Ça marche! Et puisque ça a toujours traditionnellement marché, il faut, avec la modernité, en grossir les traits…jusqu’au ridicule. Plus c’est gros, plus ça passe. Parce qu’en fin de compte, on se dira: « quand même, la personne n’aura pas osé nous berner jusqu’à ce point.. »
Ça a donc très bien marché, le maraboutage, ce métier-là qui a fait de grandes légendes dans l’art de faire aimer X à une Y et vis-versa. On se rappelle alors les formules: « kii waxam du fanaan àll », et, « waa ji Cali Maam du laal suuf »…autant d’expressions qui disent somme toutes: ce marabout est génial. Incitant par la même occasion les autres à aller demander ses services, pour qu’à travers sa magie, il fasse qu’un homme tombe éperdument amoureux d’une femme, ou l’inverse.
Les radios avec des émissions dédiées, les télévisions avec les grandiloquentes publicités, la presse écrite avec les pages réservées à cette propagande des charlatans, les chaînes YouTube aussi ne les oublions pas, ont amplifié le phénomène. Les coquines et les pervers qui veulent occuper le cœur et les pensées de leur conquête ne se passent plus le mot de bouche à oreille: les médias jouent dorénavant ce rôle de…médiateurs ! La répétition ne sera pas de trop, puisqu’il faut faire gros en vue de mettre le doigt sur cette grosse mascarade.
Mais ça marche, et dans les deux sens. La publicité passe, le mara devient roi. On les voit alors dans de gros salons, face à des « journalistes » qui leur assurent une parfaite communication, des animateurs complaisants, disons. Ils sont beaux, ils sont grands, ils sont savants, ils savent décanter des situations critiques. C’est le premier sens. Le second: la pub seule ne suffit. On fait alors intervenir des témoins. Ces derniers vantent le mérite du Sëriñ. Il a guéri l’un, formulé la prière magique pour que l’autre obtienne des papiers pour pouvoir voyager vers l’Europe. Et sûrement, il ont aidé un tiers à conquérir le cœur d’une conquête, ou aidé une conquérante à obtenir toute l’attention d’un lion au cœur autre fois indomptable. Ça marche!
Toutefois, la société elle aussi marche. Et les réseaux sociaux prennent de vitesse les médias traditionnels, quant à la diffusion de « l’information ». Disons, de la publicité ! A ne pas oublier que plus c’est gros, plus c’est beau, plus ça passe, vu que ça ne casse que rarement. Nous voilà alors en face des allumettes de l’Amour. Les feux de l’Amour, l’Amour au bout des sept brins d’allumettes rouges. Avec la précision de la dame qui les commercialise (7500f la boîte): il faut les allumer, en même temps, « un soir de nuit noire » (qu’est-ce que ça signifie ça?). Allumer, puis jeter dans de l’eau sept brins. Sept ce chiffre mystique, symbolique et à la fin, bien commercial. Plus de précisions pour ceux et celles qui l’auront contactée en privé. Good! C’est obscur, c’est occulte, en plus du prix faramineux. Aucun souci à se faire, ça va passer. Quand même, elle n’oserait pas…
Il y a aussi la boîte à 10.000f, avec des brins bleus ! Plus « dangereux », plus sûrs donc, en conséquence. « Streichhölzer » voit-on écrit dessus. Ça signifie « allumettes », pas plus ni moins, ainsi que le renseigne le très magique Google. En allemand, bien sûr. Et attention à qui voudrait prononcer le mot. Il faut se racler la gorge avant. « Ja », accompagne l’indication sur la boîte. « Ja », pour dire oui dans la langue parlée dans les landers! Oh que oui madame qui vend le philtre d’amour version feu. Ça ne sera pas que de la fumée. Les streichhölzer vont faire un tabac. Les clients vont vous les fumer toutes. N’ont-ils pas bu les potions magiques des marabouts avant vous ? La vôtre est plus magique, parce que l’arnaque est plus grosse et plus audacieuse.
♦ Moussa Seck – laviesenegalaise.com