Concertation autour des réformes : La société civile pose ses conditions

L’appel du chef de l’Etat, Macky Sall, pour l’ouverture de concertations avec l’opposition, la société civile et autres acteurs impliqués autour du projet de révision constitutionnelle n’est pas parti pour engendrer le consensus entre les camps en lice. Pour cause, tout en saluant la dynamique de dialogue enclenchée, la société civile entend faire valoir devant le chef de l’Etat ses points de vue sur les réformes devant être soumis au référendum.

Quand elle ne suggère tout simplement pas le report du scrutin du 20 mars, histoire d’arriver à un véritable consensus autour de cette révision constitutionnelle ! Sud quotidien a donné à ce sens la parole à Aboubacry Mbodji de la Raddho, Mouhamadou Mbodji du Forum civil, Fadel Barro de Y’en a marre, voire Djibril Gningue, le secrétaire exécutif de la Plateforme des acteurs de la société civile pour la transparence des élections (Pacte).

MOUHAMADOU MBODJ, FORUM CIVIL : «La discussion… c’est aussi la date du référendum qu’il faudra repousser»

C’est une excellente chose. Dans notre conception de la gouvernance au Forum civil, nous pensons que la bonne gouvernance commence par les interactions entre les acteurs. Il faut qu’il soit mis en œuvre par le dialogue, la concertation. La gouvernance ne doit pas être qu’institutionnelle. Donc, inviter les gens à dialoguer, à construire une interaction pour arriver à des mesures consensuelles, qui touchent les 13 millions de Sénégalais, c’est une posture que nous pouvons que saluer…

Maintenant, c’est à nous de poser les questions au président. Il va nous dire pourquoi il nous a invités. Nous pensons que si les mesures qu’on va voter dans le projet de révision constitutionnelle vont s’appliquer à tout le monde, on lui demandera d’ouvrir son projet à une discussion sincère, avec possibilité de l’améliorer. C’est la contrepartie qu’on paie ici… Si cette possibilité est fermée, il va falloir prendre en considération que les gens pourront juger de l’utilité d’un tel exercice ou non. Je crois que s’il invite des gens, c’est pour soumettre son projet à discussion. Maintenant, la discussion n’est pas seulement relative au projet, c’est aussi la date du référendum qu’il faudra repousser. Si c’est maintenu au 20 mars, je pense que nous ne serons pas dans les dispositions d’un bon référendum. Jusqu’au moment où je vous parle, si vous suivez les débats au niveau des télés, les gens vous disent qu’ils n’ont pas pris connaissance du contenu de la révision constitutionnelle… Il y a donc un besoin de mise à niveau. D’ailleurs, il y a même un besoin d’affirmer, de faire un appel à proposition. Il faut que ces rencontres servent à améliorer la prise de décision collective du peuple pour enrichir les règles constitutionnelles de notre vivre ensemble. Il faut de l’ouverture de part et d’autre.
Maintenant, nous, notre diagnostic au Forum civil est que le modèle politique et institutionnel de la gouvernance démocratique au Sénégal est dépassé. Nous ne manquerons pas de dire ce que nous pensons du contenu de la révision constitutionnelle. Nous ferons des propositions d’amélioration et il ne faut pas se limiter à la révision seulement.

ABOUBACRY MBODJ, RADDHO : «Aller écouter, ça ne veut pas dire qu’on est d’accord»

Nous pensons d’abord que ça devait commencer par là. Il fallait privilégier la concertation entre tous les acteurs politiques, de la société civile, les leaders d’opinions, les chefs religieux et coutumiers. Maintenant que cela n’a pas été fait, il n’est jamais trop tard pour corriger. En ce qui nous concerne, nous restons à l’écoute pour être saisi officiellement, que ce soit de manière individuelle par organisation, ou bien le front de la société civile qui milite en faveur du Non. Nous allons apprécier tous ensemble la position à prendre. Par courtoisie et par respect, lorsqu’on vous appelle à une concertation, la meilleure posture, c’est d’aller écouter.

Mais aller écouter, cela ne veut pas dire qu’on est d’accord. Parce qu’au préalable, il faut qu’on sache sur quoi va porter par exemple l’appel. Jusque-là, c’est un appel qui nous a été lancé et nous ne connaissons pas les points sur lesquels nous allons échanger une fois que nous serons auprès du président de la République. C’est à partir de ce moment que nous pourrons l’écouter et ensuite apprécier en fonction de ce que nous avons entendu. Après, nous prendrons notre position. Voila un peu ce que nous avons systématisé aussi bien au niveau de nos organisations qu’au niveau du front du Non pour les organisations de la société civile, des personnalités indépendantes et certaines formations politiques. Si on est appelé aussi dans le cadre du front, nous allons déléguer nos représentants même si nous ne pouvons pas y aller tous ensemble et nous allons l’écouter. Sur la base de ce que nous allons écouter, nous allons revenir rendre compte aux membres du front qui vont apprécier la position à prendre.

