Centenaire de Amadou Makhtar Mbow : Un siècle chargé de combats, de victoires célébrées, de parties parfois perdues…

Amadou Makhtar Mbow, qui fête ses 100 ans ce 20 mars, a connu plusieurs vies trépidantes. Ministre, directeur général de l’Unesco, président du Cnri, des Assises nationales, homme politique, cette légende vivante n’a jamais visité la Roche tarpéienne, car il a toujours vécu au Capitole.

Amadou Makhtar Mbow reste bien sûr un mortel. Mais il est éternel comme le montre sa longévité au faite de la pyramide sociétale. Ce 20 mars, il fête ses 100 ans. Un siècle chargé de combats, de victoires célébrées, de parties parfois perdues. L’essentiel est ailleurs : C’est un homme qui n’a jamais manqué de mettre le cursus de son engagement sur les enjeux essentiels à l’épanouissement humain. Au crépuscule de sa vie (87 ans), il a été le moteur de son pays. Coordonnateur des Assises nationales, dont il est la caution morale, président du Comité national de réforme des institutions (Cnri), M. Mbow a offert son expérience et ses aptitudes professionnelles à son pays. Par contre, il peut avoir un goût de cendre dans la bouche en jetant un coup d’œil sur ces documents qui devaient propulser son pays dans une autre ère. Evidemment, sa responsabilité ne sera pas engagée. L’élite nationale a décidé d’abandonner les résultats de ces travaux dans les tiroirs de leurs bureaux. Alors qu’elle l’avait tiré de sa paisible retraite pour lui confier ce travail colossal. Révolutionnaire ! Mais la classe dirigeante a décidé de maintenir le statu quo actuel pour lustrer davantage son pouvoir, écrasant une population. 60 ans après les indépendances, elle est soumise au diktat d’un régime politique dont le fonctionnement est dépassé et oppressant. Quelle déception ! Lors de la célébration de ses 90 ans, Mbow rappelait que «la gestion solitaire doit être bannie». Il insistait sur la promotion de la «bonne gouvernance, qui implique tous pour atteindre l’émergence». Ce jour-là, il avait disserté sur des problématiques toujours actuelles : «Nous ne devons plus accepter que nos terres soient données à des étrangers venus d’ailleurs, alors que les ayants droit restent ici à les regarder faire. Nous ne devons plus accepter que d’autres viennent prendre nos richesses, les utiliser au détriment de notre Peuple. Il faut que les nouvelles autorités pensent à doter les populations de moyens pour qu’elles puissent cultiver ces terres pour un développement durable.»
Sa vie est un message d’optimisme. «Il ne faut jamais penser que certains gens ont atteint des sommets que vous ne pourrez jamais atteindre. Seul le travail paie», dit-il en faisant référence à son parcours pour pousser les jeunes à repousser leurs limites. «Rien n’est joué d’avance dans la vie et les jeunes devraient toujours donner le meilleur d’eux-mêmes pour devenir de grandes personnalités et mieux servir leur pays. Avec de la volonté, de la constance et de la patience, on peut arriver à tout et les jeunes doivent savoir que s’ils s’efforcent de toujours travailler pour atteindre le niveau le plus élevé de la connaissance, ils y parviendront. Jamais les Occidentaux n’avaient cru qu’un jour le Noir ou même un Sénégalais les supplanterait. Ils pensaient qu’ils continueraient à dominer, mais aujourd’hui c’est l’inverse», conseille le patriarche.
Dans toute son existence, Amadou Makhtar Mbow a carburé avec une énergie débordante d’initiatives réformatrices. A l’Unesco, il lui a fallu être résilient pour supporter les pressions des grandes puissances. Il connaissait la maison où il est nommé en 1970 sous-directeur général pour l’Education. Puis, élu en 1974 et réélu en 1980, il est directeur général de l’institution de 1974 à 1987. M. Mbow était un réformateur à l’Unesco où il a supervisé le travail du secrétariat pour la Convention du patrimoine mondial en tant que directeur et a reçu les premières ratifications ayant permis l’entrée en vigueur de la Convention et a connu l’inscription des premiers sites sur la Liste du patrimoine mondial en 1978. Dans un monde bipolarisé, il devait être guidé par l’intérêt commun pour oser provoquer de tels bouleversements.

