États-Unis : Joe Biden, un président modéré pour faire oublier le turbulent Donald Trump

Joe Biden se présente comme un modéré avec l’expérience et l’empathie nécessaire pour tourner la page Donald Trump. De sa vie marquée par la tragédie, il veut tirer la force nécessaire pour apaiser des États-Unis, déchirés par les crises économique et sanitaire, mais aussi par les inégalités raciales.


Après quatre années de spectacle permanent à la Maison Blanche, Joe Biden est-il la solution pour faire oublier le tumultueux Donald Trump ? Le nouveau président américain, investi dans ses fonctions mercredi 20 janvier, en est persuadé. Il met en avant son expérience de Washington pour ramener de la dignité dans l’exécutif américain, essoré par quatre ans passés aux mains de l’ancienne star de télé-réalité.

Si les deux hommes ont quelques points communs – ils sont tous les deux l’incarnation du mâle blanc âgé de plus de 70 ans –, Joe Biden préfère se voir comme l’anti-Trump : un politicien chevronné, capable d’ouverture avec le parti adverse, de compassion et surtout de reconnaître ses propres erreurs.

Issu de l’Amérique des cols bleus

Alors que le milliardaire est un produit de l’élite économique new-yorkaise, le nouveau président vient d’un milieu modeste dont il fait aujourd’hui encore sa fierté.

Joseph Robinette Biden Junior est né le 20 novembre 1942 à Scranton, cité ouvrière du nord-est de la Pennsylvanie, dans une famille de catholiques irlandais. Il attribue à ses origines sa bonhomie, sa persévérance et son empathie. Il cite souvent son père en exemple. Un père qui a connu la fortune et la pauvreté et a dû travailler dur toute sa vie, nettoyant des fours ou vendant des voitures d’occasion, afin que ses fils ne manquent de rien. Joe Biden aime rabâcher une des maximes paternelles à longueur de meetings : « Fiston, on ne mesure pas un homme au nombre de fois où il est mis à terre, mais à sa rapidité à se relever ».

Une devise que le jeune Joe Biden a rapidement dû appliquer. Des décennies avant que Donald Trump le surnomme « Sleepy Joe » (« Joe l’endormi »), il était déjà moqué à l’école en raison de son bégaiement. Un trouble de la parole que Joe Biden surmontera en s’entraînant à lire à voix haute de la poésie devant son miroir.

Sa famille déménage dans le Delaware alors qu’il a 13 ans. Joe Biden y obtient en 1968 son diplôme d’avocat. Il devient rapidement avocat commis d’office, alors que l’État connaît une série d’émeutes et d’arrestations à la suite de l’assassinat de Martin Luther King. Il n’a que 29 ans lorsqu’il se lance dans la politique. À la surprise générale, il parvient à battre le sénateur républicain sortant en 1972 et devient le cinquième plus jeune sénateur américain de l’histoire.

Sa joie est cependant de courte durée. Six semaines plus tard, quelques jours à peine avant Noël, sa première épouse Neilia et sa petite fille Naomi se tuent dans un accident de voiture. Ses deux fils en bas âge, Beau et Hunter, sont également blessés. Joe Biden est alors prêt à renoncer à son siège pour rester au plus proche de ses enfants, mais ses collègues le convainquent de poursuivre son mandat. Il prête finalement serment à côté du lit d’hôpital de ses fils.

En raison de ce triste évènement, Joe Biden fait l’aller-retour entre Washington et sa maison familiale de Wilmington, dans le Delaware, chaque jour en train. Une habitude qu’il conserve tout au long de sa très longue carrière au Sénat et qui lui vaut un autre surnom d' »Amtrak Joe ».

Ce n’est cependant pas la seule tragédie personnelle que Joe Biden a dû affronter dans son existence. Lors de son deuxième mandat en tant que vice-président, son fils Beau, procureur général du Delaware promis à faire vivre la dynastie politique Biden, meurt d’un cancer du cerveau en 2015 à l’âge de 46 ans. Selon le président démocrate, c’est lui qui, sur son lit de mort, l’a encouragé à se lancer dans une nouvelle course à la Maison Blanche. Joe Biden peut aussi compter sur sa deuxième femme Jill, qui fait campagne à ses côtés, comme toujours depuis 40 ans.

