Coronavirus et émotion par les chiffres : Lorsqu’on ne croit plus à l’information-spectacle

Ils s’attendaient à un sprint, mais sont maintenant confrontés à une course de fond.
L’énergie qui les faisait tenir au début de la pandémie au Sénégal, cette curiosité bien sénégalaise qui les faisait religieusement écouter le communiqué du ministre de la santé ne sont plus au rendez-vous. Désormais, ils ne s’interrogent plus sur le nombre de cas par jour, encore moins de ceux issus de la transmission communautaire. Cette communauté-là n’est plus en ordre de guerre. Le discours belliqueux du Président contre « l’ennemi invisible » du coronavirus s’est émoussé depuis et ne galvanise plus les cœurs. Le rituel de Diouf Sarr ne veut plus rien dire. Au contraire, c’est du théâtre.
 

Grand-Dakar, dix-huit heures… (Par Moussa Seck)

Dix-huit heures dans ce quartier populaire, où la tradition veut qu’à ce moment de la journée, l’on se retrouve dehors, parlant de tout et de rien. Chacun ou presque tout le monde a sa tasse de café, la fumée de cigarette embaume l’air et, on discute. Des visages sans masque, une distanciation sociale inexistante. Et, on a repris l’habitude de se donner la main. Sur l’avenue Abébé Bikila, les mesures barrières ne veulent plus rien dire. Dans l’esprit collectif, le doute s’est déjà installé, par rapport à l’existence du coronavirus. Du moins, si ça existe sur certains de moins radicaux, chez d’autres, cette maladie virale n’a pas la dimension qu’on lui donne. Une cigarette à la main, cigarette que lui a passée un ami qui la tient d’un autre ami, Thierno est catégorique et son ton ne laisse transparaitre aucun doute. « Je n’ai pas vu quelqu’un qui a chopé le virus».

 

Dans son scepticisme profond et persistant, son imaginaire le conduit à penser « la possibilité qu’on ait payé des personnages célèbres, pour les déclarer positifs au test, se faisant, la masse sera convaincue de la maladie virale ». Dommage! Le jeune homme évoque en ce sens une télévision privée de la place qu’il accuse être l’organisatrice de la mascarade virale. Passant, un comique qui y travaille et qui a été déclaré atteint du coronavirus.

Grand-Dakar est en effet une commune pleine à craquer, populaire, et ses habitants sont assez mobiles. Seulement, ils n’ont rien vu qui ressemble à un cas positif. Ils n’en entendent que parler dans les médias. « Combien de cas avons-nous ce matin ?» était une phrase sérieuse, il y a de cela un mois. Mais, le chiffre n’émeut plus. La communication numérique du ministère de la santé n’a plus d’effet. Les chiffres qui faisaient peur et suscitaient le strict respect des mesures édictées par les autorités deviennent…de simples chiffres. Ils ont perdu leur poids émotif et retournent à leur état originel d’objet de décompte.

Le malentendu entre l’institut Pasteur et le gouvernement malgache à propos de chiffres, peut-être, a impacté. Mais, le chauffeur de Alioune Sall, déclaré par les médias comme source de la contamination du petit-frère du Président, et qui a démenti cette information est chez ce groupe entassé dans la rue Doudou Fall une preuve qu’il y a quelque chose de pas clair. Outre cela et plus récemment : le semblant de tâtonnement, relatif à la reprise des cours pour les élèves en classe d’examen le 2 juin et finalement abandonnée, réconforte les sceptiques dans leur doute et renforce leur manque de réactivité émotionnelle concernant  les chiffres annoncés quotidiennement.

Ainsi, la foi a-t-elle relâché, la raison s’interrogeant. On suffoque, pour ne pas dire qu’on en a marre de ces mesures qui visent à endiguer l’avancée d’une vague de feu dont on n’entend que les crépitements, mais qui n’a encore rien enflammé. Il faut le rappeler : ce coin de Grand-Dakar n’a pas encore de cas. Sur l’avenue grouillant de monde, on fume, on boit son café et on apprécie la musique venant du magasin d’en-face. Une vie normale, redevenue normale plutôt, parce qu’extirpée de la terreur numérique, parce que lasse d’écouter des communiqués. Le cas de Grand-Dakar, sûrement, donne raison à ceux-là qui fustigent la communication (peu efficace) des autorités sur cette épidémie.

On s’entête, et pourtant, vingt et une heures s’approche, dix-huit heures s’envolant comme cette fumée de cigarette qui circule d’une main à l’autre, et dix-neuf heures s’installant. Le couvre-feu est toujours de rigueur. Et, c’est malgré eux que les gens regagneront leurs habitations. La police continue de faire sa ronde.

Le chiffre ne marche plus dans les esprits, l’information-spectacle n’a plus beaucoup d’adhérents dans ce coin épargné par le virus, mais, « le monopole de le violence légitime » par l’Etat a toujours une signification dans les esprits, ou, sur les chairs. Parce qu’à la vérité, nul ne veut être arrêté, nul ne veut avoir à payer une amande. Bien que vingt-deux heures passés, certains habitués des rues sortent, histoire d’aller boire dans la même tasse du thé, avec quelques amis noctambules…

 

           Moussa Seck – laviesenegalaise.com

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