Patrimoine vivant
Cette situation n’enchante pas les Etats-Unis, agacés par le fonctionnement de l’institution onusienne. Les reproches sont structurels, personnels et politiques. L’affron­tement entre Washington et les instances dirigeantes de l’Unesco, soutenues par les pays du Tiers-monde et l’Urss, est dur. Considérant l’Unesco comme «un nid de communistes», les Usa dénoncent le clientélisme plutôt que la compétence et le mérite dans le choix des hommes, des dépenses honorifiques, soutiennent que 80% du budget sont absorbés au Quartier général à Paris.
Ces craintes s’ajoutent à la mise en place du Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic). Sous sa direction, la commission dirigée par Seán MacBride délivre un rapport intitulé Many voices, one world qui présente des recommandations pour établir un nouvel ordre mondial de l’information et de communication, plus équitable après avoir «identifié des problèmes dans les structures de communication internationales, notamment un déséquilibre dans les flux d’information, leur accès et leur contrôle». Si l’instrument suggère une alternative à «une domination occidentale en matière d’information», ses détracteurs, notamment les Américains et les Anglais, dénoncent une manière de contrôler la presse et la liberté d’expression. Evidemment, les positions restent figées : Le directeur général de l’Unesco, Amadou Makhtar Mbow, est considéré «comme l’incarnation de tous ces vices de forme et de fond». Il s’en défend énergiquement : Dans la réponse qu’il fait au secrétaire d’Etat américain le 18 janvier 1984, il dit : «En dépit des difficultés actuelles du monde, et pourrait-on dire à cause même de ces difficultés, le rôle de l’Unesco et les tâches qu’elle accomplit sont essentiels pour l’ensemble de la communauté internationale. Dans cette période de grandes mutations, où des changements profonds affectent et vont affecter de plus en plus la vie de toutes les sociétés, il paraît vital pour l’humanité de disposer d’une instance de concertation et d’action où peuvent dialoguer, établir en commun des programmes et les mettre en œuvre, tous ceux qui pensent et agissent dans les domaines de compétences de l’Unesco.» Il ajoute : «Cette mission, l’Organisation s’est efforcée de la remplir dans l’intérêt des communautés éducatives, scientifiques, culturelles avec lesquelles elle coopère et dans celui de la très large majorité de ses Etats membres, en dépit de la faiblesse des moyens dont elle dispose.» Washington quitte l’Unesco, gèle ses financements pour faire capituler un prétentieux et ambitieux «tiers-mondiste».
Mbow a mené son combat en jetant toutes ses forces pour la réussite des réformes engagées. En même temps, il y a laissé beaucoup de plumes. Sous pression, Amadou Makhtar Mbow quittera quelques années plus tard la tête de l’Unesco après que la plupart des grandes puissances ont dû céder au chantage américain. Plus de 30 ans après, Me Abdoulaye Wade a dû engager un combat qui n’a pas eu la même résonnance, mais avait le même objectif : la réduction de la fracture numérique. Autant de combats que les esprits obtus ou attirés par leur gloire personnelle n’auraient jamais engagés.

Parcours militaire et scolaire
A l’Organisation mondiale des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, dont le siège est à Paris, le Nomic a eu le même écho que le projet de l’Histoire générale de l’Afrique pour remédier à l’ignorance généralisée sur le passé du continent. C’est un projet de 8 tomes réalisé par plus de 230 historiens et autres spécialistes pendant plus de 35 années. Il est coordonné par le Burkinabè Joseph Ki-Zerbo qui se bat pour les mêmes valeurs. A travers cette production scientifique, l’Afrique devait réécrire sa propre histoire. Qui n’a rien à voir avec la vérité des colonisateurs qui ont pillé le continent et écrit son histoire selon leurs propres grilles de lecture.
Né le 20 mars 1921 à Dakar, Amadou Makhtar Mbow était juste un gamin destiné à rejoindre l’école William Ponty. Comme la plupart des jeunes cadres en formation sous l’époque coloniale, il était prédestiné à devenir instituteur. M. Mbow n’a pas suivi cette voie qu’il empruntera plus tard. A 18 ans, il est incorporé par l’Armée française pour prendre part à la Seconde guerre mondiale. Il est recruté par l’Armée de l’air en tant que volontaire en mars 1940. Après 8 mois, il est démobilisé avant de reprendre sa tenue militaire en janvier 1943.
A la fin de ce conflit, il décide de poursuivre des études d’ingénieur aéronautique en France. Ambitieux et travailleur «acharné», il décroche son Baccalauréat littéraire. Il s’inscrit à Sorbonne où il décrocha une Licence en lettres d’enseignement. M. Mbow retourne en Afrique où il enseigna l’histoire et la géographie au collège de Rosso, en Mauritanie, au mythique lycée Faidherbe de Saint-Louis, puis à l’Ecole normale supérieure de Dakar. Militant de l’indépendance du Séné­gal, membre fondateur de Pra-Sénégal, il deviendra ministre de l’Education nationale (1966-1968), puis de la Culture et de la jeunesse (1968-1970). Il est élu ensuite député au Conseil exécutif en 1966 et au Conseil municipal de Saint-Louis.
Aujourd’hui, il est une boussole qui indique le chemin à prendre dans un pays pris dans un tourbillon de contestations.

  Avec Le Quotidien

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