Casamance : A Bofa-Bayotte, les cœurs saignent

Samedi noir dans la forêt de Bofa-Bayotte. 13 personnes, qui seraient des coupeurs de bois, ont été froidement abattues et 6 autres blessées par des hommes armés. A Bofa Bayotte, située dans l’arrondissement de Nyassia, département de Ziguinchor, c’est le deuil qui n’empêche pas les populations de s’interroger sur les raisons d’un acte aussi cruel.

Bofa-Bayotte.  6  janvier  2018. Dans notre histoire, ce village et cette date seront marqués au fer rouge.  Ce  jour-là,  13  personnes ont été froidement abattues dans la  forêt  classée  de Bofa-Bayotte. Elles  ont  été  piégées  par  une quinzaine  d’éléments  armés  de Kalachnikov qui ont mis en place cette  funeste  opération.    Selon plusieurs  sources,  cette  tragédie porte  la  signature  de  combattants supposés  appartenir  à  la branche  armée  du  Mouvement des  forces  démocratiques  de  la Casamance  (Mfdc).  C’est  une tragédie qui pousse à de funestes interrogations.  Probablement, les réponses viendront de la bouche des  6  victimes  qui  vont essayer  de  se  relever  de  cette attaque. Elles ont été retrouvées et  récupérées  par  les  sapeurs pompiers et  l’Armée  qui  ont ensuite  procédé  à  l’évacuation des corps sans vie à la morgue et des blessés au service des urgences de  l’Hôpital  régional  de Ziguinchor.  En  attendant,  l’Armée s’est déployée à travers tout le  périmètre  forestier  de  BofaBayotte et  de  ses  environs  à  la poursuite des assaillants. Pris  d’assaut  par  les  populations plongées dans la tristesse et la consternation, l’Hôpital régional de Ziguinchor a été leur centre de lamentations. Surtout que la  verte  Casamance  n’avait  plus fané  sous  les  coups  d’une  telle tragédie. 

En  tout  cas,  on  image toutes les hypothèses pour   tenter de  comprendre  la  cruauté d’un tel acte. Les origines  d’un drame  Selon  certains  observateurs, cette atrocité serait la résultante d’un double contentieux entre le Mfdc  et  les  coupeurs  de  bois, mais  également  entre  ces  derniers et les Comités villageois et inter-villageois  de  gestion  et  de vigilance contre les coupes clandestines de bois dans la forêt du Bayotte. 

Une structure qui polarise des  villages  directement concernés  par  le  trafic  de  bois (Toubacouta,  Bourofaye  Bay – nouck,  Bourofaye  Diola,  Tran – quille,  Baraf,  Boucotte  Mancagne,  Mpack,  Bofa  Bayotte, Bouhouyou,  Katouré)  et  qui  est mise sur pied par les populations pour  la  protection  de  leur  environnement qui  fait  l’objet,  à leurs  yeux,  de  pillage  systématique. Fort  d’un  tel  engagement,  les jeunes  regroupés  au  sein  dudit comité ont appréhendé des coupeurs de bois le 26 octobre dernier au  niveau  de  Toubacouta.

Une situation qui a abouti à l’arrestation par la  gendarmerie   le 27 novembre, l’emprisonnement le 29 novembre et la condamnation le 5 décembre 2017 de quatre jeunes membres de ce comité de protection de la forêt de BofaBayotte.

Du  coup,  avec  cette situation,  avec  cette  nouvelle donne,  d’aucuns  craignaient  à Ziguinchor un remake du scénario du  5  décembre  2011  où  une bande  armée  s’était  attaquée  à des exploitants forestiers dans le village  de  Toubacouta  en  leur dépossédant de tous leurs biens. Quid  du  massacre  de  11  jeunes du  village  de  Diagnon,  des  coupeurs de  bois,  survenue  le  21 novembre  2011  au  niveau  de  la forêt  classée  de  Bissine  ? L’attaque  macabre  survenue  ce samedi  dans  la  forêt  classée  de Bofa-Bayotte  serait-elle  donc  la résultante  d’un  feuilleton  qui avait  pour  acteurs  les  coupeurs de  bois  et  les  membres  du Comité  inter-villageois  qui  lutte contre  la  coupe  abusive  du  bois au  niveau  de  cette  contrée  de l’arrondissement  de  Nyassia  ? Est-ce une réaction de la branche combattante du Mfdc qui a décidé de prendre à bras-le-corps et à sa manière cette question et de marquer, du coup, son territoire ? Est-ce  une  réponse  du Mfdc  à la main  tendue du chef de l’Etat pour  qu’il  y  ait  enfin  temps  de faire «la paix sans vainqueur ni vaincu»  ?  Autant  de  questions qui,  depuis  l’annonce  de  ce drame,  taraudent  les  esprits  de bon nombre de Ziguinchorois et d’observateurs  avertis  du  conflit casamançais.  Et  l’enquête  diligentée par  la  gendarmerie  pour faire la lumière  sur  cette  opération tragique pourra édifier l’opinion sénégalaise  sur  les  véritables mobiles de cet acte inqualifiable de cruauté.  Processus de paix En  attendant,  les  autorités administratives  apportent  leur réconfort  aux  rescapés  et  aux familles des victimes. Le gouverneur de  Ziguinchor  qui  était  au chevet  de  ces  blessés  a  constaté de visu la portée de ce drame et tenté d’apaiser les cœurs qui saignent encore. «C’est un acte que nous regrettons nous tous, mais cela n’a aucune influence sur le processus de paix qui est dans une dynamique irréversible», soutient  Guedj  Mbodj.  Lequel  a annoncé  «l’identification, la traque et la mise hors d’état de nuire des auteurs de cette opération macabre par l’Armée». 

Le drame de Bofa-Bayotte, qui alimente  aujourd’hui  les  spéculations, est  survenu  presqu’une semaine  après  l’appel  du  Président  Macky  Sall.  Cette  tragédie arrive  également  au  lendemain de la libération de deux combattants du  Mfdc,  proches  du  chef rebelle  Salif  Sadio,  à  la  suite d’une  médiation  initiée  par  la communauté de Saint Egidio de Rome. 

Des  libérations  qui seraient,  selon  la  communauté catholique  de  Saint Egidio, l’application d’un texte signé le mois dernier lors de ce nouveau round des  négociations  entre  l’Etat  du Sénégal et la communauté catholique. Deux  actes  majeurs,  des signes  encourageants  qui,  en plus  de  l’accalmie  notée  sur  le terrain  ces  dernières,  laissaient augurer  d’une  paix  définitive  en Casamance.  Seulement  voilà… Cet  événement  réveille  ainsi  les vieux démons qu’on avait pensés définitivement  vaincus. 

Et  une nouvelle grille de lecture s’impose à tous.  Aujourd’hui,  l’Armée  qui  s’est à nouveau déployée sur le terrain va  se  donner  tous  les  moyens pour  circonscrire  l’insécurité  en neutralisant les  fossoyeurs  de la paix  et  en  ratissant  toute  cette zone, située à quelques encablures de  la  frontière  Bissau-guinéenne, susceptible d’abriter des bandes  armées.  Il  s’agit  d’un exercice  périlleux  qui  risque  de se heurter à la volonté des combattants du Mfdc,  en  particulier ceux de Kassolole, présents dans la zone. Une éventuelle confrontation, envisagée  par  certains observateurs, qui risque de raviver les  tensions  entre  les  parachutistes et les hommes de César Atoute Badiate. Ça fait déjà voler en  éclats  l’optimisme  des  populations acquis après cet indicible massacre. 

 

LeQuotidien

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