Comment le Sénégal fait face à l’épidémie du Covid-19

Il y a pour l’instant peu de cas de Covid-19 au Sénégal, et seulement deux mortels – dont l’ancien président de l’OM Pape Diouf. À Dakar, les malades sont traités avec l’hydroxychloroquine. Entretien.

Le docteur Massamba Sassoun Diop est médecin urgentiste et président de SOS médecin à Dakar, au Sénégal. Il est aussi le président de la Société sénégalaise d’anesthésie-réanimation et de médecine d’urgence. Mardi 14 avril, il était invité dans l’émission Priorité santé, sur RFI.


Mardi 14 avril, où en est-on en termes de cas testés, de cas graves et de décès au Sénégal ?

Il y a eu 291 cas positifs. Parmi eux, 178 sont guéris et 111 sont hospitalisés. Il y a eu deux décès au Sénégal et une personne avait été évacuée et est décédée une semaine après à Nice, en France.

On a l’impression que la mortalité reste basse et que les cas en réanimation aussi, par rapport aux statistiques internationales. Il faut quand même noter que nous hospitalisons tous les patients. Aujourd’hui, en Europe, il y a tellement de cas, que quelqu’un qui va bien – c’est le cas de 80 à 85% de la population – reste chez lui. Si vous hospitalisez tout le monde, forcément, vous avez plus de guéris.

On s’attendait pour l’instant à avoir un peu plus de cas. Il y a toujours cette discussion : sont-ils tous répertoriés ? C’est arrivé, lors d’épidémies précédentes, que l’on ait besoin de containers car il n’y avait plus de place pour mettre les corps des défunts dans les morgues. S’il y avait vraiment un nombre très important de décès qui passeraient inaperçus, on le saurait par cet intermédiaire.

Comment expliquez-vous cela ?

Il y a plusieurs pistes. On a vu que la couverture vaccinale contre le BCG, dans les pays comme l’Italie, les États-Unis, est très faible. Dans ces pays, il y a environ 358 cas pour un million d’habitants. En revanche, dans les contrées qui se vaccinent, qui sont plus les contrées du Sud, il y a 38 cas pour un million d’habitants. La mortalité passe de 40 à 4 pour un million d’habitants. On peut se poser la question par rapport à ce BCG.

D’autre part, la population est clairement plus jeune : 96% de la population a moins de 60 ans.

On sait que la contamination se fait essentiellement dans les maisons, mais on peut aussi se dire qu’à l’extérieur, sur une rampe, sur le sol, le virus survit moins avec les UV. Peut-être que cet ensemble de cofacteurs favorise le fait d’avoir moins de transmission.

L’état d’urgence, comme au Sénégal ou comme d’autres pays qui ont mis en place un système pour isoler les populations ; ces mesures ont un effet, même si les gens circulent quand même un peu dans la journée. Est-ce que toutes ces mesures n’ont pas entraîné cette non-aggravation de la situation ?

Il faut rester prudent, car nous avons un retard dans l’épidémie par rapport à l’Europe, il faut attendre les prochaines semaines.

On le sait, à Dakar, le choix a été fait de traiter les patients avec hydroxychloroquine. Certains auditeurs nous demandent pourquoi ne pas mettre tous patients testés positifs et asymptomatiques sous hydroxychloroquine d’emblée ?

Face à cette question de la chloroquine, on est en train de se retrouver avec les gens qui croient et ceux qui ne croient pas aux bénéfices de ce traitement ; un clivage presque idéologique. C’est très compliqué. Il y a un certain nombre de faits. Par exemple, on prend les gens qui sont sous Plaquenil qui ont un problème de pathologie chronique inflammatoire. Ces patients-là n’ont pas fait de formes graves. On peut donc imaginer qu’il y a un vrai effet.

L’étude du professeur Raoult est en train de sortir. Une étude basée sur un peu plus de 1 000 patients, 1 061 patients pour être exact. Il a traité ces personnes testées positives. Certains regrettent que l’étude n’ait pas été faite avec un placebo, que ce soit plus des femmes traitées, alors que les hommes développent davantage de formes graves. Certains jugent donc qu’il y a des biais, dans cette étude.