Un président capable d’amitiés et de compromis bipartisans

Tout au long de ses six mandats de sénateur, Joe Biden est devenu une figure respectée du Capitole. Alors à la tête de la commission judiciaire, il se fait un nom en 1987 en faisant voter le rejet du candidat à la Cour suprême du président Ronald Reagan, Robert Bork, un ultraconservateur. Sa capacité à passer des accords avec les républicains modérés devient sa marque de fabrique. Un bien pour un mal : le sénateur du Delaware fait voter des lois, mais suscite la méfiance de la part de l’aile gauche du Parti démocrate.

Dans les années 1990, Joe Biden met pourtant à profit ses talents pour permettre des compromis bipartisans sur des projets phares de Bill Clinton, notamment l’interdiction des armes d’assaut et l’adoption de la loi sur les violences faites aux femmes en 1994.

Durant la présidence Obama, Joe Biden a bien tenté d’utiliser ses talents de négociateur, mais l’intransigeance croissante du camp républicain – due en partie à l’émergence du Tea Party – a rendu la mission extrêmement difficile. Le leader de la minorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, garde alors ses troupes sous étroite surveillance affirmant que la mission « la plus importante » du Grand Old Party (GOP) était que Barack Obama ne fasse qu’un mandat. Malgré cette adversité, Joe Biden jouera un rôle crucial dans la plupart des accords budgétaires de dernière minute pour éviter ou mettre fin aux « shutdowns » du gouvernement.

Sur le plan de la politique étrangère, Joe Biden était tout aussi important dans l’exécutif même s’il a souvent perdu les arbitrages, comme lorsqu’il avait demandé à ce que le raid contre Ben Laden soit retardé faute d’informations complètes. Lors de sa campagne, il a promis d’inverser les initiatives de Trump en la matière, à commencer par ses décisions de quitter l’accord de Paris sur le climat ou celui sur le nucléaire iranien. Il espère aussi retisser les liens avec les alliés traditionnels des États-Unis, échaudés par quatre ans de trumpisme.

Un président régulièrement sous le feu des critiques…

Donald Trump n’a pas attendu que Joe Biden soit désigné candidat par son parti pour commencer à l’attaquer. Le républicain est allé jusqu’à demander à son homologue ukrainien d’enquêter sur les affaires de Hunter Biden en Ukraine. Une demande qui a conduit à sa mise en accusation par la Chambre des représentants – aux mains des démocrates depuis 2018 – avant son acquittement au Sénat, contrôlé par les républicains.

Les longues années au Sénat de Joe Biden ont laissé également des angles d’attaque à ses concurrents. Lors de la primaire démocrate, il a été vivement critiqué pour sa gestion des accusations de harcèlement sexuel qu’Anita Hill avais émises à l’encontre du candidat à la Cour suprême Clarence Thomas en 1991. Alors que Joe Biden était président du comité judiciaire du Sénat, les républicains ont mis en doute la crédibilité d’Anita Hill et cette dernière reproche au désormais candidat démocrate de ne pas avoir su maîtriser ses collègues lors de l’audience.

S’il a présenté ses excuses en 2019, ces dernières n’ont pas été acceptées par Anita Hill : « Je serai satisfaite quand je saurai qu’il y a un véritable changement et que l’on rend de véritables comptes ». Depuis elle a affirmé qu’elle voterait tout de même pour le démocrate et qu’elle était disposée à travailler avec lui sur les questions de genre.

Alors la rivale de Joe Biden à la primaire démocrate, la vice-présidente Kamala Harris l’avait aussi attaqué sur son bilan, et notamment ses anciennes prises de position contre les politiques d’intégration, dont elle a elle-même bénéficié plus jeune, à Berkeley. Elle cite le « busing », un service de ramassage scolaire visant à promouvoir la mixité sociale et raciale en mélangeant les habitants de différents quartiers. Dans une interview ultérieure avec CNN, Joe Biden s’est défendu en affirmant qu’il était persuadé que des bus mandatés par le gouvernement fédéral « ne fonctionnaient pas », mais qu’il était en faveur des initiatives locales visant à lutter contre la ségrégation des écoles.

Un clash en débat qui ne l’a pas empêché de choisir Kamala Harris en tant que colistière, faisant d’elle la première femme noire à se retrouver sur le « ticket » d’un grand parti.

Quant à l’aile gauche du Parti démocrate incarnée par Bernie Sanders, elle fait souvent à Joe Biden un procès en manque de progressisme et de radicalité. Les partisans de l’ancien vice-président répliquent en mettant en avant les états de service de leur champion et ses décennies passées à lutter pour la justice raciale aux États-Unis et à l’étranger : il avait notamment parlé d’un régime « repoussant et répugnant » à propos de de l’apartheid en Afrique du Sud. Ils rappellent également son soutien au mariage gay pendant la campagne de 2012, alors que Barack Obama se faisait plus prudent.