DJIBRIL GNINGUE, PLATEFORME DES ACTEURS DE LA SOCIETE CIVILE (PACTE) : «Sans le report du référendum, la concertation manquera de consistance»

Du point de vue du principe, au niveau de la société civile et particulièrement au niveau de la Plateforme des acteurs de la société civile pour la transparence des élections (Pacte), nous sommes tout à fait disposés à rencontrer le chef de l’État dans le cadre de sa main tendue. Cependant, pour donner toutes les chances à son appel au dialogue, nous pensons qu’il devrait sursoir à son référendum et ouvrir les concertations avec tous les acteurs politiques et de la société civile sur ces réformes. On ne peut pas lancer la campagne pour le référendum alors qu’il n’y a pas de consensus autour des réformes. Officiellement, c’est la date du 12 mars qui est retenue pour le démarrage de cette campagne mais nous constatons tous qu’il ya déjà une campagne sur le terrain. Aussi bien du côté de ceux qui appellent à voter «oui» que celui des partisans du «non».

Dans ces conditions, il sera très difficile de parler de concertation avec les partis politiques et la société civile. Pour un dialogue franc, sincère et inclusif, le minimum que le président doit faire, c’est d’abord sursoir à la date du référendum. Ensuite, il adresse officiellement une correspondance aux acteurs concernés. C’est le préalable qui contribuerait à créer un climat de confiance, de sérénité propice à un dialogue fructueux. Sans le report du référendum, la concertation manquera de consistance. Et, il pourrait subsister un certain risque même de ne pas y répondre comme on a commencé d’ailleurs à le voir. Si la société civile répond à cette main tendue, c’est moins pour elle-même que pour jouer d’une certaine manière la médiation entre le pouvoir et l’opposition et contribuer à ce que le référendum puisse se tenir dans les meilleures conditions.

ALIOUNE TINE, DIRECTEUR D’AMNESTY INTERNATIONAL POUR L’AFRIQUE DE L’OUEST ET DU CENTRE : «Tout faire pour créer les conditions subjectives et objectives du dialogue»

Le dialogue, quand il est vraiment sincère et aboutit à des résultats concrets, permettra d’avoir un consensus fort sur des objectifs d’une réforme qui puisse consolider l’Etat de droit, la démocratie et les droits humains. Je pense qu’il faut tout faire pour créer les conditions subjectives et objectives du dialogue. Puisqu’il faut bien reconnaître aujourd’hui que la défiance par rapport à la politique et aux discours des leaders politiques n’est pas une bonne chose pour le Sénégal, pour les responsables politiques, de façon générale. Le dialogue permettra de rectifier cette image et de redonner confiance aux populations.

FADEL BARRO, COORDONNATEUR DU MOUVEMENT Y’EN A MARRE : «Si Macky décide de reporter le référendum, nous répondrons à son appel»

L’appel aux concertations autour des réformes retenues pour le référendum du 20 mars prochain du chef de l’État risque de tomber dans l’oreille d’un sourd, au sein du mouvement Y’en a marre. Engagés dans la campagne pour la victoire éclatante du non massif au soir du 20 mars, les jeunes activistes posent en effet des préalables avant toute rencontre avec le chef de l’Exécutif. Joint au téléphone hier, lundi, Fadel Barro, le coordonnateur du dit mouvement s’est voulu formel. Son mouvement répondra à cet appel du président Sall si et seulement si ce dernier décide d’un report de la date de ces consultations.

«Sur le principe, Y’en a marre est ouvert au dialogue. Mais pour l’instant, on se concentre sur notre campagne pour la victoire du Non. Car eux, Ils sont déjà en campagne. Tout le reste n’est que distraction», a-t-il ainsi fait savoir. Non sans préciser : «S’il (Macky Sall-ndlr) décide maintenant de reporter la date de la tenue du référendum et ouvrir la discussion, nous répondrons à son appel. Mais s’il n’y a pas de report, nous ne voyons pas l’intérêt de ces discussions sinon une façon de nous divertir dans la mesure où ses partisans sont déjà en campagne pour le Oui. Nous refusons qu’on nous distraie pour des détails avec un dialogue qui est hypothétique alors que la campagne est là devant nous». Pour Fadel Barro et compagnie, tout est donc clair. Sans report de la date de la tenue du référendum, point de dialogue avec le chef de l’État. D’ailleurs le patron des Y’en a marristes a tenu à le réitérer fermement : «Tant qu’il n’y a pas un report de la date du référendum, nous, on se concentre sur la campagne du «Non» car tout le reste, c’est de la distraction.

Sud Quotidien

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