Espace de discussion à caractère privé ou public : les juristes dissertent sur WhatsApp

Après Oulèye Mané, c’est Amy Collé Dieng qui est victime de WhatsApp. Tout comme la journaliste, la chanteuse est victime d’un contenu publié dans un groupe de discussion qui a fini sur la place publique. Toutes les deux se retrouvent en prison. Ce qui relance le débat sur le caractère privé ou public des groupes de discussion. Les positions des praticiens du droit divergent.

“Mur des cons”. Cela pourrait être l’affiche d’un film de cinéma. Mais c’est mieux que cela. Il s’agit d’un tableau du Syndicat des magistrats français sur lequel étaient affichées des dizaines de photos de personnalités dont la quasi-totalité est de la droite française, avec des annotations insultantes. Jusque-là privée, l’affaire est finalement devenue publique, lorsque l’existence de ce tableau a été révélée par Atlantico, en avril 2013, par le truchement d’une vidéo tournée par un journaliste en visite dans les locaux du syndicat.

Au finish, Françoise Martres, la présidente du syndicat à l’époque, avait été mise en examen. D’ailleurs, malgré qu’elle ait évoqué le caractère privé du mur, son jugement est prévu du 4 au 7 décembre 2018 pour injures publiques. Cette affaire ressemble, à bien des égards, à l’affaire Amy Collé Dieng.

La chanteuse s’est retrouvée en prison, depuis mardi dernier, pour des propos malveillants à l’endroit du président de la République. Les propos incriminés sont contenus dans un audio qu’elle a diffusé dans un groupe WhatsApp.

Mais l’un des membres du groupe “Sopey Karim” l’a sorti du cercle privé. Ce qui, tout comme en France, a relancé le débat sur le caractère privé ou public des propos tenus par la chanteuse. Pour certains praticiens du droit, Amy Collé Dieng ne peut pas être poursuivie, parce qu’elle a agi dans un cadre purement privé. Parmi ceux-ci, il y a Me Bamba Cissé qui, d’emblée, donne une définition de la vie privée. “La vie privée (du latin privatus – séparé de, dépourvu de) c’est le fait, pour une personne ou pour un groupe de personnes, de s’isoler afin de protéger leur intimité”, explique-t-il.

En effet, d’après son analyse, “il faut distinguer la publicité d’une infraction commise en privé, c’est-à- dire d’un enregistrement privé d’un enregistrement public. Est-ce qu’un enregistrement fait dans un groupe privé peut être considéré comme un enregistrement public ? J’estime que non”. Très catégorique, il soutient que “les groupes d’échanges WhatsApp fermés entre amis, ne peuvent être considérés comme publics. C’est plutôt un enregistrement destiné à un groupe de personnes dans un cadre purement privé”. Par contre, poursuit-il, “ce qui est condamnable, c’est le fait de sortir cet enregistrement et de le destiner au public”.

Car, dit-il, “la loi protège l’intimité de la vie privée et réprime la publicité qui a été faite par la personne qui est l’auteure de cette publicité. (…) En pareille circonstance, le diffuseur pourrait être poursuivi pour avoir distillé l’enregistrement auprès du public et non l’auteur des propos, qui est au contraire victime, puisqu’ayant tenu des propos dans un lieu privé et non pas par une voie destinée à atteindre le public”.

Un juge de siège : “C’est un problème moral plutôt que pénal”

Un avis que partage Me Amadou Aly Kane. De son point de vue, les écrits contenus dans un groupe sont du domaine privé et que le critère de publicité est requis à l’encontre de la personne qui a diffusé la publication, à l’insu de son auteur.

Interrogé sur la question, un juge du siège abonde dans le même sens que les deux avocats. Il considère les groupes de discussion comme des espaces privés où les membres bénéficient d’une liberté d’expression.

Toutefois, il s’empresse d’ajouter que la liberté d’expression a sa limite, puisqu’il faut éviter de tenir des propos qui peuvent heurter l’honorabilité de son destinataire.

Ce qui l’amène à dire que, dans le cas d’Amy Collé Dieng, c’est un problème moral plutôt que pénal. “Elle a plutôt fait de la médisance, puisqu’elle a parlé dans le dos d’une personne et elle a été trahie à son insu. C’est la personne qui divulgue qui a l’intention de nuire”, soutient notre interlocuteur qui a préféré s’exprimer sous le couvert de l’anonymat. “Même si c’est moral et que cela porte atteinte à l’honorabilité d’une institution, l’affaire devient pénale, car on ne s’adresse pas au président de la République avec des injures”, rectifie un autre magistrat détaché dans un des services de l’Etat.

Ce qui fait dire à un de leur collègue parquetier que l’artiste a été plutôt sanctionnée pour le contenu de son message audio. “Si une discussion d’un groupe privé sort, c’est parce que l’un des membres a été déloyal. Mais le fait est qu’elle soit publique ou privée, lorsque le contenu se retrouve sur la place publique, c’est celui-ci qui est incriminé, même si la diffusion n’est pas volontaire”, avance le magistrat. Contrairement aux premiers intervenants, Me Baba Diop réfute l’argument selon lequel les groupes fermés sont des espaces privés. “Il y a un caractère public dans un groupe WhatsApp.

Vous êtes exposé, car Internet est un outil mondial et une fois que vous êtes dedans, il y a une éventualité que tout le monde puisse savoir ce que vous avez fait ou dit.

Quoi que vous fassiez pour la confidentialité, en y entrant, du moment où on a décidé d’être dans un groupe qui peut s’entendre à tout le monde, il n’y a plus de caractère privé”, soutient la robe noire. Encore que, poursuit un autre magistrat, le caractère privé est relatif dans un groupe, car tu peux avoir 10 personnes et si chacun a la possibilité de partager la publication, c’est public. Face à cette divergence de points de vue, un juge d’instruction croit savoir que la jurisprudence française a déjà tranché la question.

D’après les explications du magistrat, “celle-ci considère que si une personne envoie un mail à un groupe d’individus qui ne sont pas liés par une communauté d’intérêt, c’est public”. Par exemple, argue-til, si un magistrat envoie un message diffamatoire à un groupe de maçons, c’est public. “C’est de cette façon que le problème a été réglé”, souligne-t-il avec insistance. Avant d’ajouter : “Ce n’est pas parce que c’est un groupe d’individus que c’est privé, car ce sont des personnes issues d’horizons divers.

 Donc, l’objectif de publicité est atteint.” Entant donné que, dans un groupe, les membres sont venus d’horizons divers, ces différents acteurs de la justice recommandent la prudence. “Quand vous écrivez, il faut prévoir que l’écrit peut être divulgué. C’est pareil pour les propos. Vous pouvez critiquer, mais évitez les injures et de porter atteinte à l’honneur de quelqu’un”, conseil Me Kane.

Au-delà de la prudence, Me Cissé plaide pour une démarche davantage accentuée sur la sensibilisation. Cela, d’autant que, se désole Me Diop, “notre société a des problèmes qui fait que nous avons des dérives comportementales”. Pis, relève-t-il, “il est difficile de circonscrire une conversation privée des gens, car l’Etat ne peut pas être derrière chaque citoyen pour parer à toute dérive”. Donc, aux yeux de Me Cissé, même si “la répression doit être de mise, elle doit rester exceptionnelle”. Car, à son avis, la loi ne s’adapte toujours pas aux contingences et aux faits. “Il n’est pas admissible que notre mauvais usage des réseaux sociaux ne soit pas puni, mais de la même manière, il y a un impératif de respect de la liberté individuelle et de la vie privée, ainsi que de l’intimité des conversations qui est opposable à tous”.

EnQuete

 

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.