Son affabilité et sa mauvaise habitude à se montrer tactile lui ont également valu des accusations de conduite inappropriée de la part de plusieurs de ses assistantes. Il a défendu son habitude d’étreindre les gens qu’il rencontre, affirmant qu’il avait toujours vu la politique comme une question de « connexion personnelle ». Il a toutefois concédé qu’il allait tenter d’être « plus attentif à l’espace personnel à l’avenir ».

La pandémie de Covid-19 l’a obligé à tenir sa promesse. Il se montre très attentif au respect des règles de distanciation sociale et arbore un masque protecteur en toute circonstance, alors que son rival républicain avait continué à organiser des meetings à visage découvert quand la pandémie avait déjà fait plus de 200 000 morts dans le pays.

…mais qui se relève à chaque fois

Il l’a répété à plusieurs occasions. Pour Joe Biden, l’élection présidentielle de 2020 est une « bataille pour l’âme de la nation ». Lorsqu’on lui a demandé sur CNN en septembre s’il était « l’exact opposé » de Donald Trump, il n’a pu s’empêcher de sourire : « Je l’espère ».

Mercredi, il devient le plus vieux président jamais investi. Sa troisième tentative à une présidentielle aura été la bonne, après ses échecs cuisants en 1988 et en 2008.

Dans la mythologie de Joe Biden, l’année 1988 reste une année noire. C’est celle qui avait failli mettre fin à sa carrière politique. D’un côté, des accusations de plagiat et de falsifications de diplômes avaient eu raison de ses chances d’emporter la nomination démocrate. De l’autre, il a dû être hospitalisé pour une double rupture d’anévrisme. Il lui faudra sept mois de convalescence avant de revenir au Congrès.

En 2008, il se présente à nouveau, mais sa cinquième place lors du caucus de l’Iowa l’oblige à abandonner. Barack Obama en fera son colistier. Le début d’une relation « fraternelle » entre les deux hommes, selon leurs mots. Ses huit années en tant que vice-président à ses côtés lui permettent aujourd’hui de revendiquer l’héritage politique du premier président noir de l’histoire, que ce soit l’Obamacare sur l’accès aux soins ou encore le plan économique qui a sauvé l’industrie automobile américaine au bord de l’effondrement après la crise financière de 2008.

Preuve de la relation spéciale entre les deux hommes, Barack Obama lui avait réservé une surprise à moins d’une semaine de leur départ de la Maison Blanche : la médaille présidentielle de la Liberté, la plus haute distinction civile aux États-Unis, qu’il dit remettre « au meilleur vice-président que l’Amérique n’a jamais eu ».

Ce respect et cette affection mutuelle entre Biden et Obama lui a permis de mobiliser l’électorat afro-américain lors des primaires, tout comme son implantation chez les cols bleus avaient permis à Obama de remporter des victoires cruciales en 2008.

Après un démarrage plus que poussif dans la course à l’investiture démocrate – dont une cinquième place dans la primaire du New Hampshire qui aurait pu avorter ses chances –, il a su se relever. Jusqu’à sa victoire retentissante lors du « Super Tuesday » de mars, où il a salué ses partisans avec cette phrase qui reflète sa propre histoire : « Pour ceux qui ont été mis à terre, laissés de côté, abandonnés, c’est votre campagne ».

Un succès ouvrant la voie au candidat Biden, qui après avoir rallié rapidement les soutiens des autres modérés, parvient à battre son grand rival Bernie Sanders, avant de se concentrer sur son face-à-face avec Donald Trump.

Au terme d’une campagne d’une agressivité inouïe, de débats houleux, et un sprint final qui aura renforcé la fracture entre deux Amériques aux antipodes, Joe Biden remporte la présidentielle aux dépens d’un Donald Trump qui ne reconnaîtra jamais sa défaite, sans pour autant apporter la preuve des fraudes électorales qu’il dénonce. Toujours est-il que l’élection du démocrate, qui a largement passé la barre des 270 grands électeurs nécessaires pour devenir le 46e président des États-Unis, grâce au vote en Pennsylvanie, dans le Nevada et en Arizona, est certifiée par les élus du Congrès américain, dans un climat houleux.

Après les violences du Capitole, provoquées par les partisans de son prédécesseur, malgré les invectives de Donald Trump, Joe Biden joue l’apaisement et plaide encore pour le rassemblement.

« Nous nous en sortirons ensemble », a-t-il promis.

   Auteur : Benjamin DODMAN

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