CONTRIBUTION – Déboulonner, débaptiser, rebaptiser : le retard du Fouta

Le meurtre raciste du jeune afro-américain Georges Floyd perpétré par un policier blanc le mois dernier a plongé le monde dans un profond émoi.

Des manifestations sont organisées un peu partout montrant ainsi la grande capacité d’indignation de toutes les personnes éprises de justice. Ce malheureux événement a eu des répercussions à travers le monde ; des mouvements « Black lives matter » essaiment.

De jeunes activistes, en particulier africains montrent une volonté d’en finir avec tous les symboles de l’esclavage, de la colonisation et de toute autre forme d’oppression. C’est dans ce contexte qu’une statue de Léopold II a été déboulonnée à Bruxelles et un poteau funéraire originaire du Tchad arraché dans un musée parisien.

Au Sénégal, le débat sur la statue de Louis Faidherbe qui trône à Saint-Louis agité un moment, ces dernières années, a refait surface.


En effet, il est difficile de comprendre que 60 ans après les Indépendances, on continue d’entretenir la mémoire de l’ancien gouverneur colonial alors que Siidiya Ndatté Yalla, qui a défendu au prix de sa vie le Waalo, terre de ses ancêtres sur lesquelles l’ancienne capitale de l’AOF a été érigée, est tombé dans l’oubli, amputant ainsi cet ancien royaume du Sénégal d’un pan important de son histoire. Le cas de ce prince du Walo est, cependant, loin d’être isolé, car au Cayor si Lat-Dior a donné son nom à un stade de Thiès, qui se souvient aujourd’hui du jeune ajoor Diéri Dior Ndella et/ou de son fidèle ami Sarithia Dièye, en particulier de leur acte héroïque dans le bureau du gouverneur Chautemps, le 7 avril 1904 ?


Cependant, de tous les anciens royaumes qui forment aujourd’hui le Sénégal, il nous semble que le Fouta Tooro est celui qui a le plus du mal à entretenir sa mémoire.


En effet, si ailleurs des écoles, des rues, des avenues, des places publiques, des édifices portent les noms de personnages historiques (Stade Lat-Dior, Lycée Bour Sine Coumba Ndofen, Lycée Alboury Ndiaye, Lycée Maba Diakhou, École Ndaté Yalla, Lycée Ahoune Sané, Lycée Alpha Molo, etc.), le Fouta Toro semble avoir pris l’option de gommer de sa mémoire le souvenir des hommes et des femmes qui ont fait son histoire.


En effet, à notre connaissance, seuls El hadj Omar et Thierno Sileymane Baal ont connu un meilleur sort pour avoir donné leurs noms à des écoles respectivement à Saint-Louis et à Dakar (hors du Fouta), encore que pour le second, il s’agit d’une école privée ; l’initiative relevant alors de l’unique volonté de l’entrepreneur. Force est donc de constater que le Fouta Toro est en retard sur ce plan ; il ne s’agit pas ici, en effet, de déboulonner des statues (car il n’y en a pas puisque notre religion l’interdit), ni débaptiser (rien ou presque n’a été baptisé pour être débaptisé) mais bien de baptiser.


Pourtant, ce ne sont pas des édifices, des places ou des routes qui pourraient porter leurs noms qui manquent dans la zone. Entre autres, nous pouvons retenir :


– la RN2 (en réhabilitation) qui traverse l’ancien royaume de part en part pourrait par exemple porter le nom de Koly Tengalla qui a fédéré les sept provinces pour fonder le Grand royaume du Fouta Tooro au début 16e siècle ; comme elle pourrait prendre le nom de Samba Guéladjo, le plus illustre des princes deeniyanké, héros d’un grand récit épique ; ou encore celui de Thierno Siléymanie Baal, l’initiateur de la révolution des tooroodo, en souvenir de sa longue procession sur Horkayéré, alors capitale des satigi, ou bien celui d’Abdoul Qaadiri Kane premier almaami du Fouta Toro, ou enfin celui d’Elhadj Omar (Sayku Umaar, diraient les gens du Fouta) pour son envergure historique et son aura ;


– la préfecture de Podor pourrait, quant à elle, portait le nom de Baïdy Kacce Pam en souvenir de son acte de bravoure, lui qui, révolté par le comportement de ses compagnons, tua le commandant Abel Jandet, le 10 septembre 1890 ;
– le lycée de Mboumba celui de Ibra Almaami et la caserne des sapeurs-pompiers de Pete, le nom de Mamadou Silèye (ces deux alliés éternels se sont battus pour préserver le Law et Yirlabe-Hebiyabe, leurs provinces respectives de toute domination) ;
– la gouvernance de Matam celui d’Abdoul Bocar Kane qui, avec son armée que Sékéné Mody Cissokko qualifie « d’orgueilleuse jeunesse du Bosséa » a dédié sa vie à la défense du Bosséa et du Ngenar et tout ayant comme projet de recréer l’unification du grand royaume du Fouta Toro ;
– la préfecture de Kanel celui de Alpha Oumar Thierno Baïla, le fidèle compagnon d’Elhadj Omar ;
– la brigade de gendarmerie de Ranérou (et là nous sommes au Ferlo) le nom d’Amadou Sampolel grand défenseur des fulɓe mbaalɓe et de leur bétail.
Ce ne sont là que quelques pistes de réflexion que d’autres plus avisés que nous sur la question pourraient approfondir; notre intension étant juste d’attirer l’attention sur un fait qui nous parait anormal et de susciter le débat.


Il est, à notre avis, plus que temps de corriger ce grave manquement. La réhabilitation de ces figures historiques est un devoir. Le souvenir de leurs actions doit être imprimé dans les mémoires des plus jeunes qui, pour la plupart, ignorent jusqu’à leurs noms.




Par Cheick Sakho

2 Commentaires
  1. Tidiane NIANG

    Grand merci à Mr Cheikh sakho,en tout cas bien pensé, bien réfléchi,nous ici à Doumga Ouro Alpha avons baptisé notre premier école primaire au nom de notre grand khalif Thierno Cheikh Ly,alors qu’il nous encore d’autres sites à baptiser, comme le deuxième école primaire,le collège,le lycée le poste de santé…..

  2. Aliou BAL

    Toutes mes felicitations au Docteur SAKHO pour cette importante contribution au débat actuel portant sur la dignité de l’homme noir.
    A mon avis c’est un combat vain que de demander à notre ennemi le respect. Aussi, il ne faut pas penser que ceux qui ont massacré nos ancêtres hier parce qu’ils les considéraient comme des sous-hommes peuvent devenir aujourd’hui nos amis par la magie du verbe. Osons regarder la réalité en face et faisons notre introspection.
    L’un des objectifs des négriers et des colons blancs était d’effacer de nos mémoires nos héros et aussi de dégrader nos cultures et croyances pour nous imposer les leurs n’hésitant pas à utiliser les tortures les plus atroces.
    Le vrai combat commence par nous respecter nous-même, en réhabilitant notre propre histoire pour ensuite nous tourner vers l’ennemi (ou adversaire) et lui imposer notre dimension, notre stature..
    Rien n’est offert gratuitement, rien n’est à jamais acquis, tout doit être conquis et reconquis.
    La vie est un perpétuel combat.
    Wa Salaam.

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