Au Sénégal, c’est l’option qui a été privilégiée, et l’on remarque des résultats, puisqu’il n’y a pas eu beaucoup de formes graves. Ici, une fois que les patients sont testés positifs, il y a un vrai suivi pour vérifier qu’il n’y a pas de contre-indications au niveau cardiaque. Quand cela n’est pas contre-indiqué, ils ont tous été mis sous hydroxychloroquine. Le professeur Raoult dit qu’ils ne vont pas développer de formes graves, alors que l’essai Discovery, mené actuellement en Europe, ne s’occupe lui que des formes graves et modérées. Cela va encore entraîner des discussions.

Il y a également l’association d’hydroxychloroquine et d’azithromicyne. De quoi s’agit-il ?

Le professeur Raoult considère que cet antibiotique, l’azithromicyne, a un effet antiviral d’une part et qu’il va éviter la surinfection bactérienne d’autre part.


L’approche de l’Institut Pasteur de Dakar pour les essais cliniques

INSTITUT PASTEUR DE DAKAR - SENEGALPlusieurs équipes dans le monde sont mobilisées pour réaliser des essais cliniques contre le Covid-19. C’est notamment le cas à Dakar, au Sénégal, où les premiers tests vont bientôt commencer à l’Institut Pasteur.

 

Le docteur Amadou Sall est directeur de l’Institut Pasteur de Dakar, virologue et spécialiste des maladies émergentes.

Mercredi 8 avril, il était l’invité de l’émission Priorité santé, en direct sur RFI.

Où en est actuellement l’Institut Pasteur de Dakar dans la recherche contre le Covid-19 ?

Dr Amadou Sall : Dans le domaine de recherche, plus spécifiquement celui de la recherche clinique, nous sommes dans la phase de mise en place de ces recherches, étant donné que l’épidémie a commencé il y a un peu plus d’un mois. Elles vont commencer très prochainement sur nos réflexions sur l’hydroxychloroquine et comment cela peut bénéficier aux patients. Nous travaillons en collaboration avec le professeur Moussa Seydi, de l’hôpital Fann, qui est responsable de la prise en charge au niveau national.

Cependant, ce qui est important, au-delà de la recherche clinique pour les traitements, c’est d’avoir une réflexion, une évaluation de la présentation des cas cliniques dans le domaine africain. Cela permet de voir s’il y a des spécificités, s’il y a une présentation différente, d’un point de vue immunologique mais aussi de l’expression de la maladie. C’est important, car cela va conditionner la prise en charge et peut-être mettre en place des approches plus spécifiques à notre contexte.

Sur quels champs de recherche vous concentrez-vous ?

Il y a trois domaines dans lesquels nous accentuons notre action :

  • Le diagnostic : dans la situation actuelle, nous essayons de juguler rapidement cette épidémie. Nous sommes actifs sur tout ce qui concerne la mise au point d’outils de diagnostic rapide.
  • Suivre de façon régulière comment le virus se comporte : est-ce qu’il change, évolue ? C’est important pour comprendre le suivi des chaînes de transmission, mais aussi éventuellement, dans le cas où il changerait, pour s’adapter en termes d’outils de diagnostic ou de prise en charge.
  • Comprendre la dynamique de l’épidémie par des approches de modélisation, la construction de scénarios qui vont permettre d’anticiper les stratégies de prise en charge de l’épidémie et de son contrôle.

Y a-t-il des spécificités africaines dans votre approche ?

Je pense qu’il est important, en fonction du stade où est l’épidémie en Afrique et au Sénégal, d’avoir des recherches qui sont en lien direct avec les préoccupations. Mais il faut aussi, bien évidemment, s’arrimer à la dynamique mondiale et travailler en collaboration avec nos collègues à travers le monde.

Source Avec Rfi
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