Alors que plus de 1 000 personnes sont mortes du nouveau coronavirus en Chine, rares sont les pays africains à avoir pris des mesures de rapatriement de leurs ressortissants. À Wuhan, l’épicentre de l’épidémie, des étudiants maliens, camerounais, sénégalais, ivoiriens ou encore guinéens témoignent de leur inquiétude et appellent leur gouvernement à réagir.
Masque de protection sur le visage, capuche sur la tête, Adjaratou Traoré, une jeune malienne étudiante à Wuhan, se filme en « selfie ». En bambara, elle appelle le président Ibrahim Boubacar Keïta à l’aide. Sa vidéo, publiée sur Facebook le 6 février, a depuis été vue plus de 59 000 fois.
Lire aussi
En Chine, les étudiants africains forment la deuxième population étudiante après les Asiatiques. Mais depuis la déclaration du virus Covid-19, le 11 janvier, et la mise en quarantaine de la ville le 23, certains d’entre eux se sentent laissés pour compte. Comme Adjaratou Traoré, ils sont encore des centaines à être coincés à Wuhan et dans la province environnante du Hubei. Avec des publications sur les réseaux ainsi que des lettres à leurs gouvernements et ambassades, ils appellent à l’aide et demandent à être rapatriés.
Pour l’heure, sur le continent africain, seuls l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Égypte et la Mauritanie ont pu faire revenir leurs ressortissants. Profitant d’un avion affrété par l’Algérie, des étudiants libyens ont également été évacués.
« On se demande tous quand est-ce que ça va finir »
La ville est en quarantaine et nous sommes bloqués dans nos cités universitaires. J’ai fait la vidéo juste à côté du campus, je ne peux pas aller beaucoup plus loin de toute façon ! Elle est en bambara pour que tous les Maliens puissent comprendre et ne pas oublier ce que nous vivons ici. Il est dur de voir d’autres pays rapatrier leurs étudiants et, de notre côté, être encore dans l’attente d’une action concrète de notre pays.
Nous sommes, à ma connaissance, 43 étudiants maliens actuellement à Wuhan. Nous avons un groupe de discussion sur l’application chinoise WeChat pour se soutenir. Moi, je m’occupe en écrivant ma thèse, mais certains n’ont plus cours et ne savent pas quoi faire. Surtout, on se demande tous quand est-ce que ça va finir.
« Hors de portée pour le Sénégal »
Dans un communiqué publié début février, le gouvernement malien a tenu à rassurer : les 43 étudiants « se portent bien » et « respectent les consignes des autorités sanitaires et académiques chinoises ». Pas un mot donc sur un possible rapatriement.
L’État sénégalais voisin a lui envoyé une aide financière de 600 000 francs CFA (910 euros) par étudiant bloqué à Wuhan. Une mesure insuffisante pour l’Association des étudiants sénégalais en Chine qui a fait part de son inquiétude sur les réseaux sociaux, rappelant que l’épidémie devenait « de plus en plus alarmante ».
« Pour les étudiants guinéens, c’est la psychose »
Pour les étudiants guinéens, c’est la psychose. Nous sommes 23 ici – dont un qui étudie habituellement en Malaisie mais qui était de passage à Wuhan. Presque tout le monde veut rentrer. Seuls certains doctorants en cours d’écriture de leur thèse préféreraient rester. Il faut rappeler que la situation ne concerne pas que Wuhan : l’épidémie s’étend et il y a près de 300 étudiants guinéens en Chine. Il faudrait aussi les assister.
En ce qui concerne le quotidien ici, nous avons remarqué que les autorités de la ville ont pris les choses au sérieux. Les étudiants ne peuvent plus sortir du campus : il faut demander une autorisation. Cette semaine, je n’ai pas eu le droit de sortir faire des courses. Du coup, des repas sont livrés directement sur le campus. Mais l’ambiance est compliquée : les gens s’évitent, chacun reste dans sa chambre, peu de gens se rendent visite.
« Il faut être sur place pour comprendre ce que l’on vit »
Il faut être sur place pour comprendre ce que l’on vit : trois semaines sans sortir de chez soi ! Quand on part faire les courses, on marche longtemps car il n’y a pas de transport. Moi, je vis avec deux autres étudiantes – une Ivoirienne et une Béninoise – et mes trois petites sœurs. On joue aux cartes, on parle, on essaie de détendre l’atmosphère. Mais d’autres étudiants sont en train de déprimer.
Pour l’heure, seul un étudiant africain, un Camerounais, a été infecté par le virus. Cette annonce avait fait monter l’angoisse au sein des familles au Cameroun.
En ce qui concerne un retour, les avis sont partagés. Certains, surtout parmi les travailleurs, ne souhaitent pas être rapatriés. En revanche, les prix des vivres augmentent et il devient difficile de s’acheter des masques de protection ainsi que les désinfectants.
Grâce à un groupe WeChat géré par Pisso Scott Nseke, la communauté camerounaise s’entraide et se cotise pour aider ceux qui sont dans le besoin – notamment les étudiants qui ne travaillent pas. Mais beaucoup attendent encore une réaction de la part du gouvernement.
D’autres pays du continent, comme l’Ouganda, la Zambie, le Rwanda, le Soudan et le Zimbabwe ont exprimé leur confiance dans la capacité du gouvernement chinois à assurer la sécurité de leurs ressortissants pendant cette épidémie – une manière de signifier qu’aucun rapatriement n’était prévu.
Article écrit par Maëva Poulet
Observers.france24.com/fr