin 2015 afin de limiter la possibilité pour les Chinois de faire sortir leur argent du pays.

Mais en empêchant les riches Chinois de mettre leur argent à l’abri des fluctuations du yuan, les dirigeants risquent aussi de payer un tribut politique en cas de dépréciation prolongée de la devise nationale. Ces grandes fortunes, qui ont souvent de l’influence politique, ne verraient sûrement pas d’un bon œil la valeur de leurs actifs diminuer à cause d’un énième chapitre du conflit sino-américain.

Un autre danger souvent invoqué concerne l’effet de la dépréciation du yuan sur le pouvoir d’achat des Chinois. En effet, quand les exportateurs profitent, les consommateurs trinquent souvent, car les prix des produits importés, eux, augmentent. Mais, en Chine, c’est surtout un problème pour la « classe moyenne supérieure, qui est la seule à pouvoir s’offrir des biens de consommation courante d’importation », nuance Mary-Françoise Renard.

Même si la Chine n’a pas intérêt à abuser de l’arme du taux de change, il n’en reste pas moins que sa décision de l’utiliser arrive à un moment très inopportun. La reprise des négociations entre les États-Unis et la Chine en mai avait fait naître l’espoir d’un accord avant la fin de l’été. Ce dernier s’est volatilisé, emporté par l’entêtement des deux superpuissances de ne pas laisser à l’autre le dernier mot et la dernière salve de sanctions


 

 

          Par : Sébastian SEIBT

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