Ce Sy n’est pas Charlie

Les Echos d’une affaire virale

La réplique ne s’est pas fait attendre. Depuis que le quotidien Les Echos a annoncé que le responsable moral de la DMWM est hospitalisé pour cause de coronavirus, les disciples de ce dernier n’ont de cesse démenti l’information. Bien sûr, c’est en mi-journée, et le démenti en question ne peut se faire que sur des plateformes digitales. Ainsi, dans Seneweb, en bas de l’article annonciateur de l’hospitalisation, peut-on lire ceci : « cette information est fausse. Serigne Moustapha Sy est chez lui à Ngor. Il n’est pas hospitalisé à Principal. Pas plus tard qu’hier soir, il nous a reçus en groupe restreint pour une ziara de la Tabaski. Vraiment, il faut éviter de faire passer une information fausse. » Dans la tête de ce disciple, c’est clair : Moustaph, comme on l’appelle affectueusement, se porte bien et est loin des blouses blanches de l’hôpital Principal de Dakar.

 

L’information est cependant restée, et, parallèlement, les passions se sont déchainées. Les bureaux de Les Echos sont saccagés. « Touche pas à mon marabout » : ce serait un assez coquin titre, pour un article relatif à ce fait. Et, aux fins de défendre la corporation journalistique, les CDEPS a publié un communiqué. Justice est en outre réclamée par le SYNPICS, pour une énième fois que des journalistes sont attaqués…sans suite. Dans les réseaux sociaux, les moustarchides communiquent : Mara vient bien et est quelque part, dans ses affaires. Somme toute, telle est la chronologie de cette journée dans laquelle on a eu droit à une information virale sur un homme perçu comme un oracle des temps modernes. Information fausse pour sa communauté, qui a irrité cette dernière, cette dernière même ayant irrité une autre communauté (celle journalistique). Toutefois, une remarque d’importance peut jaillir de ce scénario : il repose le problème de Charlie Hebdo. Il impose, au-delà de simplement poser, une question : en terre de démocratie, le journalisme a-t-il le droit de toucher au sacré ? Le Sénégal, terre de démocratie. Serigne Moustapha Sy, celui qui incarne cette sacralité !

L’éternel débat de fond…

Liberté de presse, criera-t-on ! Bien sûr, il en faut de cette liberté ! Mais libre jusqu’à créer des « cas ciblés » atteints du coronavirus. Qui crie à la liberté de la presse est, aussi, d’accord qu’autrui crie aux « fake news ». L’information qui suscite cet écrit est vraie, elle est fausse : tel n’est pas le débat. Et, de toutes les façons, notre époque est telle que le vrai, du faux, ne se distingue que très difficilement. Qu’en est-il de la liaison entre ce sacré qui loge les cœurs et qui pousse au saccage et le métier de journalisme qui a face à lui des citoyens par rapport à qui on peut donner des informations, heureuses ou malheureuses, marabouts fussent ces citoyens ? Pour le cas bien sénégalais d’aujourd’hui, il y a d’une part des fixistes (disons) qui sont résolument anti-charlie et des « évolutionnistes » qui ne manquent pas, à l’occasion d’être Charlie.

 

Des caricaturistes caricaturés…

Venant du quotidien Les Echos, on n’a certes pas de caricatures telles qu’on en a vues en France sur la personne du Prophète de l’Islam ! Mais, rien ne saurait contredire que dans l’imaginaire des disciples de Serigne Moustapha, on a écorché une image, on a touché au caractère sacré qu’il revêt dans bien des cœurs, on a, alors, « attaqué » plus un symbole qu’un citoyen. Par cette inversion, c’est le côté des « lésés » qui caricature l’autre côté qui a plus tendance à caricaturer. Le journaliste, ici, est un caricaturiste caricaturé ! Oui, en passant outre ce cas spécifique pour voir comment les journalistes sont socialement considérés. En effet, dans l’imaginaire collective sénégalaise, journalisme rime souvent (trop) avec mensonge (qu’on excuse le terme, mais c’est ainsi que ça se dit dans les rues). Si donc cette information d’aujourd’hui se révèle fausse, la caricature à contre-sens qui s’est déjà développée dans le corps social va s’amplifier. Et le journalisme en souffrira : plutôt, les journalistes qui ne sont pas dans ce lot de « menteurs ».

Aussi ironique que ça puisse paraitre, le fait qu’aujourd’hui on ait touché à du sacré sans base véridique ( ?), désacralise le journalisme.

Par ailleurs, est-il éternellement soutenable qu’on sente dans un même corps social qu’il y a des intouchables ! Intouchables jusqu’au point où informer sur leur probable maladie relève du péché et occasionne, par conséquent, les foudres d’une communauté ? En ce sens, on peut s’interroger ainsi : qui est-ce qui pose les limites de la liberté d’expression ? Ou, la liberté d’expression est-elle si libre que ça ? A n’en point douter, elle n’autorise pas la « création » d’information. Mais lorsque l’information est, force est de constater qu’elle engendre avec elle sa jumelle : la liberté pour un professionnel de l’information de la diffuser. L’on pourrait opposer à cela ceci : « attention, information sensible ! »

Information sensible, qui sait ? Une chose est sûre : au rythme où on va, Charlie Hebdo n’est pas prêt de s’éloigner des débats. Puisque les caricatures grandissent et, parfois comme dans ce cas-ci, s’inversent : la société crée une caricature du métier de journalisme, tandis que les professionnels butent encore sur des thèmes, des individus à propos desquels il semble illégitime de parler dans un certain sens, avec un certain ton, même celui de l’ironie… Et la gravité semble être  là. En vérité, où va-t-on lorsqu’un droit consacré en perd de son poids dans certaines situations ? Où va-t-on quand la légitimité sociale des uns entrave la légitimité du métier des autres… Et ceci n’est pas Charlie mais, un droit à la pensée, tout simplement !

MOUSSA SECK – laviesenegalaise.com

1 Commentaire
  1. Dit Doudou

    « Liberté d’expression n’est pas la création d’information ». cette affirmation répond à toutes les questions que vous venez de poser. On ne parle pas d’intouchables ici car nous sommes habitués aux horreurs médiatiques en son encontre. Ce que l’on ne tolère plus c’est la diffusion de fausses d’informations à l’endroit des hommes honnêtes. Kokou mayatuniu ko kenne.

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